Les sciences dures vont-elle nous renvoyer dans les cordes d’un ring déserté depuis la fin de la Seconde guerre mondiale: celui de l’hérédité, des facteurs génétiques et, pourquoi ne pas l’écrire, celui des races humaines. Réponse en deux temps, d’abord la génétique, ensuite la sociologie. Nous pensions cette fiction chère au Comte de Gobineau1, jetée aux poubelles de l’histoire, au nom de la science justement. Comme la Licorne ou le Sphinx, les races humaines étaient réputées animaux mythologiques, inventés par un XIXe siècle gonflé de certitudes coloniales, dont l’itinéraire sulfureux aboutissait aux chambres à gaz et aux expérimentations des médecins nazis. Il semblerait que la science contemporaine nous oblige à revoir notre copie. Notamment en matière d’addictions.
Durant pratiquement deux siècles les savants ont traité les problèmes liés à l’hérédité et la question raciale avec des instruments théoriques qui se voulaient rationnels. Classement, hiérarchie, tableaux, tous les pionniers de la classification des espèces ont flirté avec le déterminisme racial. Buffon, Linné, Vacher de Lapouge et même Darwin se sont penchés avec intérêt sur le sujet. L’erreur serait d’assimiler cette fascination pour le droit du sang à une réminiscence de l’ordre seigneurial. C’est presque le contraire. Le Naturalisme, mouvement littéraire “éclairé”, verse abondamment dans le déterminisme naturel, et ce cher Emile Zola fait de l’hérédité la principale cause de l’alcoolisme des Macquart – la branche junkee de la saga familiale qui fonde son œuvre. Dans une certaine mesure, on peut même affirmer que le racisme dit scientifique est une pierre jetée dans le jardin démocratique puisque les Blancs, qu’ils soient puissants ou misérables, sont censés hériter “naturellement” de qualités attribuées par l’Ancien Régime exclusivement aux aristocrates de Sang bleu. Adolf ayant pourri le dossier avec une guerre mondiale et cinquante millions de morts, nous avons oublié à quel point la pensée occidentale, de gauche comme de droite, avait adopté la prépondérance des facteurs héréditaires comme une évidence.
Dis-moi qui est ta maman…
Or il est aujourd’hui, moins facile de se détourner en se bouchant le nez. L’affaire s’est embrouillée depuis la véritable révolution née d’une conjonction entre la neurobiologie et la découverte du génome humain, conjonction qui réhabilite peu à peu le champs mystérieux de l’inné, au détriment de son frère cadet, l’acquis. En clair, il se murmure des choses telles que “Dis-moi qui est ta maman , je te dirai quelles drogues tu risques d’apprécier.”
Médecin responsable de l’espace Murger2 à l’hôpital Fernand Widal, le Dr Florence Vorspan l’admet sans ambages : “Aujourd’hui pour qu’une étude sur les addictions soit prise au sérieux, cela implique forcément un volet génétique ou d’imagerie cérébrale” (lire l’interview du Dr Vorspan). Un coup d’œil sur le formulaire d’inclusion du projet COM ON lève toutes ambiguïtés : “une prise de sang de 10 ml sera réalisée pour rechercher le variant génétique d’une enzyme dégradant la dopamine au niveau cérébral”. Paf! Et Florence Vorspan d’enfoncer le clou : “Il est politiquement incorrect de le dire, mais nous savons que les Noirs, les Jaunes ou les Blancs ne réagissent pas de la même façon lors de la consommation d’une substance psychotrope”. Re paf!
Mais alors on nous aurait menti? Le fameux « drug set and setting » serait donc une baliverne gauchiste pour gogos nostalgiques d’Olivenstein? Les choses sont évidemment moins simples.
Avant de ricaner, il convient de rendre un hommage mérité à la sociologie, l’anthropologie et la psychologie (ce qui inclut évidemment le Dr Freud), sciences qui permettent de comprendre à quel point les facteurs culturels et sociaux sont déterminants dans l’itinéraire d’un consommateur de drogue. Le bémol est sans doute à trouver dans l’excès de “psychologisation” – notamment dans les années 70 – qui a littéralement saturé la question pendant des lustres.
Un dossier explosif
Aujourd’hui le balancier est en train de revenir en sens inverse, quitte à ne nouveau, flirter avec les lignes sulfureuses. Le retour des interrogations génétiques trouve un écho légitime dans de nombreuses questions sociétales dites “sensibles”, dont le Mariage pour tous est le dernier exemple. Enfants adoptés sous X, enfants de donneurs anonymes, là aussi les facteurs héréditaires entrent par effraction dans un champs verrouillé – avec raison- par les inconditionnels de l’acquis.
Sur le terrain des addictions le dossier est explosif à double titre. Premièrement la piste des neurosciences et de la génétique est toute nouvelle, donc sujet à caution, voire à d’inénarrables absurdités. Ensuite cette piste fraîche est minée par un explosif diabolique: le racisme. Drogue et racisme c’est le couple infernal. La consommation de substances exotiques a toujours généré des explications racialistes, d’inspiration coloniale dans la vieille Europe ou esclavagistes aux États-Unis (lire l’interview de Michelle Alexander).
Rouvrir cette boîte de Pandore présente donc des risques évidents, à la fois sur le plan scientifique mais surtout sur le terrain éthique. Anne Coppel nous rappelle à quel point le mutisme français sur l’origine ethnique des « toxicos » des années 80 fut une arme culturelle à double tranchant. Alors pourquoi Asud, association d’usagers, devrait-elle soulever ce coin de voile pudiquement jeté par les autres acteurs sur un sujet particulièrement casse-gueule ? Peut-être justement parce qu’il s’agit de notre peau à nous, et quelle qu’en soit la couleur, nous sommes attentifs à tout ce qui peut nous aider à la sauver.
1De Gobineau, traité sur l’inégalité des races humaines, Paris, 1853
2Murger était un pochtron célèbre, écrivain à ses heures, qui a fréquenté assidûment le voisinage de l’Hôpital Fenand Widal. Bizarrement, aucun rapport avec le verbe transitif du même nom conjugué à la forme pronominale.