« On y allait pour montrer à des professionnels de santé qui travaillent dans la réduction des risques que le cannabis est aussi un outil de réduction des risques » : en participant au colloque Toxicomanie Hépatite Sida (THS) à Biarritz, l’association Principes actifs pensait surfer sur la vague de légalisation outre-Atlantique et sur l’arrivée timide du Sativex® en France pour asseoir la place du cannabis dans les outils thérapeutiques et de réduction des risques. C’était sans compter sur la diatribe prohibitionniste servie dès l’ouverture par deux «experts » américains. Petit reportage réalisé à chaud sur les paradoxes de ce congrès historique dans le paysage de la politique de réduction des risques liée aux usages des drogues.
THS est une conférence emblématique du changement de politique des drogues en France. Les premières éditions dans les années 90 furent le lieu de controverses au couteau entre « les anciens», partisans du sevrage et de la psychanalyse et « les modernes » militants la substitution et l’échange de seringues. THS est depuis l’origine, un allié de l’auto support et des usagers, en invitant systématiquement ASUD , mais aussi le CIRC, l’association phare des partisans de la légalisation du cannabis.
Cette année nous avions proposé un focus sur le cannabis du fait de l’actualité internationale avec notre partenaire Principes Actifs.
« Pour certains le cannabis c’est une aide »
Principes actifs est une association créée en 2012 qui rassemble des personnes atteintes de diverses pathologies et faisant usage de cannabis pour soulager leurs symptômes ou diminuer leur consommation de médicaments, Fabienne la présidente raconte :
« On s’est rendu compte que le cannabis pouvait aussi être utilisé comme une aide à la substitution ou comme outil de substitution. Or si certains professionnels sont assez briefés sur le cannabis, nombre de centres de soins « menacent » ou « punissent » leurs usagers pour usage de cannabis, alors que pour eux, c’est une aide Et quand ils l’expliquent, ils ne sont pas écoutés. »
« Pour certains, poursuit-elle, le cannabis est une aide, soit en leur évitant de consommer de l’alcool, soit en leur permettant de maintenir leur sevrage d’alcool tout en réduisant leur consommation de médicaments. Et si on les oblige à arrêter, ils se reportent souvent vers l’alcool, c’est une réalité statistique. »
Et de marteler :
« Il faut tenir compte de ce que disent les gens (je n’aime pas le terme « patients »). Nous voulions porter cette parole et des études lors d’un atelier organisé avec l’aide de Laurent Appel, présenter ce qui se fait actuellement dans certains pays comme la Colombie avec le bazuco, témoigner et débattre. »
« Je suis allé à THS pour témoigner de l’aide que le cannabis m’a apportée dans mon servage d’opiacés, explique Jérôme de con côté. En tant que patient et en tant que vice-président de Principes actifs (PA) pour parler et informer sur le cannabis thérapeutique. Je m’attendais à assister à une conférence sérieuse sur les dernières études scientifiques réalisées aux États-Unis mais je ne connaissais pas ces deux Alzheimer de Ricains qui n’ont sorti que des vieux trucs du XIXe siècle, un discours de prohibitionniste. »
Désinformation débilitante
En l’occurrence, Herbert Kleber et Robert Booth, de New York et Denver, en vraies vedettes américaines de la cérémonie d’ouverture. Et avec eux, une salve en règle contre l’usage de cannabis, y compris thérapeutique qui aurait, selon Robert Booth, « entraîné une explosion de l’usage récréatif ». Florilège du seul Kleber :
« intoxication plus rapide avec des quantités moindres »,
« déclin neuropsychologique dès 25 ans »,
« peut déclencher une schizophrénie même chez personnes qui ne sont pas à risque »,
« les anecdotes ne sont pas des études scientifiques »,« les médecins qui en prescrivent peuvent être accusés de mauvaise pratique car ils ne connaissent pas la puissance et la quantité absorbée. J’ai essayé de les avertir de ces dangers, mais c’est une activité très lucrative dans les États où les prescriptions sont autorisées. Certains ne se cachent pas de gagner plus d’un million de dollars par an ». Seules quelques rares indications auraient ainsi valeur à ses yeux, en tant qu’antiémétique, lors de chimiothérapies ou pour lutter contre la cachexie, le Sativex® étant pour sa part réservé à la sclérose en plaques ou à la gestion de la douleur. « Pour le reste, il n’y a pas d’étude scientifique. L’usage médical a servi de prétexte à légalisation de l’usage récréatif. Cela a ouvert la boîte de Pandore et il est très difficile de la refermer. »
Jérôme commente :
« C’était vraiment de la désinformation débilitante tout le contraire de ce que nous nous efforçons de faire à PA. En tant que patient usager thérapeutique, j’ai vraiment été choqué par la manière dont le cannabis a été présenté à des professionnels en contact direct avec des patients usagers et qui venaient à THS pour avoir des informations sérieuses. Au lieu de ça, ils ont pu assister à un grand sketch prohibitionniste de la part de dinosaures anticannabis qui sont sûrement payés par les lobbies pharmaceutiques. »
« Je n’ai vraiment pas compris ce qu’ils faisaient là, renchérit Fabienne. Et eux ouvraient, alors que nous n’avions droit qu’à un atelier en toute fin de congrès. Relégués en bout de course parce que nous n’étions pas des professionnels de santé ou peut-être parce que nous étions trop novateurs pour eux. En tout cas, pas à la bonne place. »
Pallier au manque d’informations intelligentes et consistantes
Pour le vice-président de PA,
« cela rappelle qu’il y a encore beaucoup à faire pour faire circuler l’information sur les applications du cannabis et de ses dérivés. Je pensais vraiment en tirer du positif mais je n’ai vu que des dealers légaux vantant les derniers produits sortis sur le marché. Avec des addictologues qui fument et qui boivent un litre de pinard en mangeant, qui est addict à quoi ? »
« Pour moi, poursuit-il, assister à ce genre de congrès était une première et je pensais que ça serait plus sérieux. Mais dès que j’essayais de discuter avec un addictologue, quand il réalisait que j’étais usager, la discussion s’arrêtait net. On n’a rien pu dire, il n’y a eu aucun débat. »
Plus tempérée, Fabienne en retire quand même quelques points positifs :
« Finalement, il y avait des gens intéressés qui sont restés jusqu’au bout pour assister à l’atelier, mais on a forcément subi le fait d’être positionnés le dernier jour de congrès. Une quinzaine de personnes au total, des gens qui sont directement dans le soin avec les usagers, des éducateurs mais surtout des infirmières. »
Leurs demandes ? « De vraies questions sur le cannabis car il y a encore énormément de gens qui ne sont pas suffisamment informés. Une infirmière travaillant en consultation jeunes me disait par exemple qu’elle était « ennuyée car les jeunes en savent toujours plus que moi sur le cannabis ». Il y a donc tout un travail à faire à ce niveau-là, pour pallier au manque d’informations intelligentes et consistantes sur le cannabis. »
Pour la présidente de Principes actifs, il faudrait donc
« arriver à entrer dans les structures pour informer sur le cannabis, que ce soit au niveau des effets, de l’usage thérapeutique, de la substitution ou de l’aide au sevrage. Aller directement voir les centres pour en parler et toucher directement les gens, plutôt que de passer par ce genre de congrès. Mais c’est vrai que c’est compliqué. »
Cette réelle divergence de fond entre certains professionnels de santé, et le secteur plus militant de la Réduction des risques, n’est pas une nouveauté au Congrès THS. On pourrait même dire que c’est un peu une marque de fabrique. Ce que nous pouvons déplorer c’est l’absence de mise en scène de ces oppositions. Le débat est nécessaire, particulièrement dans le domaine qui nous occupe où sous des airs faussement scientifiques le poids des idéologies est déterminant. Aujourd’hui que l’addictologie a remplacé la réduction des risques comme concept de référence il serait profitable à tous de ne pas laisser croire que la science a permis de dépasser les oppositions de…classe entre pauvres et riches, blancs et noirs, femme et hommes qui consomment. Peut-être est-il nécessaire de mieux poser les enjeux qui se cachent derrière le faux consensus addictologique du slogan : sortons des idéologies et laissons parler la science ! Rien de plus faux ! Dans une autre session le DR Carl Hart, neurobiologiste africain américain anticonformiste invité pour parler de la méthamphétamine a déclaré :
« le problème ce n’est pas les drogues mais la guerre à la drogue ».
Ce propos subversif aurait du provoquer un tollé dans la communauté scientifique présente. Il est passé quasiment inaperçue. Cherchez l’erreur !