Même si la plus grande partie de cette chronique est consacrée à la tentative de la Mildt de briser le moral des cultivateurs en herbe, entre deux saisies et trois interpellations, le reste de l’actualité cannabique joue en faveur des partisans du changement.
Je veux évidemment parler de Pour en finir avec les dealers écrit par le maire de Sevran en collaboration avec un flic de terrain. Difficile de passer à côté des thèses développées dans cet ouvrage tant il a été commenté dans les médias. Aux prises avec la réalité, les auteurs démontrent l’inefficacité de la prohibition et préconisent, au nom de la sécurité, de légaliser les drogues.
Un autre livre, paru quelques semaines auparavant et écrit par un journaliste qui « ne se drogue pas », Drogues : Pourquoi la légalisation est inévitable, a, lui aussi, participé à mettre le sujet du cannabis. sur le devant de la scène Il y avait bien longtemps que les télévisions n’avaient pas consacré d’émission au cannabis, un sujet qu’ils abordaient volontiers naguère. Le jour du printemps, France 2 consacre un dossier à ce sujet sous le titre Et si on légalisait le cannabis ?, une question qui contient déjà la réponse. En envoyant ses journalistes enquêter en Californie, aux Pays-Bas et au Portugal, l’émission a démontré qu’il existe des alternatives fiables à notre politique du tout répressif. Tant mieux si des politiques relaient enfin ce que nous répétons depuis des années, mais voilà qu’Étienne Apaire est arrivé avec ses gros sabots.
La Mildt découvre la cannabiculture
Alors qu’en quelques années, la politique de la matraque aidant, la culture du cannabis a fleuri partout en France, la Mildt – qui ne maîtrise pas le sujet – demandait en 2007 à l’Ofdt de se pencher sur « la part de la production domestique de cannabis en France ». En 2008, Jean-Michel Costes, feu le directeur de l’Ofdt, remet son rapport : les cannabiculteurs seraient 200 000 et produiraient 32 tonnes de beuh, 11,5% de l’herbe fumée serait locale et son taux en THC avoisinerait les 8 %… Bref, en France comme dans tous les pays d’Europe, force est de constater que la culture domestique du cannabis est en pleine expansion. La Mildt s’en émeut. Son président nous rassure, il prendra les mesures qui s’imposent dans le plan antidrogue qu’il nous concocte.
Le Circ se fend alors d’une lettre à son président1 dans laquelle il souligne malicieusement que le succès de l’autoproduction est un des effets collatéraux de la politique répressive. Le cannabis étant trop souvent coupé avec des produits nocifs, le Circ relève également qu’en cultivant son jardin, l’amateur milite paradoxalement pour sa « bonne santé ». En cultivant son jardin, il coupe les ponts avec le marché noir où il risque non seulement de se voir proposer d’autres drogues, mais aussi de se faire alpaguer au détour d’une rue par des policiers contraints de faire du chiffre. Fort de ses arguments pragmatiques, le Circ invitait la Mildt à adopter une politique tolérant la culture de quelques pieds de chanvre dans son jardin, sur son balcon ou en « placard ».
La Mildt déclare la guerre aux cannabiculteurs…
Dans son « Plan gouvernemental 2008/2011 de lutte contre les drogues et les toxicomanies », la Mildt ne tient pas compte de ces propositions sensées et promet de s’attaquer à ce « phénomène favorisé par la libre circulation des graines et du matériel de production, ainsi que par la prolifération de magasins et de sites Interrnet spécialisés dans la “cannabiculture” »… Pour éradiquer ce nouvel ennemi de l’intérieur, comme le qualifie Étienne Apaire, la Mildt décide de doter la police « de moyens de détection innovants » (appareils à infrarouge, détection aérienne, détecteurs de particules, amplificateurs de bruit…).
…l’Onrdp en rajoute une couche
Quant â David Weinberger, il déduit de l’étude qu’il a menée pour le compte de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (Onrdp) que 80% de ceux qui cultivent du cannabis le font uniquement pour assurer leur consommation personnelle. 47% de la beuh fumée en France serait en outre produite sur le territoire. David Weinberger (comme la Mildt) remarque que cette activité qui se concentre en « zone périurbaine » est facilitée par la multiplication des sites Internet spécialisés et des boutiques. Il en dénombre 400 en France… À ce rythme nous assure le rapporteur, la beuh supplantera bientôt le shit dans le cœur des fumeurs.
Mildt attack
Le 26 avril 2011, gendarmes et policiers encadrés par l’Octris passent â l’attaque et effectuent conjointement vingt-trois descentes sous l’autorité de dix-neuf parquets. Dix-huit personnes sont interpellées, dont quatorze se retrouvent en garde â vue. Ces descentes médiatisées, on les doit aux cyber policiers qui, durant de longs mois, ont espionné les cultivateurs en herbe via le site Cannaweed et réussi â en localiser certains, notamment grâce aux photos de leur jardin intime publiées sur le site.
Efficaces les policiers du Net ? Pas vraiment puisque certaines personnes interpellées ne cultivaient plus depuis des années. Quant â l’opération elle-même, il n’y a pas de quoi pavoiser : cent pieds d’herbe saisis, soit une moyenne de cinq pieds par personne. Quatre kilos de beuh de « très grande qualité », dixit Le Figaro, ont été retrouvés, ce qui ne fait jamais que trois cents grammes par jardinier, de quoi assurer sa consommation estivale. Et dire que nos flics, qu’ils soient « cyber » ou pas, ont été formés par des policiers néerlandais. S’inspirant de leurs judicieux conseils, la Mildt vient d’ailleurs de publier un guide de cannabiculture réservé aux fins limiers chargés de repérer les cultures clandestines.
Alors qu’elles s’étaient déroulées deux semaines auparavant, ces descentes orchestrées par la Mildt ont été jetées en pâture aux médias la veille de la dixième Marche mondiale du cannabis. Un méchant hasard ou un message codé â l’intention des jardiniers en herbe, des growshops, du Circ et de sa devise : « Contre la guerre à la drogue, cultivons notre jardin » ?
Encore une fois, voulant montrer au bon peuple qu’elle ne lâche pas le morceau, la Mildt a consacré beaucoup de temps, d’énergie et d’argent â la seule fin de gâcher la vie de quelques passionnés de jardinage qui, pour se fournir, n’auront plus comme recours que le marché noir avec les multiples risques que cela comporte.
Rien que le procédé – pister des jardiniers comme s’ils étaient des terroristes alors qu’ils ne présentent aucun danger pour la société – n’est pas très élégant. Étienne Apaire, qui dit craindre « que le crime organisé ne mette la main sur cette production nationale à l’image de ce qu’il se passe en Grande-Bretagne où les mafias vietnamiennes s’en sont emparées », se couvre non seulement de ridicule avec ses onze « armoires de culture » saisies, mais favorise aussi l’installation de ce qu’il voudrait combattre.
Les autres arguments du patron de la Mildt pour justifier cette tentative de déstabilisation du peuple de l’herbe ne sont guère plus convaincants : le jardinier d’intérieur produisant une herbe très riche en THC (de 20 â 25 %) est souvent « victime » de surproduction, ce qui le pousserait â se lancer « dans un trafic local », nous dit-il en substance.
En baptisant « Cannaweed » l’opération menée conjointement par la Mildt et l’Octris, le pouvoir cherche â semer la panique chez les utilisateurs du « portail francophone de la culture du cannabis » et â les priver d’une information précieuse et multiple car avant d’être un site d’échanges entre cannabiculteurs, Cannaweed est un site politique militant pour une consommation raisonnée et raisonnable.