« Je ne suis pas l’homme du doute, je suis l’homme des résolutions. » Charles Pasqua, un homme politique comme on n’en fait plus, nous a quittés en juin 2015.
Ses collègues de l’Assemblée nationale et du Sénat ont unanimement salué son engagement à 15 ans dans la résistance, ont de concert souligné son patriotisme et son indéfectible soutien au général de Gaulle. Nicolas Sarkozy, son fils spirituel en politique, voit en Charles Pasqua « l’incarnation d’une certaine idée de la politique et de la France faite d’engagement, de courage et de convictions ». Quant à Isabelle Balkany, elle pleure la mort de « son second père, et pas seulement en politique tant cet homme était extraordinaire ». À gauche, les hommages ont été moins élogieux et Manuel Valls a dû tancer les députés socialistes qui rechignaient à se lever pour honorer la mémoire de l’homme politique.
À l’école du crime
En 1960, Charles Pasqua crée avec quelques amis le SAC (Service d’action civique), une « association ayant pour but de défendre et de faire connaître la pensée et l’action du général de Gaulle », en réalité une milice a son service qui recrute dans la police comme chez les truands, allant même jusqu’à extraire certains d’entre eux de leur prison. Parfois munis de fausses cartes de policiers, ses membres sont impliqués dans de nombreux coups tordus, de l’affaire Boulin à l’affaire Markovic, de l’enlèvement du colonel Argoud à la disparition de Ben Barka.
« Coups et blessures volontaires, port d’armes, escroqueries, agressions armées, faux monnayage, proxénétisme, racket, incendie volontaire, chantage, trafic de drogue, hold-up, abus de confiance, attentats, vols et recels, association de malfaiteurs, dégradation de véhicules, utilisation de chèques volés, outrages aux bonnes mœurs » (François Audigier, Histoire du S.A.C., éditions Stock, 2003) : on ne compte plus les chefs d’accusation portés contre des responsables du SAC qui, en 1968, étaient prêts à ouvrir les stades pour y parquer les gauchistes.
Les médias ont retenu le militant toujours au service de la France, un homme déterminé qui cachait un grand cœur sous ses airs méchants. Ils ont souligné son accent à la Fernandel, sa grande gueule et cet air patelin que les Français, les vrais, appréciaient, mais ne se sont pas répandus sur le parcours de celui qui, avant de devenir député des Hauts-de-Seine en 1968, était employé par la société Ricard. D’abord comme représentant, puis comme directeur de l’exportation où il avait sous ses ordres Jean Venturi, truand corse notoire, chargé d’importer et de distribuer du pastis au Canada, mais aussi de l’héroïne en provenance de Marseille, d’après la DEA. En 1967, un mandat d’arrêt international est établi à l’encontre de Jean Venturi qui s’est évaporé dans la nature et ne sera jamais arrêté… De là à supputer qu’il aurait bénéficié de l’aide des amis corses de Pasqua pour se faire la belle, il y a un pas que je franchis allègrement. Jean Venturi, qui dirigea plusieurs sociétés en association avec ses frères, s’est éteint en 2011 à Marseille. Il avait 89 ans.
Une main de fer dans un gant de velours
Ministre de l’Intérieur de 1986 à 1988 (le premier gouvernement de la cohabitation), mais aussi président de la Commission parlementaire sur les problèmes de la drogue, Charles Pasqua s’illustre par la répression des manifestants contre la loi Devaquet et le décès de Malik Oussekine, matraqué à mort le 5 décembre 1984 par un membre de la brigade des « voltigeurs motoportés ». Il chapeaute aussi l’arrestation des membres du groupe Action directe.
En 1988, alors que Jean-Marie Le Pen obtient 14,4 % de voix au premier tour de l’élection présidentielle, Charles Pasqua se déclare en faveur d’une alliance avec le Front national, ce dernier partageant « les mêmes préoccupations et les mêmes valeurs que la majorité ». Il profite aussi de la fusillade perpétrée par Florence Rey et Audry Maupin pour réaffirmer son combat en faveur de la peine de mort.
Après une éclipse, Charles Pasqua redevient ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire en 1993, année où le Circ organise la première Journée internationale d’information sur le cannabis. Et voilà qu’une semaine plus tard, il coupe l’herbe sous le pied des militants, déclarant que « la dépénalisation des drogues douces est un sujet de réflexion qui devrait faire l’objet d’un grand débat au Parlement », ajoutant que « dépénaliser aurait l’avantage de mettre un terme à l’économie souterraine ». Des considérations qui déclenchèrent une salve de commentaires, les plus paranos soupçonnant notre ministre de vouloir prendre en main le trafic de banlieue et d’autres de vouloir mettre des bâtons dans les roues de Simone Veil, ministre de la Santé.
Trois mois plus tard, Charles Pasqua expliquera, via L’Express, que s’il est « partisan d’un grand débat autour des concepts de dépénalisation de l’usage et même de la légalisation du commerce des drogues », c’est pour qu’éclate au grand jour ce qu’il considère comme une « mystification ». En septembre 1993, le ministre de l’Intérieur charge Simone Veil de créer une Commission. Lorsqu’il nomme en décembre son président Roger Henrion, Charles Pasqua précise que cette Commission « ne saurait en aucun cas aller dans la voie de la dépénalisation ».
Profession trafiquant
En juin 1998, la Cora (Coordination radicale antiprohibitionniste) organise son congrès annuel à Paris dans une salle de l’Assemblée nationale. Des responsables politiques et associatifs sont invités à échanger sur le thème « La prohibition est un crime ».
Le clou de ce congrès a été l’intervention d’Ali Bourequat en direct de son exil du Texas. Citoyen franco-marocain, Ali Bourequat et ses deux frères ont été enlevés en 1973 et incarcérés dix-huit ans dans le camp de la mort de Tazmamart au Maroc. En 1991, suite à la mobilisation d’organisations des Droits de l’homme et à des pressions du président américain Jimmy Carter, les frères Bourequat seront libérés et rapatriés en France.
Lors de leur très long séjour en prison, ils ont recueilli de nombreuses confidences de truands aguerris et de prisonniers politiques. Dans un livre publié en 1994 (Tazmamart : Dix huit ans de solitude, éditions Michel Lafon), Ali Bourequat accuse Charles Pasqua – grand ami d’Hassan depuis la fusion de Pernod avec Ricard – d’avoir supervisé deux laboratoires de transformation de cocaïne en 1962, l’un à Tanger, l’autre à Agadir. Il pousse le bouchon un peu plus loin, affirmant que des kilos de coke, de connivence avec les autorités françaises, « étaient transportés dans des avions militaires atterrissant dans les deux importantes bases militaires d’Évreux et de Tours ».
Et voilà qu’un jour, Ali Bourequat est contacté par Jacqueline, épouse d’un fils de la famille Hémard, propriétaire de la distillerie Pernod. Elle lui raconte que tous les ans, au mois d’août, la famille au grand complet se retrouve dans un hôtel luxueux de Genève où Françoise Hémard (l’administratrice de la holding Pernod-Ricard) distribue à tous les membres de la famille une coquette somme provenant, selon Jacqueline, des bénéfices réalisés dans le trafic de cocaïne par Charles Pasqua et le clan Hémard. Suite à ses confidences faites lors d’un rendez-vous secret avec Ali Bourequat en Grèce, Jacqueline est menacée de mort par trois individus se présentant comme des agents de la DST. Ali est à son tour agressé par des individus louches, il s’en plaint dans un entretien accordé au journal Le Monde, ce qui lui vaut d’être convoqué par le chef de l’unité antiterroriste. Il adresse aussi une lettre à Charles Pasqua par l’intermédiaire de son avocat. Craignant pour sa vie (et celle de sa fille), Jacqueline Hémard fuit aux États-Unis. Quant à Ali Bourequat, il la rejoint suite à plusieurs menaces de mort. Après avoir été reçu par l’ancien président Jimmy Carter et avoir déposé devant la Commission des droits de l’homme du Congrès, Ali Bourequat – et Jacqueline Hémard qu’il épouse – obtient l’asile politique, une décision rarissime aux États-Unis. Joint par téléphone, Ali Bourequat a réitéré ses accusations contre Charles Pasqua, lequel n’a pas bronché. Habitué des coups tordus comme le prouve son CV judiciaire, Charles Pasqua a été impliqué dans une dizaine de dossiers portant sur des pots de vin touchés dans le cadre de ses hautes fonctions politiques. Il a été relaxé dans six affaires, condamné à deux reprises (dont une pour financement illégal de sa campagne électorale en 1999), et il est mort avant de savoir ce que lui réservait la justice pour un énième détournement de fonds.
Pour Charles Pasqua comme pour Nicolas Sarkozy, la politique n’est qu’un tremplin permettant de s’en mettre plein les poches. Toujours prêt à vous rouler dans la farine, menteur comme un arracheur de dents, cynique et dédaigneux, arrogant et autoritaire, celui qui se faisait fort de « terroriser les terroristes » terrorisait aussi ses amis politiques.
Souhaitons que Charles Pasqua, qui se vantait de détenir des dossiers compromettants sur le gotha de la politique, a pris le temps de tenir le journal intime de ses multiples exactions avant de passer l’arme à droite.
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