Vous avez adoré le sida dans les années 80 ? Vous allez détester les hépatites dans les années 2010… Le sida, c’était quand même mieux. Pas pour les morts, bien sûr. Les morts sont morts et souvent, pas très proprement. Mais la différence est flagrante pour tous les autres, les vivants, les malades, les soignants, le public. Les porteurs du VHC n’intéressent personne. « To liver and let die », dit Berne le Suédois avec un humour un peu réfrigérant.
Avec le sida, on a découvert les joies du préservatif, les délices du condom, les raffinements du Fémidon®. Que nous proposet-on comme garniture de nos hépatites ? Une cure d’interféron pégylé. Tu parles d’un pied ! Même le nom « hépatites » donne un peu mal au coeur. On a déjà les dents du fond qui baignent.
Et puis les hépatites, tout le monde s’en fout. Ce sont les pauvres ou les gens malades qui attrapent des hépatites, les gens normaux, eux, ne risquent rien. Le sida, oui, voilà un truc dangereux. Regardez Charlotte Valandrey, elle est devenue séropositive en baisant avec un tox qui jouait du rock’n’roll. Aucune chance d’être rock’n’roll roll avec une hépatite. Tout ce qui vous pend au foie, c’est une cirrhose, la maladie des pochtrons. Encore un truc, rien qu’à le prononcer on a envie d’aller au refile.
Pour lutter contre une telle fatalité, il faut donc mettre en scène quelque chose de plus digeste (blurp !). Pendant la Sainte-Hépatites, nous avons ouvert une salle de consommation de drogues illicites. Quel rapport, me direz-vous ? Aucun. Sauf le plan national de lutte contre les hépatites qui n’évoque l’injection de drogues que pour dire : c’est pas bien. Au-delà du fait d’accueillir des injecteurs de drogues, une salle de consommation, c’était donc l’occasion de mettre les pieds dans le plat. Ouvrir une salle de consommation ? C’est possible en France ? Non justement, c’est pas possible. D’où l’intérêt d’en ouvrir une, ou plutôt de faire semblant d’en ouvrir une car le truc de cette salle, c’est qu’il s’agit en fait d’un artefact, d’une performance. Très justement appelée « la salle de consommation du 19 mai », elle n’a eu pour fonction que de susciter la curiosité et le débat, avant de se transporter ailleurs puis de repartir encore, comme une exposition itinérante.
Car contrairement à la Sainte-Hépatites dont chacun se contrefout, les salles de consommation évoquent un sujet tabou : faut-il laisser les drogués se droguer pour éviter qu’ils ne se tuent ? Tous les bons sentiments s’arrêtent aux portes de la salle de consommation.
Toute l’empathie institutionnelle mise en scène pour la prise en charge de ces « pauvres toxicomanes victimes de l’hépatite C » est restée bloquée dans la seringue des usagers qui veulent une salle de shoot pour se shooter. Laisser les gens consommer dans des conditions décentes est pourtant aussi un exercice d’humanité.
Le principal mérite d’une « salle de consommation médicalement assistée » en France, c’est ainsi de transgresser ce nouveau tabou pour sauver les toxicos des ravages de l’hépatite C, en s’attaquant directement à la matrice virale qui a produit deux pandémies majeures : le caractère illicite de l’usage de drogues.