Poursuivant la série sur le combat antiprohibitionniste, Speedy Gonzalez partage avec nous les derniers rebondissements et les espoirs qu’ils suscitent pour que l’Ungass 2016 (Session Spéciale de l’Assemblée Générale des Nations Unies) soit à la hauteur des défis posés. La surprise est cette fois venue de l’Unodc (Sigles en anglais de l’Office des Nations Unies contre la Criminalité et les drogues dont le siège est à Vienne), véritable gardien du temple de la « guerre à la drogue », qui a voulu changer de cap lors de la Conférence internationale de réduction des risques qui s’est tenue en octobre 2015 à Kuala Lumpur.
Toute une série d’événements positifs (Lire les articles précédents Abattre le mur de la prohibition et La longue marche de l’anti-prohibition) ont jalonné la route depuis que cette Ungass 2016 a été avancée de deux ans à la demande de 45 pays désirant un rapide et réel tournant des politiques des drogues et la fin des hostilités, lassés par cette véritable guerre sans fin. Mais on le sait, la bataille de l’Ungass est loin d’être gagnée car de la Russie, représentant les plus durs sans RdR ni substitution, à la France, championne de ces dernières mais qui continue à pénaliser les UD pour leur conso, un large éventail de pays vont s’opposer à un changement radical au niveau de l’Onu. C’est donc le vote final qui finira par trancher ce qui exige, encore et toujours, de rencontrer les diverses délégations des pays récalcitrants dans toutes les réunions de préparation, comme le font actuellement les représentants de l’antiprohibition. Comme the Global Commission ou l’IDPC (International Drug Policy Consortium), avec un grand merci à ce dernier, tout particulièrement à Marie Nougier pour la qualité de ses infos et la constance de ses liens.
Un pas en avant…
Un événement majeur est cependant intervenu lors de la 24e Conférence internationale de Kuala Lumpur qui s’est terminée par la déclaration « Vers une décennie pour la RdR ». Pour faire court, l’heure est venue de réformer les politiques sur les drogues et d’en finir avec la criminalisation des UD. L’Unodc semblait non seulement prête à la souscrire mais devait présenter un document qu’elle avait déjà envoyé avant la conférence à quelques grands médias comme le New York Times (un procédé totalement habituel pour ce genre d’événement selon les spécialistes de l’ONU) où elle soutenait la dépénalisation… Voici trois extraits de ce document :
– « Les États membres devraient envisager l’application de mesures afin d’encourager le droit à la santé et réduire le surpeuplement carcéral, y compris par la décriminalisation de l’usage et de la détention de stupéfiants pour consommation personnelle. »
– « Protéger la santé publique est un objectif louable mais imposer des sanctions pénales pour usage et détention de stupéfiants pour consommation personnelle n’est ni nécessaire ni proportionné. Bien au contraire, la punition aggrave la conduite, la santé et les conditions sociales des personnes concernées. »
– « De petits délits sur les stupéfiants, comme la vente de drogues pour assurer sa consommation personnelle ou pour survivre dans un environnement très marginalisé… [sont des cas qui] devraient pouvoir bénéficier de possibilités de désintoxication/réinsertion, d’aides sociales et de soins et non de recevoir une punition. »
Des positions surprenantes de la part de cette agence des Nations unies, chargée avec deux autres, la CND (Commission sur les Stupéfiants) et l’OICS (Organe International de Contrôle des Stupéfiants), de surveiller l’application et le respect des conventions signées par la plupart des États pour lutter contre le trafic et la consommation de drogues. Ces déclarations sont déjà une très bonne nouvelle car si l’un des principaux organismes chargé de la répression commence à dire que celle-ci ne sert non seulement à rien mais qu’elle est contre-productive, notamment concernant la surpopulation carcérale, on peut déjà se réjouir ! Cette dernière est en effet un mal endémique pour de nombreux pays qui ont vu le nombre de leurs détenus se multiplier suite à l’apparition de nouveaux délits (informatiques…) ou davantage punis (sexuels…), ainsi qu’en raison de l’explosion de la consommation et du trafic de drogues, les enfants de la prohibition. La solution proposée est la « décriminalisation de l’usage et de la détention de stupéfiants pour consommation personnelle ». Pas mal, mais voyons la suite… !
Plus particulièrement axé sur la santé publique, le second extrait affirme que la répression pénale sur l’usage de drogues « n’est ni nécessaire ni proportionnée » et que le faire est bien pire ! Enfin, dans le troisième extrait de ce document, l’Unodc enfonce un peu plus le clou en recommandant d’aborder la question du petit trafic par le biais de la réinsertion, des aides sociales et médicales, en ôtant à la répression toute utilité.
… deux pas en arrière
Malheureusement, un démenti officiel de l’Unodc va vite refroidir nos attentes en prétextant, dès le début de la conférence, qu’il ne s’agissait que d’un document d’orientation (Briefing Paper) réalisé par la section VIH/sida de l’Unodc et qu’il n’engageait pas toute l’Agence… Un reniement de paternité alors qu’il s’agit du fonctionnement normal d’un organisme de l’Onu, qui se laisse toujours guidé par son service le plus compétent pour parler d’un problème précis. Mais surtout, alors que ce document répondait à une demande de clarification de la position de l’Unodc sur la dépénalisation émanant de plusieurs organisations comme Inpud ( International Network of People who Use Drugs (Inpud) dont Asud est membre fondateur), IDPC, HRI (Harm Reduction International)… !
Grand chambardement dans les coulisses de la conférence où les soupçons de pression sur l’Unodc vont vite se confirmer : les USA étaient effectivement mécontents d’apprendre par voie de presse que l’un des derniers remparts onusiens (qu’ils ont en outre contribué à créer) sape dans un document quarante-six ans de « guerre à la drogue ». Depuis 2010, la grande majorité des agences concernées de l’Onu comme l’OMS ou l’Onusida ont déjà déclaré leur opposition à la prohibition. Un beau couac, bien révélateur que les choses bougent, même chez les gardiens du temple de la prohibition !
Côté français, la position de la Mildeca9 pour la prochaine Ungass qui s’appuie, selon elle, sur « une approche équilibrée », n’est plus tenable pour le pays des droits de l’homme au moment où ceux-ci sont justement mis en exergue par un nombre croissant de pays et d’agences de l’Onu ! La France a beau prétendre venir à cette réunion avec le drapeau des Human Rights (sa position qui consiste à s’opposer à la peine de mort pour les trafiquants de drogues est légitime mais reste très courte), elle n’a pas encore osé franchir le pas, comme l’ont déjà fait d’autres pays. Sous peine de camper avec des pays obscurantistes ultrareligieux ou poutiniens, le temps est venu pour la France d’aborder la question des drogues avec réalisme, en admettant enfin l’échec patent de la prohibition. Et de formuler ensuite une approche basée sur le respect des droits de l’homme, la sécurité des personnes et des pays, la santé publique, la justice et la lutte contre la corruption, le tout à la lumière des multiples données scientifiques déjà disponibles. Pour qu’enfin la France s’engage sur la voie de la dépénalisation de l’usage et de la détention pour consommation de toutes les drogues !
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