Créé en 1995, Asud Mars Say Yeah est aujourd’hui un Caarud dont
toutes les activités s ’effectuent hors les murs après avoir été expulsé de son dernier local (voir ASUD Journal n°61 ). Retour sur ce
nouveau mode de fonctionnement auquel l’équipe a dû s ’adapter.
Garder la même activité sans local, sans même s’arrêter quelque
temps pour réfléchir, s’est tout d’abord avéré bien compliqué… Ne pas avoir anticipé la méthode de travail a en effet créé de la frustration chez beaucoup, des incompréhensions et des violences. C’était brouillon. Une période de transition difficile pour l’équipe et pour les Asudiens. Nous avons donc décidé de cesser l’activité quelques jours, afin de réfléchir ensemble sur le sens que nous souhaitions donner à notre travail : miser
clairement sur la qualité plutôt que sur la quantité, autrement dit, ne pas hésiter à prendre le temps avec quelqu’un si c’est nécessaire, et ne pas chercher à répondre systématiquement à une urgence. Un choix rendu possible grâce à la liberté d’organisation de l’équipe, qui peut, à tout
moment, décider de se concentrer sur tel projet ou tel accompagnement.
Aller-vers et autosupport
Que ce soit dans la rencontre des personnes, leur accompagnement, et plus
encore en ce qui concerne la réduction des risques, l’aller-vers est aujourd’hui omniprésent dans nos actions. Ne plus avoir de local nous permet en effet de réfléchir l’intervention RdR différemment, et d’être ainsi complémentaires des différents dispositifs existants. Une vraie
évolution : aujourd’hui, Asud intervient en complémentarité des autres dispositifs et permet réellement d’apporter un plus, du mieux aux personnes qui en ont besoin. Mais Asud ne serait pas Asud sans l’autosupport. Créé par des usagers de drogues pour des usagers de drogues, Asud Mars Say Yeah n’existerait pas sans travailleurs pairs. Dans l’équipe, ils sont trois. Avec ou sans diplômes, on s’en fout, car leur
« formation » est plus vraie, plus réelle, elle ne se fait pas dans les livres, ils viennent du terrain. Le travailleur pair peut être ou avoir été usager de drogues, il sait de quoi il parle et a suffisamment de recul pour pouvoir travailler avec des usagers en difficulté. Il est au fait des produits, des
modes de consommation, des pratiques, du terrain, et son travail complète celui du reste de l’équipe. Tous trois s’impliquent grandement dans le travail de rue, où leurs compétences sont plus qu’essentielles. Et la rue, nous la connaissons bien désormais, c’est là que nous passons nos journées. Afin d’aller à la rencontre des personnes, leur donner du matos, des usagers
moins visibles, plus excentrés, ayant justement moins accès aux services d’un Caarud avec accueil, nous avons mis en place des tournées de rue, aux côtés de rendez-vous programmés. Nous tournons dans le centre-ville, mais aussi dans les quartiers proches des lieux de deal. Nous découvrons de réelles scènes de conso dans des endroits désaffectés, ramassons du matériel usagé, en déposons du stérile à usage unique. Nous essayons aussi de faire du lien avec le quartier, car ce n’est pas rien d’arriver au milieu d’une cité, on ne s’y promène pas comme ça. Alors, on se présente, on explique ce qu’on fait, faudrait pas qu’on nous prenne pour des flics en civil !!! Depuis peu, nous commençons à nous rapprocher des dealers car nous
pensons que la RdR pourrait passer par eux. Ce travail de rue est ainsi très important pour ajuster et élargir nos activités.
Accompagner vers le soin et la réinsertion
Autre mission importante qu’il a fallu adapter : la coordination de soins. Sans local, nous ne voyons plus les usagers pour prodiguer des soins mais pour les mettre en place, et faire ainsi le lien entre les structures médicales et l’association. Accompagner une personne dans son parcours de soins, qui peut s’avérer très difficile, voire décourageant. Car le jugement est encore bien trop présent dans les services de soins. Il n’est, en effet, pas rare
d’entendre un de nos usagers nous dire « ici, je ne suis qu’un tox ». Certains services hospitaliers commencent à être plus ouverts d’esprit et s’ils ont encore du mal à accepter les consos au sein de leur établissement, certains ferment les yeux. Certains donnent du matériel, et nous tenons à saluer un service en particulier, qui a su respecter un de ces patients, ses choix et sa fin de vie. Un travail de médiation très important à faire avec les structures qui, au final, ont surtout besoin d’être rassurées. Notre présence, nos visites à l’hôpital pour soutenir nos usagers, permettent de temporiser.
Toujours dans le domaine du soin, l’hépatite C se guérit aujourd’hui en trois mois. Mais apprendre qu’on a l’hépatite C n’en reste pas moins difficile. Nous sommes donc là pour rassurer, expliquer le traitement… Mais qui de mieux qu’une personne étant elle-même passée par là pour en parler ? Notre projet parrainage a ainsi pour but de mettre en lien une personne ayant contracté l’hépatite C avec une personne guérie, un soutien qui lui permet aussi de relativiser le traitement et la maladie.
Deux membres de l’équipe ont par ailleurs été formés à la réinsertion par le travail et proposent, chaque semaine, deux heures sur la question à deux usagers. Il s’agit de les remotiver, de les aider dans leurs démarches de recherche car pour certains, la question du travail vient avant celle du logement, c’est une manière de garder la tête hors de l’eau et de se projeter.
RdR en prison et lutte contre les discriminations
Enfin, depuis le début de l’année, nous intervenons également au sein de la prison des Baumettes. Un grand pas de franchi : la RdR commence à mettre les pieds en prison. Nous pouvons rentrer avec un peu de matos (Roule ta paille et préservatifs), ce qui est déjà énorme car n’oublions pas que « ce qui se passe en prison reste en prison », et on ferme les yeux sur l’interdit qui passe les portes comme la consommation. Mais l’idée de notre présence à la Structure d’accompagnement vers la sortie (SAS), c’est aussi de préparer les personnes à leur sortie, de les accompagner, faire des tests rapides
d’orientation diagnostique (Trod), etc. Un projet important, dans la mesure où nos usagers sont régulièrement incarcérés. Nous sommes là pendant et après. Il nous arrive parfois d’être en lien avec les conseillers pénitentiaires d’insertion et d’accompagner des usagers à leur procès.
Notre Observatoire et défense des droits des usagers (ODDU)1 est par ailleurs là pour dénoncer le flot de discriminations dont sont sans cesse victimes les usagers. Dans certaines institutions (hôpital, commissariat,
mais pas que), leur vulnérabilité entraîne en effet de réelles situations
d’injustice, voire de maltraitance : une personne à qui on refuse de prendre la plainte, un soignant qui laisse l’usager sans soins de confort, un gardé à vue sans traitement de substitution, ou celui qui attend en vain son traitement à l’hôpital. Notre équipe s’occupe ainsi activement de
faire remonter les témoignages pour faire avancer les choses car si ça nous met en colère, nos usagers baissent les bras, et les institutions continuent de faire mal : mal leur travail et mal à ces personnes. Il faut que cela change.
Aujourd’hui, Asud Mars Say Yeah s’implique ainsi avec conviction dans toutes ces missions afin de promouvoir et défendre la RdR et lutter contre la stigmatisation des consommateurs. Un bout de chemin a été parcouru depuis 1995, mais beaucoup reste encore à faire.
Charlotte Cornu & Lucas Muller
- Déclinaison régionale de l’Observatoire des
droits des usagers (ODU) lancé quelques
années plus tôt au niveau national.