Autosupport des usagers de drogues

Comme une pierre qui roule ( like in a Rolling Stone)

Comme une pierre qui roule ( like in a Rolling Stone)

Depuis plus de dix ans, Asud dénonce le scandale de la non-délivrance de traitement de substitution dans les pharmacies en faisant des enquêtes, en multipliant les tribunes (Libération du 27 décembre 2015) (1) et en émettant des protestations auprès de l’ordre des pharmaciens et des pouvoirs publics. D’aucuns prétendent que nous avons une perception à la fois paranoïaque et parisiano centrée du problème… Justement, Marc Dufaud, habituellement connu de nos lecteurs par son « A-Kroniks », est parti à Bordeaux, capitale du bon vin, sans avoir renouvelé sa provision de buprénorphine… Qui a dit que la délivrance de TSO ne posait pas de problèmes ?

Une phrase de Dylan m’est revenue : non, ce n’est pas Everybody must get stoned, mais « comment ça fait d’être là seul comme le plus parfait inconnu comme une pierre qui roule ? » (Like a Rolling Stone !!!!). Oh, n’allez pas pour autant vous imaginer que je me sois perdu en terre lointaine et hostile – Cette sentence-là m’est venue à… Bordeaux, Gironde.

Mais reprenons depuis le début… Quelques jours plus tôt, j’embarquais à bord d’un TGV gare Montparnasse pour un séjour improvisé d’une semaine. Si bien improvisé qu’à la descente (c’est de circonstance), je constatais dépité avoir, dans ma précipitation, oublié de renouveler mon ordonnance de médicament de substitution aux opiacés (MSO)… Autrement dit, mon « Sub » délivré pour 28 jours.

J’ai beau compter et recompter mes tablettes de Subutex® : rien à faire, même en restreignant ma consommation, ce sera trop juste. De prime abord, ça ne m’inquiète pas plus que ça. J’ai sur moi une ou deux ordonnances récentes – les contrôles de police m’ont appris ce genre de prévoyance qui épargne de déplaisants séjours au dépôt. Il suffira de passer dans une pharmacie me faire avancer une boîte ou même quelques comprimés afin de ne pas être malade. Au pire des cas, je pourrais proposer un appel ou un mail de mon toubib confirmant que je suis bien sous traitement et on conviendra ensuite d’une régularisation en bonne et due forme (2).

J’allais vite comprendre que ce plan relevait du chemin de croix… vertes clignotantes !

Cour de la Marne, Bordeaux : je pénètre dans la première officine venue. La pharmacienne, baguenaudant, non dans les pâturages mais dans les rayonnages pour une mise en place de produits de parapharmacie très rémunérateurs, a un mouvement de recul dès mon entrée. Retour vers le futur 10-15 ans en arrière ! « Ah, mais ça n’est pas possible sans ordonnance, me débite sans reprendre son souffle la quadragénaire, aussi saure qu’un hareng, d’une voix presque robotique, nous fermons pour l’heure du déjeuner je vous prierais donc de bien vouloir sortir, merci monsieur, au revoir. » J’échoue blanc !

Pas découragé, je file place Saint-Michel et là, je propose d’emblée un mail de mon médecin : « Désolé, nous n’avons pas d’Internet en ce moment… Je vous assure depuis deux jours on n’a pas de connexion. »… Ça interloque un peu, mais partant du principe que les gens n’ont pas de raison de mentir sans bonne raison justement, je veux bien les croire… les gens.

La pharmacie suivante me ressert le « Sans ordonnance, ce n’est pas possible. »
« Comment je fais ? », me rebelle-je mollement.
« Vous n’avez qu’à aller aux Capucins », me suggère le pharmacien, l’air de rien. Les
Capucins, c’est le coin « mal famé » de la ville, celui des tox et de la vente de rue. Cocasse ! Tenace, des bords de Gironde à l’avenue Victor Hugo en passant par les abords de la gare, j’étrenne à peu près toutes les officines locales, asiatiques, bourgeoises et même la pharmacie « pionnière » de la ville en termes de substitution. « On a été la première à Bordeaux à délivrer du subutex® », me renseigne la laborantine pas peu fière. Un court instant, je me sens sinon compris du moins entendu, mais même les pionniers… :

Sans ordonnance, non vraiment, blah blah

De guerre lasse, j’appelle mon toubib. Le répondeur m’informe que le cabinet est fermé exceptionnellement pour 10 jours. Il n’y a plus à tergiverser, autant consulter un médecin dans ma ville « d’accueil » et établir une prescription en bonne et due forme.

Je plonge donc chez le généraliste que m’a indiqué à rebrousse-poil la pharmacienne d’un centre commercial : situé au rez-de-chaussée, le cabinet donne sur la
rue. La porte ouverte à cause de la chaleur laisse voir la salle d’attente où patientent une dizaine de patients. Je m’apprête à me joindre à eux quand mon regard est attiré par une série de consignes placardées en A4 sur la porte à l’extérieur : les deux premières représentent l’une un chien, l’autre une cigarette, toutes deux barrées d’un panneau d’interdiction, la troisième liste les produits qui ne sont pas délivrés ici « Rohypnol®, Ritaline®, Subutex® ».

Récapitulons : l’endroit est interdit aux chiens, aux fumeurs et aux tox ! Ça a le mérite d’être clair et ça ne date pas d’hier quand on sait que le Rohypnol® est interdit depuis des années.

Il est 19 heures, j’en ai ma claque… Demain est un autre jour.

Le lendemain, je finis par décrocher – si, si ! – une consultation dans un cabinet du côté des Capucins. La femme médecin, d’abord suspicieuse, pour ne pas dire rétive, se déride à la lecture de mon historique qu’elle décrypte en introduisant ma carte Vitale dans son lecteur directement branché sur la Sécu. Elle me délivre ma prescription et joint par téléphone la pharmacienne du centre commercial pour lui indiquer ma venue imminente. Se souvenant de mon passage la veille, la patronne n’est pas très encline à délivrer sur 28 jours. « Il est de Paris, je préférerais sur 10 jours », assène-t-elle. Là, je refuse tout net. Mon médecin absent, j’exige une prescription mensuelle. Ce que j’obtiens en dépit de quelques grincements de dents.

Finalement, après trois journées de déambulations dans cette charmante et typique bourgade d’Aquitaine dont on nous vante le réveil, la percée culturelle et même l’avant-gardisme, tout rentre dans l’ordre.

Découvrir Bordeaux en pérégrinant de pharmacies en pharmacies, c’est une façon originale, voire avant-gardiste, de faire du tourisme, non ?

MARC DUFAUD

1. http://www.liberation.fr/france/2015/12/27/substitution-aux-opiaces-vingt-ans-dhypocrisie_1423123

2. Voir le Manuel des droits des usages de TSO sur asud.org

-- Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *