La bannière étoilée, le shérif planétaire inventeur de la guerre à la drogue, offre de consommer du cannabis dans un cadre thérapeutique dans vingt États et légalise la fumette dans six autres. Plus au Sud, c’est la totalité des pays d’Amérique latine qui ont peu ou prou abandonné la répression de l’usage au profit de politiques allant de la simple dépénalisation à la régulation publique du marché, comme en Uruguay. Enfin, pour boucler ce tour d’Amérique, c’est au Canada, sous la houlette de son charismatique Premier ministre, Justin Trudeau, de proposer du « pot » légal aux autochtones d’ici la fin 2016.
En Europe aussi, même si on se donne beaucoup de mal pour ne pas en avoir l’air, les rats quittent le navire du prohibitionnisme dur. Après les Pays-Bas, l’Espagne, la Tchéquie et le Portugal, c’est l’Autriche qui rejoint le club des pays ayant dépénalisé le cannabis, sans doute suivie par l’Italie et l’Irlande en 2016 si l’on s’en tient aux déclarations de leurs gouvernants. Ajoutons que l’Allemagne et la Croatie ont remplacé les sanctions juridiques par des amendes, et que la Suisse reste le champion du monde incontesté du nombre de programmes d’héroïne médicalisée. Sans rompre formellement avec la guerre à la drogue, la majorité des pays européens semble se rapprocher singulièrement de la demande d’armistice.
Si ce parfum de réforme imprègne les discussions préparatoires de la prochaine session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies (lire Rien ne va plus à Kuala Lumpur !), la France, elle, reste de marbre. Toute remise en cause de l’interdit légal est frappée de nullité au nom de la sacro-sainte protection de la jeunesse, tout orateur responsable commence par une profession de foi : les drogues sont un fléau qu’il convient de combattre pour protéger la santé des jeunes. Étrangement, le caractère éminemment moral de ce préalable obligatoire n’est jamais souligné, et l’idée qu’il pourrait exister une demande légitime et rationnelle de stupéfiants est tout simplement inconcevable. Or la consommation exponentielle telle qu’elle se manifeste depuis quarante ans ne se résume ni à l’attrait des plaisirs défendus, ni à une vulnérabilité sociale ou psychique. Il existe une demande rationnelle de drogues, volontaire, raisonnée, une demande qui plébiscite les consommations modérées à risques réduits. Cette demande rationnelle de stupéfiants est sans doute l’acteur central du débat. Un acteur, souvent issu des classes moyennes, qui a de plus en plus d’exigences en matière de sécurité des échanges, de rentabilité de ses investissements, et même de respectabilité sociale. C’est précisément cet ectoplasme qui justifie le changement de la politique américaine. De l’autre côté de l’Atlantique, il se fait entendre en espèces sonnantes et trébuchantes lorsqu’il est contribuable au Colorado mais aussi comme électeur excédé par la violence des barrios. Hélas, le diktat moral qui pèse sur le débat français empêche encore pour de longues années tout partisan du changement de s’allier publiquement avec cette ombre toujours présentée masquée dans les médias.. Il lui faut encore et toujours tenter le pari impossible d’expliquer que si l’on veut rendre les drogues plus accessibles, c’est pour mieux les combattre…. Et l’on s’étonne de ne pas réussir à convaincre. Le camp des réformateurs doit accepter enfin de mettre bas les masques : moins d’« evidence based » et plus de « nice people takes drugs », un slogan qui, vu sous un certain angle, est aussi une évidence.