Le 31 décembre, la loi de 1970 et son fameux article L630 (rebaptisé L3421-4) fêteront leurs quarante ans. Quarante ans de condamnations pour « incitation et provocation à l’usage » ou pour « présentation sous un jour favorable des stupéfiants ». Florilège…
Il y a quarante ans était votée la loi « relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses ». Une loi si sévère qu’un député de droite la qualifiera « d’ensemble juridique dont bien des dispositions pourraient, hors du contexte dans lequel elles s’appliquent, paraître choquantes ». Cette loi innove aussi en créant un article pour le moins curieux qui punit « l’incitation et la provocation à l’usage ainsi que la présentation sous un jour favorable des stupéfiants ». Baptisé L630 et renommé L3421-4 rien que pour embêter le Circ, cet article de loi liberticide, qui n’a pas soulevé de contestation lors du débat précédant le vote, rend l’infraction passible d’une peine de cinq ans de prison et d’une amende de 75 000 euros.
Vive la liberté d’expression
Le premier à avoir fait les frais du L630 est le gérant d’un journal de Melun, Expression 77. Qu’avait-il écrit pour déclencher le courroux de la justice ? Je ne m’en souviens pas. Le second, c’est le journal Libération qui, en 1977 et durant quelques mois, a publié la bourse du haschich, des fiches pratiques et un article sur Thomas Szasz, célèbre psychiatre américain, notamment auteur de la Persécution rituelle des drogués. Dans tout ce fatras (30 textes publiés entre 1976 et 1977), ne figure pas le célèbre « Appel du 18 joint » et c’est le procureur qui nous en donne la raison : « Sans en prôner les vertus, il tendait seulement à voir réserver plus d’indulgence à l’usage des drogues douces »… D’après Libération, ce sont les nombreuses signatures « people » qui ont dissuadé le procureur d’attaquer… Un procès où Lucien Bodard (écrivain aventurier) et Jean-François Bizot (le fondateur du magazine Actuel) sont venus à la rescousse de Serge July, son rédacteur en chef.
Avec l’avènement du socialisme en 1981, cet article de loi tombe en désuétude. Viper, magazine exclusivement dédié aux drogues et plus particulièrement au cannabis, fait son apparition en kiosque. Conçu et réalisé dans la cuisine de Gérard Santi, son rédacteur en chef, Viper est une entreprise de potes « trimant jour et nuit, dans des conditions moyenâgeuses pour pas un rond ». Au fil des numéros (trimestriels), Viper s’affirme comme le magazine qui informe sur le cannabis, dénonce les mensonges, décrypte l’actualité, mais qui ne se prend pas au sérieux pour autant et révèle quelques grands illustrateurs : notre ami Pierre Ouin, toujours présent aux côtés d’Asud, amis aussi Matt Konture, Franck Margerin… En 1984, Drogues, une revue sérieuse et socialiste, écrit que Viper est un magazine d’utilité publique. Il tire alors à 30 000 exemplaires et les publicitaires se pressent à la porte de Gérard Santi qui, épuisé et sollicité de toute part, préfère abandonner au moment où l’attendait peut-être la gloire.
Un article sur mesure pour les militants de la légalisation
Je m’égare. Quand nous avons créé le Circ en 1991, les journalistes à qui nous présentions l’association nous répondaient invariablement que nous ne tiendrions pas longtemps et qu’à la première occasion, le pouvoir nous ferait taire. Tant que nous ne représentions rien, et même si nous avons distribué des pétards lors d’une manif contre l’extrême droite en 1991 et envoyé aux médias une barrette de « Tchernobyl » (le petit nom donné au haschich coupé à la paraffine), nous n’avons pas croisé le chemin de la justice.
En 1993, le Circ organise en collaboration avec les éditions du Lézard la première « Journée internationale d’information sur le cannabis » dans un théâtre parisien. L’année suivante, nous accueillons un objecteur de conscience qui créé un « 3615 CIRC ».
C’était le temps où l’association avait le vent en poupe et participait en Prime Time à de nombreuses émissions de télévision.
Un jour de novembre 1994, je me présente pour la première fois à la brigade des stupéfiants suite à une invitation par téléphone. J’apprends que France Télécom a porté plainte contre le Circ qui présente le cannabis sous un jour favorable en écrivant sur une de ses pages Minitel que ce dernier est efficace contre le glaucome. Une autre plainte, apprends-je, a été déposée par un téléspectateur suite à l’émission de Jean-Luc Delarue où j’exhibais un pied de chanvre posé sur la table de mon salon.
Dans l’élan, les inspecteurs de la brigade des stupéfiants décident de perquisitionner notre local. Ils saisissent, non seulement nos tee-shirts, mais aussi des affiches, des flyers, des patchs, de la documentation et des milliers d’exemplaires de notre fanzine, Double Zéro. S’ensuit une garde à vue éprouvante ponctuée de discours très peu courtois.Le 3 février 1995, je suis condamné, en tant que président du Circ, à six mois de prison avec sursis et 10 000 francs d’amende pour « provocation à l’usage de substances présentées comme douées d’effets stupéfiants ». En appel, l’amende passe à 30 000 francs et le « 3615 CIRC » est définitivement fermé.
Un gouvernement qui interdit à un parti politique de sa propre majorité le droit de manifester pacifiquement dans un lieu privé, c’est inédit, non ?
Une longue série de condamnations
Cette première condamnation inaugurait une longue série ayant toutes pour fondement le fameux L630. De 1995 à 1997, les rassemblements de « l’Appel du 18 joint » sont interdits. Pour l’anecdote, en 1997, alors que la gauche reprend le pouvoir et qu’échaudé par les interdictions à répétition, le Circ passe le relais aux Verts, le préfet de police interdit tout de même le rassemblement… Un gouvernement qui interdit à un parti politique de sa propre majorité le droit de manifester pacifiquement dans un lieu privé, c’est inédit, non ?
Le problème que pose cet article dont nous réclamons la suppression depuis des lustres, c’est qu’il est interprété selon le bon vouloir des autorités. Combien de personnes ont eu maille à partir avec la police seulement parce qu’elles portaient un tee-shirt orné d’une feuille de beuh ? Pourquoi n’a-ton pas attaqué Kouchner la girouette qui, en son temps, tenait des discours enflammés en faveur de la légalisation ? Et quand Daniel Vaillant écrit qu’il faut « négocier des accords avec les autorités des pays importateurs comme le Maroc » et que ce sera aux douaniers de contrôler la qualité du haschich, ne présente-t-il pas à sa façon le cannabis sous un jour favorable ? Le Circ n’est pas la seule association à avoir été punie au nom de l’article L630… Asud, les Verts et Chiche en ont fait indirectement les frais pour avoir soutenu le Circ les années où « l’Appel du 18 joint » était interdit.
La condamnation en mars 1998 de Philippe Mangeot (président d’Act Up) pour un tract intitulé « J’aime l’ecsasy » et les procès à répétition intentés au Circ créent un ras-le-bol qui pousse les militants à se constituer en collectif, le Collectif pour l’abrogation de la loi de 1970 (CAL 70) dont la première revendication sera l’abrogation de l’article L630 du code de la santé publique. Quand Nicole Maestracci devient présidente de la Mildt en 1999, elle promet de veiller à ce que cet article de loi ne soit plus appliqué à l’encontre d’une association.
Évitez de prononcer le mot « cannabis » et évitez de soutenir le Circ, vous risquez de vous retrouver devant un tribunal…
Tout et n’importe quoi !
Si ce sont avant tout les militants qui ont subi les foudres de la justice, ils ne sont pas les seuls. Qui se souvient du magazine L’Éléphant Rose dont le premier numéro est sorti en 1995 ? Son directeur sera condamné à un an de prison avec sursis et 300 000 francs d’amende (un record) pour présentation du cannabis sous un jour favorable et provocation à l’usage du cannabis.
Cet article de loi sert aussi de prétexte à des associations pour essayer d’interdire des livres en portant plainte contre leurs auteurs et leurs éditeurs. C’est ainsi que le 10 juin dernier, j’ai été auditionné dans un commissariat suite à une plainte concernant J’attends une récolte, livre politique et manuel de jardinage… Ces manœuvres paient parfois. Suite à l’interpellation musclée du gérant d’une enseigne de la Fnac, plusieurs livres ont disparu de leur site de vente en ligne. Il faudra un article dans Libération pour que les livres en question soient de nouveau disponibles. Ouvrir une boutique où vous vendrez tout le matériel nécessaire pour cultiver du cannabis dans votre salle de bains est légal, mais évitez de prononcer le mot « cannabis » et évitez de soutenir le Circ, vous risquez de vous retrouver devant un tribunal.
Cet article de loi muselle la parole, nuit aux débats et prend en otage les médias. Dans son dernier plan triennal (2008-2011) de lutte contre les drogues et la toxicomanie, la Mildt a demandé au CSA – qui a accepté sans broncher – de censurer des écrans de télé toute allusion positive aux drogues… Et qui ose encore écrire que les médias sont indépendants ?
Quand vous croisez un étranger et lui dites que la représentation d’une feuille de cannabis est interdite en France, il n’y croit pas, et encore moins que la loi soit appliquée en priorité contre des militants. En tout cas, cette particularité de la loi qui interdit qu’on la conteste sans prendre de risques est toujours de la fête. On a le droit, écrivait encore récemment au Circ le préfet de police (voir p.19), de débattre sur le cannabis, mais pas de le présenter sous un jour favorable… Or, dès que l’on prend parti pour la légalisation du cannabis, c’est le présenter sous un jour favorable et s’exposer à de lourdes représailles.
Jean-Pierre Galland