Pascal Tais, un jeune français d’origine marocaine, est mort mercredi 10 avril 1993, au commissariat d’Arcachon. Le mardi 6 avril, Makomé, un jeune zaïrois de 17 ans, est également décédé dans un commissariat du 18ème arrondissement. Les circonstances de ce drame ont suscité une unanime indignation au sein des autorités comme du public. Au delà de la polémique engendrée par la succession de violences policières et des manifestations de ces dernières semaines, il convient de souligner le caractère tragique de la disparition de Pascal Tais, toxicomane de 32 ans, malade du sida, en phase finale, décédé à la suite d’une longue et douloureuse agonie au fond d’une cellule de dégrisement (j’allais écrire, de “décontamination”). Cette mort n’a pas fait la une des journaux, elle n’a pas non plus mobilisé la jeunesse d’Arcachon. Seules quelques dépêches d’agence de presse et une lettre comminatoire du père du jeune homme adressée au Ministre de l’Intérieur, en ont révélé la trame sordide. Pascal Tais, symbole de cette génération vouée aux seringues collectives, est mort sous les coups. Les coups douloureux de la vie toxicomane, chargés de haine et de mépris, les coups mortels du sida, assénés en toute impunité par la législation répressive en matière de seringue, et enfin, comme on achève un cheval fourbu, les coups reçus avant ou pendant son passage au commissariat d’Arcachon, les pires, ceux qui ont fait mal au point de tuer un homme à l’endroit ou sa sécurité devrait précisément être garantie.
La mort de Pascal Tais est un fait-divers dont le scandale n’est dénoncé qu’en fonction de deux éléments circonstanciels, presque deux arguments commerciaux. Le premier est ce contexte si particulier de brutalités policières en cascade, du mois d’avril et le second est la lourde charge émotive et fascinatrice que recèle le vocable toxicomanie. Interpellé avec sa compagne devant le casino d’Arcachon, le jeune homme, en état d’ivresse (quel joli mot), est présenté à l’hôpital, où l’interne de service constate que son état ne nécessite pas d’hospitalisation. Bien que porteur d’une carte d’invalidité à 100%, Pascal est placé en garde à vue le 9 avril, avant de décéder le 10 “des suites d’une hémorragie due notamment à un éclatement de la rate”.
Depuis, les autorités policières et hospitalières ne cessent de se renvoyer la responsabilité d’un drame où l’on hésite à trancher pour savoir si l’incompétence le dispute à la bêtise ou au sadisme. Mort sous les coups, mort par manque de soins dans l’abandon de sa cellule, Pascal, dès son arrestation, s’est trouvé isolé par toute la distance que génère le mot de “toxico”, celui que l’on examine mal parce que sa particularité tombe sous le coup de la loi. Personne ne s’est mobilisé à la porte du commissariat pour protester contre cette fatalité, surtout pas ces autres victimes potentielles que sont les UD de la région des Landes. Les réunions de toxicomanes proclamés, restant en France sauf à ASUD – assimilables à une association de malfaiteurs. Cette identité maudite a poursuivi Pascal jusque dans les agences de presse où son décès, déni évident du plus élémentaire des droits de l’homme, est prudemment étiqueté sous la rubrique “divers toxicomane”, comme si le manque de soins et le passage à tabac en garde à vue étaient explicables par la condition de consommateur de drogue. Il est donc encore long le chemin à parcourir avant de pouvoir dénoncer la mort de Pascal Tais par un terme générique moins médiatique certes, mais ô combien plus digne, qui pourrait être celui tout simple de : “divers être humain”.