Aujourd’hui, un patient qui commence un traitement de son hépatite chronique active C devrait arrêter l’alcool, le tabac et… le cannabis. L’alcool, parce que son hépatotoxicité n’est plus à démontrer et que l’on sait malheureusement que les hépatites C sous alcool évoluent rapidement vers la cirrhose. Le tabac, parce qu’il accélère la fibrose, c’est-à-dire la transformation de tissu hépatique fonctionnel en tissu sans activité biologique. Le cannabis enfin, parce que, tout comme le tabac, il semblerait avoir un effet fibrosant. C’est le principe de précaution qui, dans ce dernier cas, devrait s’appliquer.
Demander à des usagers ou ex-usagers de drogues de renoncer à l’alcool, au tabac et au cannabis n’est pas raisonnable et en faire une condition de l’accès au traitement serait les exclure d’un tel accès. Voilà plusieurs années déjà que des études concluent que le cannabis a des effets fibrosants. C’est une mauvaise nouvelle, pour au moins deux raisons. La première, c’est que de nombreux usagers fument. La seconde est bien plus embarrassante encore : des patients fument du cannabis pour mieux supporter les lourds effets secondaires du traitement interféron + ribavirine, et certains m’ont dit qu’ils l’auraient arrêté s’ils avaient cessé de consommer du cannabis. Il en est de même de patients qui sont dans des essais cliniques comportant, en outre, une antiprotéase.
Reste une question essentielle : y a-t-il consensus parmi les hépatologues sur les effets fibrosants du cannabis ? La réponse est non. Ainsi, le professeur Christophe Hézode (hôpital Henri Mondor, Créteil) est convaincu du caractère délétère du cannabis mais cet effet serait dose-dépendant et n’interdirait donc pas des consommations réduites. À l’inverse, le professeur Diana Sylvestre (Oakland, Californie) obtient de meilleurs résultats chez les patients sous bithérapie qui consomment du cannabis… Je remercie Laurent Gourarier d’avoir attiré mon attention sur ces études.
Il serait donc nécessaire qu’un groupe constitué d’hépatologues, d’addictologues et d’usagers fasse le point sur l’état actuel des connaissances afin que les patients soient en mesure de prendre une décision éclairée. C’est la proposition que j’ai faite à l’occasion du colloque THS 9 qui s’est tenu à Biarritz du 13 au 16 octobre derniers.
Une dernière remarque : il y a une dizaine d’années, une polémique était née sur la neurotoxicité de la MDMA. Persuadé que c’était un argument fallacieux mis en avant par les « drug warriors », ceux qui mènent la « guerre à la drogue », je n’ai d’abord pas pris cette question au sérieux. De longues discussions avec Jean-Pol Tassin, dont je connais la compétence et la probité, m’ont amené à changer d’avis. Il m’a alors semblé de la plus haute importance que les usagers sachent que les consommations lourdes de MDMA pouvaient provoquer des troubles cognitifs (concentration, mémoire…).
Toutes choses égales par ailleurs, la question des effets fibrosants du cannabis pose le même problème : les usagers ont le droit d’être informés des débats qui agitent la communauté scientifique car ils sont les premiers concernés. Mais tant de mensonges ont été énoncés sur les drogues que le scepticisme est la règle. Voilà qui donne à l’autosupport une responsabilité particulière pour informer sur ce que l’on sait et, plus encore, sur ce que l’on ne sait pas.