William Burroughs est né en 1914 à St Louis (Missouri) au sein d’une respectable dynastie bourgeoise. Après une jeunesse sans histoires et des études à l’université de Yale, son existence bifurque brusquement lorsqu’il se rend à New York pour s’y lancer dans une vie d’aventures et, entre autres, vivre son homosexualité en liberté.
Successivement gardien de nuit, détective privé, exterminateur de parasites puis voleur professionnel, il rencontre la came au début des années 40. Un véritable coup de foudre qui durera plus d’une vingtaine d’années et, en même temps qu’il déterminera sa vocation littéraire en lui fournissant la matière première de ses livres (il publie “Junkie” dès 1953), le lancera dans une carrière de bourlingueur de l’Afrique à l’Amérique du Sud en passant par la France, infatigable explorateur de toutes les marginalités et expérimentateur de toutes les transes et de toutes les extases. Une trajectoire qui fera tout naturellement de lui une des têtes de file de la fameuse “beat generation” avec ses amis Ginsberg,
Kerouac, Corso et cie… Mais une trajectoire aussi qui le mènera bien au-delà de l’épopée de ces grands ancêtres de nos “babs” des années 60-70. Car, au delà des modes, des attitudes, des multiples expériences de drogue et du radicalisme politique, Burroughs est et reste, à près de 80 ans, un révolutionnaire de l’écriture avant toute chose. Les techniques de cut-up (version littéraire du collage pictural ou du sampling musical), d’écriture automatique et de pastiche, le mélange d’ironie glaciale et de délire hallucinatoire, la violence prophétique et la richesse poétique qu’il a mises toutes ensemble au service d’une conception visionnaire d’un monde façonné par un verbe libéré des conventions narratives, miroir subversif d’une réalité altérée par les drogues, font de lui un des plus grands écrivains américains de ce siècle.
Si, de “Junkie” aux “Cités de la Nuit écarlate”, il est l’auteur de près d’une vingtaine d’ouvrages (la plupart disponibles aux éditions Christian Bourgois et dans la collection 10/18), beaucoup de ses admirateurs s’accordent à voir dans le “Festin Nu” (aux éditions Gallimard) la pièce maîtresse de son œuvre. En voici deux courts extraits…
“…je saisis l’aiguille et, en même temps, je pose instinctivement la main gauche sur le garrot. Je reconnais à ce signe que je vais pouvoir piquer dans la seule veine encore utilisable de mon bras gauche (le processus du garrotage est tel qu’on se lie habituellement le bras avec lequel on a appris le garrot). L’aiguille s’enfonce comme dans du beurre le long d’un cal. Je fouille ma chair de la pointe. Une fine colonne de sang jaillit soudain dans la seringue, aussi nette et solide qu’un toron de câble rouge. Le corps sait parfaitement quelles veines on peut piquer et il transmet cette intelligence aux mouvements instinctifs que l’on fait pour préparer la piqûre… Parfois, l’aiguille pointe aussi droit qu’une baguette de sourcier. D’autres fois, il faut attendre le signal – mais quand il arrive le sang jaillit toujours.
“…Une orchidée rouge s’épanouit au fond du compte-gouttes. Durant une longue seconde il hésita, puis il pressa le caoutchouc et regarda le liquide disparaître d’un trait dans la veine, comme aspiré par la soif silencieuse de son sang. Il restait une mince pellicule de sang irisé dans le compte-gouttes et la collerette de papier blanc était souillée comme un pansement. Il se pencha, emplit le compte-gouttes d’eau et, au moment où il le vidait à terre, l’impact de la came le frappa à l’estomac, un coup étouffé, onctueux…
“…Le vieux camé a trouvé la veine… Le sang s’épanouit dans le compte-gouttes comme une fleur chinoise… L’héroïne court en lui et soudain l’enfant qui jouissait au creux de sa main il y a un demi-siècle resplendit, immaculé, à travers la chair délabrée, embaumant la cabane d’un parfum sucré de noisettes, l’odeur des adolescents en rut…”