Le 28 novembre 92, le colloque anniversaire d’A.P.A.R.T.S, Association fondée en 1987 et qui propose des services d’aide aux malades en Île-de-France et à Marseille (Appartements de Relais Thérapeutique et Social, service social, aide à domicile, soutien aux malades du SIDA), a réuni 200 professionnels des soins et de l’accompagnement des malades et séropositifs, parmi lesquels de nombreux responsables du secteur associatif, mobilisés autour de la journée mondiale du 1er décembre.
Les membres d’ASUD étaient également présents, et ce, tout d’abord pour des raisons évidentes d’amitié et de reconnaissance. Comment oublier en effet que sans nos amis d’APARTS, à commencer par son président Jean Javanni, qui voici un an n’ont pas hésité dans un formidable geste de solidarité militante, à nous prêter, dans leurs propres locaux, le bureau et la logistique qui nous permettent de fonctionner au quotidien – le Groupe ASUD ne pourrait peut-être pas publier aujourd’hui ce journal.
Mais nous avions une autre raison d’être là, toute aussi évidente : c’est que les Usagers de Drogue sont une des catégories de population les plus lourdement touchées par le SIDA.
C’est à ce titre qu’entre autres, notre responsable Philippe Marchenay a été convié à animer un atelier de travail au cours duquel il a ainsi pu débattre avec… le commissaire Boucher, de la Brigade des Stupéfiants, et sa collègue Mme Boulanger. Bien que les deux policiers, en dépit d’une ouverture d’esprit et d’une volonté de dialogue évidentes, ne se soient guère démarqués des positions et des arguments répressifs habituels, leur présence même à ce débat ne peut qu’apparaître comme l’indice d’un début de changement radical dans l’attitude des Pouvoirs Publics à l’égard des drogues et de ceux qui en font usage.
C’est en effet la première fois en France que des policiers – des policiers des stups ! – s’asseyent officiellement avec des usagers de drogues à une table qui n’est pas une table d’interrogatoire !
Tout aussi significatifs de ce changement nous sont apparus la présence et les propos de Mme Barzach, qui en 87, alors qu’elle était Ministre de la Santé du Gouvernement Chirac, a, pour la première fois en France pris le risque politique de libéraliser la vente des seringues en pharmacie.
Qu’on en juge
« Face à la tragédie que vit notre pays avec la propagation du SIDA, il est inacceptable de rester passif par simple peur de considérations politiques ou électorales » a en effet déclaré avec force Madame Michèle Barzach, invitée à prononcer l’allocution de clôture du colloque anniversaire d’A.P.A.R.T.S., samedi 28 novembre 1992, à la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette.
Sur ce point précis, à savoir la timidité de la politique officielle de prévention du SIDA, et en particulier chez les usagers des drogues, Madame Barzach s’est déclarée elle-même « révoltée et agressive » face à la passivité générale « des responsables qui parlent du SIDA sans même aller voir ce qui se passe dans la réalité. D’autant que les nombreuses évaluations conduites dans le monde permettent de savoir exactement où et comment agir ». Et reprenant certains points abordés lors de l’atelier consacré à la transmission du SIDA chez les usagers de drogues intraveineuses organisé avec le Groupe ASUD (Auto-Support-des Usagers de Drogues) elle a formulé le souhait qu’enfin un vrai débat soit engagé en France, y compris, en l’élargissant au cadre international, sur la question de la libéralisation des drogues.
Outre la partie cruciale de la prévention du SIDA chez les toxicomanes pour lesquels « on ne fait pas ce qu’il y aurait lieu de faire », Madame Barzach a évoqué l’incidence croissante des facteurs économiques dans les décisions en matière de santé. Elle a estimé que le scandale du sang contaminé avait produit un véritable électrochoc de l’opinion en posant de façon dramatique la confrontation de l’éthique morale et de l’argent. « On s’approche dangereusement de la ligne jaune » a-t-elle prévenu, et face à de nouvelles tragédies qui ne sont plus à exclure « la conscience des décideurs est aujourd’hui engagée ».
Enfin, après avoir qualifié d’« absurdes » les récentes propositions de dépistage obligatoire du SIDA, généralisé sur toute la population, Madame Barzach a conclu sur son inquiétude face à « une conscience médicale en danger et qu’il faut à tout prix préserver »… Non sans avoir auparavant évoqué l’exemple de la Suisse ou de Liverpool où l’urgence de la lutte contre le SIDA chez les UD a conduit à organiser la distribution contrôlée d’héroïne.