L’héroïne, la drogue maudite des années 80, est revenue en force dans l’actualité. Entre le 20 janvier et le 02 février, un décès par overdose et 49 personnes dans le coma ont été signalés en région parisienne.
En cause, une mystérieuse « héroïne frelatée » achetée sur deux sites de la périphérie, la bien-nommée cité des Poètes à Pierrefitte, et le Clos-Saint-Lazare à Stains. À quelques jours de la mort de Claude Olievenstein, c‘est un clin d’oeil déplaisant adressé par la Camarde à nos emballements médiatiques. En 40 ans de guerre à la Drogue, plusieurs substances ont été transformées en chiffon rouge par la presse grand public. La marijuana dans les années 70, puis le LSD, l’héroïne bien sûr, l’ecstasy, le crack et même dernièrement, le cannabis. À chaque fois, un discours policier ou médical, fortement teinté de moralisme, vient cautionner l’inquiétude des familles françaises, sans jamais aborder le point essentiel : Comment agissent les « victimes de la drogue » ? Quelles sont leurs attentes en choisissant tel produit plutôt que tel autre ? Quelle est la « cuisine » de l’usage au quotidien ? Quelles techniques sont utilisées pour sniffer, fumer ou shooter tel ou tel produit ? Autant de questions qui, prises eu sérieux par les pouvoirs publics, auraient fourni en temps utiles des informations pour réduire les risques.
Reste une question de fond. Accepter de s’intéresser sérieusement à la dynamique culturelle des drogues dans un but préventif suppose de parier que les « toxicomanes » sont capables d’influer sur leur destin, qu’ils ne sont pas indifférents à l’idée de la souffrance et de la mort, et surtout qu’ils sont accessibles à des messages de santé publique, dès lors que ces derniers leur semblent crédibles. Par exemple fin janvier, justement. Avons-nous tenté d’informer les potentiels acheteurs d’héroïne ? Avons-nous communiqué sur la couleur et le type de poudre incriminée ? Brune ? Blanche ? Une de ces dopes qui gélifient dans la cuillère ? Doit-on éviter de la chauffer si cela risque d’accélérer l’adultération toxique du produit ? Était-elle irritante par voie nasale ? À fort goût d’éther quand on la shoote ? Hélas, comme toujours, priorité a été donnée à l’interrogatoire policier, avec pour unique objectif d’arrêter le ou les « méchants dealers » (voir ASUD Journal N°39 p.4), voire – une illusion récurrente des forces de répression – de réussir un jour à agrafer le dealer ultime : celui qui fabrique et vend la Drogue.
Quinze années de réduction des risques liée à l’usage des drogues pour en arriver là. Seule la catastrophe de l’épidémie de sida aura temporairement bousculé les certitudes hypocrites en ouvrant un petit espace d’autonomie pour les usagers de drogues injecteurs qui peuvent (encore) acheter des seringues stériles. Du « drug, set and setting », le triptyque olievensteinien, il ne reste que le drug. C’est toujours la Drogue que l’on combat, c’est autour des performances chimiques des produits de substitution que se mobilise le lobby médical, c’est bien la drogue et seulement la drogue qui intéresse les policiers et les juges qui contrôlent, placent en garde à vue, emprisonnent. Le reste est tabou. Que le nombre de consommateurs récréatifs augmente avec la même célérité que les arrestations depuis 40 ans ne gêne, semble-t-il, personne. Que la grande majorité des consommateurs aient comme priorité n°1 d’échapper à la fois au soin et à la police ne bouscule aucune certitude. Attendons, continuons de faire l’autruche ne sortant la tête du sol qu’au fil des drames sanitaires, sida, hépatites, overdoses. La boulimie française de psychotropes légaux ramenée à notre leadership européen en matière de répression est une schizophrénie que nous finirons par traiter, la question est de savoir comment. Avec une législation rajeunie ou avec encore plus de médicaments