Ce témoignage se situe dans une ville de quinze mille habitants dans une province rurale quelque part en France…
Ici, comme ailleurs les circuits de distribution du cannabis et ses dérivés sont conséquents et installés de longue date avec des moments d’abondance et de pénurie.
Mais, pour trouver “Hélène”1 il fut un temps où il fallait être bien introduit (introuvable dans la rue) pour pénétrer un milieu très fermé fonctionnant sur lui-même, dans la ville préfectorale voisine. Puis, il y a une dizaine d’années, les fameux “képas”2 à vingt “keuss”3 firent leur apparition. Depuis trois quatre ans, et parallèlement à la conjoncture sociale (chômage, nouvelle génération…) la consommation de ce produit s’est propagée dans notre petite ville et l’effet “boule de neige” n’a pas tardé à se faire ressentir, justifiant un approvisionnement quasi permanent.
Dans nos campagnes tous les milieux sociaux et styles de gens se connaissent et se côtoient plus ou moins. Malgré les modifications relationnelles que l’usage de l’héroïne entraînent, les “rapports” amicaux sont relativement maintenus et restent assez sains. Et comme “tout se sait” le dealer se doit, un peu plus qu’ailleurs peut-être, de fournir un produit de qualité et servi en quantité “honnête” pour assurer sa notoriété et sa sécurité. Souvent acheteurs et dealers sont amis dans la vie privée et partagent non seulement un même goût pour la dope mais aussi des relations professionnelles, familiales, des loisirs communs ou de chaleureux repas bien arrosés d’où une consommation (en groupe) plus proche de la convivialité cannabinique.
Mais quand décrocher est devenu une nécessité, s’arrêter, se mettre “au vert” est (peut-être) un peu plus facile que dans les grandes agglomérations car l’hygiène de vie générale y est meilleure, plus naturelle. Un cadre plus agréable sans le stress urbain, où on est moins soumis à la tentation, se prête mieux à faire refonctionner le corps normalement et à redécouvrir les petits plaisirs tout simples de la vie quotidienne.
Enfin, on peut, malgré tout, dire que ce petit monde animé par un même penchant pour cette substance illicite cohabite dans un climat où la solidarité et l’amitié restent à peu près authentiques et où les escroqueries, les arnaques qu’on attribue habituellement à ce milieu restent minimes.
Puis, arrive le jour où le fournisseur se déplace où cesse son activité, le temps des plans pourris où tu attends des heures un coup de téléphone qui ne vient pas et le manque qui se fait sentir. Commence alors la course contre la montre pour en trouver, ce qui occupe tout ton temps, ta tête, ton esprit, tes finances. Le plus souvent tu te retrancheras vers la grande ville la plus proche où selon les informations de ton réseau relationnel ton périple s’arrêtera peut-être, sinon, tu pousseras plus loin vers la capitale où, au pire, bien motivé, ce sera un aller-retour au pays des tulipes, avec tout ce que cela implique de galères, de frais supplémentaires, de souffrances physiques.
Reste la solution de s’abstenir jusqu’à la formation d’un nouveau « commerce ». Alors débute un autre combat face à un milieu médical mal informé sur le sujet voire pas du tout. Car dans certaines provinces, les institutions dites compétentes (médecins, hôpitaux…) appelées à l’aide dans ces moments là n’ont la plupart du temps aucune vraie information pratique sur le problème (alors que l’usager sait lui ce qu’il lui faut) et médicalement n’aident en rien sinon à t’abrutir à grands coups de calmants. Ledit toxico est, là encore plus à leurs yeux, un être agressif qu’il faut à tout prix rendre inoffensif. Que dire aussi des pharmaciens peu scrupuleux qui refusent de te détailler des seringues malgré la vente libre et t’obligent à acheter la dizaine voire la boîte entière (soit trente seringues) sachant bien que tu n’es pas en position d’aller te plaindre !
Contrairement aux grandes villes, l’anonymat est beaucoup plus difficile à conserver quand tu es repéré par les forces répressives locales, le SRPJ dont le département dépend, débarque et l’étau se resserre très rapidement. La promiscuité des relations a un risque encore plus important, la délation. Et, classique, la peur du gendarme pour les plus jeunes alliée à la parole des parents ayant foi en la justice, donnent des arrestations en cascade à la moindre petite affaire.
Du coup, le pauvre type reconnu à la tête du réseau fait la une des journaux locaux (voire même les actualités télévisées régionales) qui appuient leurs articles d’hypothèses les plus farfelues. Ils sera la « tête de turc » qui au jugement (qui sera exemplaire) écopera du maximum pour rassurer les honnêtes citoyens de la bourgade en question.
Quand à la personne séropositive, il lui est conseillé de n’en parler qu’à des gens de confiance, car la plupart des individus étant mal informés, et ayant nombre de préjugés (même parmi les consommateurs) des répercussions d’ordre professionnel, relationnel, le regard suspicieux que l’on lui portera sont à craindre.
Jusqu’au chantage affectif sur nos familles et nos enfants, l’usage de drogue est devenu un enfer, non pas par le produit, mais par la ségrégation, l’ostracisme, qui nous fait plus de mal que le produit lui-même, jusqu’à la maladie, jusqu’à la mort. Etre usager en province, c’est toujours prendre le risque d’être différent.
FRANCK & PUCE