En 1992 est fondée une association dont l’objectif est de fédérer les usagers de drogues dures (pour reprendre la terminologie de l’époque) autour d’un journal. Il s’agit bien entendu d’Asud, une association d’autosupport composée de tox, des vrais…
Si nous avions en commun de consommer des drogues classées au Tableau A des stupéfiants, il n’était pas question de mettre sur le même plan l’innocent cannabis et la méchante héroïne, une opinion partagée par la grande majorité des cannabinophiles pour qui cette drogue représentait le diable en personne.
Notre première rencontre avec les Asudiens date de 1993… Et il nous a fallu user beaucoup de salive pour que les militants de base du Circ admettent, qu’au regard de la loi, nous étions tantôt considérés comme des délinquants, tantôt comme des malades, jamais comme des citoyens à part entière. Pour sceller notre soutien aux acteurs de la réduction des risques, le Circ publie en 1994 un texte intitulé Haschich et héroïne vont en bateau, et participe au mois de juin aux États généraux Drogues et sida organisés par le collectif Limiter la casse au Palais des congrès.
Un seul et même ennemi : la prohibition
Entre le cannabis, une drogue populaire ne présentant pas de problèmes sanitaires majeurs, une drogue socialement acceptable, et les opiacés, qui sont d’autant plus dangereux pour la santé qu’ils sont consommés dans des conditions précaires, enjeux et stratégies différent. Et pendant que les politiques des gouvernements successifs, pressés par les acteurs de la réduction des risques, et uniquement à cause des dommages causés par le VIH et le VHC, évoluaient au fil des années, les activistes du cannabis présentés comme des clowns et suspectés de faire du prosélytisme pliaient sous les coups de boutoir de la brigade des stupéfiants.
En 1998, les croisés de la prohibition ne s’en prennent plus uniquement au Circ, mais aussi aux associations qui soutiennent ses actions provocatrices et néanmoins salutaires. Et puis voilà que le président d’Act Up se retrouve devant la 16e chambre du tribunal de Paris, accusé de « présenter les stupéfiants sous un jour favorable » suite à la diffusion d’un flyer sobrement intitulé « J’aime l’ecstasy. Je suis pédé aussi ».
Ce procès a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : militant dans leur coin et à leur manière pour limiter la casse ou pour imposer leurs arguments en faveur d’une légalisation du cannabis, les associations se rassemblent et fondent le Collectif pour l’abrogation de la loi de 1970 (Cal 70), un mouvement hétéroclite (Anit, Aides, Asud, Act Up, Circ, LDH, Limiter la casse, Médecins du monde, Syndicat de la magistrature, Techno +, MJS, Les Verts, les Jeunes Verts, les éditions du Lézard, l’Éléphant rose…) dont l’objectif était de dénoncer les multiples effets pervers de la prohibition et de proposer une alternative.
« Le sida est plus grave que la toxicomanie : il vaut mieux être vivant que mort, il vaut mieux inhaler et fumer de l’héroïne que se l’injecter, il vaut mieux prendre de la méthadone, travailler et avoir une famille, plutôt que se prostituer, attaquer les vieilles dames ou mourir dans un squat. Il vaut mieux enfin renoncer à l’usage de drogues. »
« Entre guerre à la drogue et légalisation : la réduction des risques », Anne Coppel, Libération (9 mars 1993)
En juin 1998, les organisations adhérentes du Cal 70 défilaient dans Paris pour demander l’abrogation de la loi de 1970 et réitéraient l’année suivante à Marseille. En 1999, après bien des tergiversations avec les militants du Circ, mais aussi avec les principaux acteurs de la réduction des risques, je suis candidat sur la liste des Verts pour les élections européennes et chargé de représenter l’antiprohibition. Une expérience enrichissante qui nous a convaincus de la primauté du débat si l’on veut persuader les sceptiques (et ils sont légion) des avantages que tirerait la société de la légalisation du cannabis, que ce soit sur le plan sanitaire ou économique.
De dangereux prosélytes
Nous étions sur la même longueur d’ondes et pensions que, tous réunis sous la bannière de l’antiprohibition, nous obligerions le pouvoir à nous écouter mais surtout, à entendre nos arguments. L’arrivée surprise de la droite au pouvoir a brisé notre élan et modifié les stratégies des uns et des autres. Si les associations de « réduction des risques » ont obtenu en 2004 que ce concept soit enfin reconnu par la loi de santé publique, cette politique a montré ses limites. Au XXIe siècle, le consommateur d’opiacés est toujours considéré comme un malade, jamais comme un citoyen à part entière. Au pays de la tolérance zéro, celles et ceux qui militaient pour la légalisation du cannabis (qu’il soit thérapeutique ou récréatif) ont juste réussi à passer aux yeux de l’opinion publique sous-informée pour des nostalgiques de mai 68, des irresponsables ou les complices des trafiquants… Bref, de dangereux prosélytes. Il n’a fallu que quelques années, un rapport du Sénat dont l’intitulé – Drogue, l’autre cancer – était pour le moins stigmatisant et une campagne de prévention caricaturale à l’usage des ados relayée dans tous les médias pour que l’opinion publique panique.
Le printemps du cannabis
La gauche est de retour et immédiatement l’ambiance se détend, même si nous savons qu’il ne faut pas attendre grand-chose de ce nouveau gouvernement. Et voilà que quelques militants aguerris qui avaient patiemment préparé leur coup sortent du bois et lancent le Cannabis Social Club (CSC). Frustrés sous l’ère Sarkozy, les médias relaient largement cette initiative. Mais nous ne sommes ni en Espagne ni en Belgique où l’usage du cannabis est dépénalisé, nous sommes en France où le débat est verrouillé pour cause de mauvaise foi (de mauvaise loi !) ou d’ignorance crasse des politiciens. Le peuple de l’herbe s’enthousiasme, les Cannabis Social Club fleurissent un peu partout, mais des dissensions apparaissent au sein du mouvement et lorsque Dominique Broc, l’instigateur du CSC en France, se retrouve en garde à vue, les structures censées se dénoncer ne jouent pas le jeu.
Aujourd’hui, d’anciens chefs d’État de pays dévastés par des conflits entre gangs pour le partage de territoires, d’anciens hauts responsables d’instances chargées de mener une guerre impitoyable contre la drogue, et même deux prix Nobel de littérature demandent en chœur à l’Onu de « cesser de criminaliser l’usage et la possession de drogues » et de « traiter de force des personnes dont la seule infraction est l’usage ou la possession de drogues ». Une Commission au-dessus de tout soupçon qui recommande aussi « de permettre et d’appuyer les essais dans des marchés légalement réglementés de drogues actuellement interdites, en commençant, sans s’y limiter, par le cannabis ».
Nouvelle donne et rebelote
Au moment où des expériences lointaines valident notre combat contre l’obscurantisme et l’hypocrisie, les activistes du cannabis se chamaillent et se dispersent. Quant aux structures de réduction des risques, dépendantes en partie de subventions, elles colmatent les brèches et gèrent au jour le jour. En octobre dernier, l’AFR qui, comme chacun sait, est « un collectif d’acteurs engagés rassemblant des militants, des professionnels, des bénévoles, des usagers, des structures » dont le Circ, organisait ses rencontres annuelles : « Drogues, la sale guerre ». Et qu’il s’agisse des participants aux tables rondes ou des intervenants (à l’exception de la présidente de la Mildeca), tous ont souligné que le moment était venu pour les associations de se serrer les coudes et d’organiser des débats afin de dénoncer les catastrophes sanitaires et sociales engendrées par la prohibition. Un travail pédagogique à mener auprès des Français(e)s et des élu(e)s, comme le soulignait Marie Debrus, la présidente de l’AFR.