Décidément, les Pays-Bas auront toujours plusieurs longueurs d’avance sur le reste de l’Europe en matière de drogue et de réduction des risques.
Témoin, l’expérience d’avant-garde mise en œuvre depuis avril 1991 par l’Autorité Sanitaire Régionale d’Amsterdam. Il s’agit tout simplement de distribution de méthadone injectable, (jusqu’à 100 mg en 5 ampoules quotidiennes) à un nombre restreint d’usagers particulièrement «lourds» et réfractaires au système normal d’administration par voie orale de cette «drogue de substitution». Giel Van Brusel, responsable du département «drogue» de l’Autorité Sanitaire explique : «L’expérience reste limitée. Nous sommes très prudents pour ce qui est de distribuer de la méthadone injectable. Nous ne voulons surtout pas d’une situation où nous rendrions les gens encore plus dépendants du produit. Pas plus que nous ne voulons donner de tentations à ceux qui veulent s’arrêter… Si nous avons mis cette expérience en route, c’est d’abord pour des raisons humanitaires – par compassion. Nous voulions faire quelque chose pour certains cas qui nécessitent un accompagnement médical plus poussé de la dépendance. En particulier les usagers de très longue date, les gens dont il est clair qu’ils ne peuvent pas s `arrêter de shooter et qui par ailleurs ont de gros problèmes sanitaires et sociaux. Ce programme touche actuellement une dizaine de personnes, mais nous espérons arriver à une cinquantaine…»
Cette distribution d’ampoules de méthadone injectable s’accompagne également d’une distribution de seringues stériles et de conseils de prévention… Mais on peut évidemment se demander à quoi cela rime quand on sait qu’une des raisons d’être des programmes méthadone était, en leur distribuant sous forme buvable des doses quotidiennes de ce puissant substitut de l’héroïne, de permettre aux usagers «accros» de gérer leur dépendance et de subvenir à leur besoin de produit opiacé tout en les détournant de l’usage du shoot, avec tous les risques – en premier lieu de SIDA-qu’il comporte. Alors pourquoi la méthadone injectable ?
Là encore, ce n’est qu’une question de bon sens, de pragmatisme. Les responsables des centres de distribution de méthadone se sont en effet aperçus que quelques uns de leurs clients continuaient malgré tout à prendre de l’héroïne, bien que recevant une quantité quotidienne de méthadone suffisante à leurs besoins. Ils se sont alors demandés ce qui poussait ces irréductibles à agir ainsi, nonobstant les risques afférents à la pratique du shoot. La réponse était simple : la méthadone buvable palliait le manque en leur procurant les effets normaux des opiacés «à vitesse de croisière», mais ne pouvait en aucun cas leur donner le «flash», cet instant de plaisir total, orgasmique qu’on obtient en se shootant.
En somme, la méthadone buvable répondait à leur besoin de produit opiacé, mais ne prenait pas en compte le désir du flash, cette soif compulsive de plaisir que seule procure l’injection intraveineuse. Et c’est pourquoi ces «irréductibles» continuaient à prendre le risque de s’injecter de l’héroïne de la rue, malgré la distribution de méthadone. Face à cette situation, les responsables des services de santé d’Amsterdam ont une fois de plus fait appel à leur traditionnel pragmatisme… et commencé à distribuer de la méthadone injectable.
Au delà de la simple information, au delà de l’anecdote qui illustre bien le réalisme des autorités hollandaises, cette histoire pose une question : celle des produits de substitution et en particulier de la méthadone. Nous y reviendrons longuement dans le N°3 de ce journal.