Salut ! Eh oui c’est nous, nous revoilà. Avec la sortie du second numéro de son journal, le groupe ASUD s’apprête à fêter ses cinq mois d’existence officielle. Cinq mois déjà ! Ou peut-être, cinq mois seulement, à considérer le chemin parcouru depuis notre première réunion, à l’occasion de la sortie de notre manifeste, le 9 avril dernier.
Peu importe, en fait. Ce qui compte c’est que le groupe ait réussi sa percée. Que le dialogue que nous avions appelé de nos vœux ait commencé à s’instaurer. Avec les usagers d’abord, dont beaucoup, après avoir lu le premier numéro de ce journal – qui, faut-il le rappeler, est le leur avant tout – nous ont contacté, certains décidant même de rejoindre le groupe et de travailler avec nous. Dialogue avec les professionnels, et nous ne dirons jamais assez, l’écoute et la volonté d’agir ensemble, rencontrées chez bon nombre de ceux qui hier encore-quand ils ne se mêlaient pas de notre vie – ne savaient que nous parler réhabilitation, sevrage, abstinence et encore abstinence, tandis que nous nous épuisions à leur crier notre volonté de vivre nos choix et nos désirs face à la répression et à la maladie, fût une divine surprise. Une attitude que d’ailleurs nous n’avons pas trouvée dans le seul monde des intervenants en toxicomanie, mais un peu partout chez tout ceux, médecins, juristes, magistrats, pharmaciens, travailleurs sociaux, journalistes, enseignants, parents et amis de «toxicos» – confrontés aux problèmes.
Mieux encore : à cette percée dans les esprits a répondu un début de reconnaissance officielle. Celle de l’AGENCE FRANCAISE de LUTTE CONTRE le SIDA (AFLS). En nous accordant, comme nous l’avions demandé il y a deux mois dans ces même colonnes, son soutien officiel, sans lequel ce numéro deux n’aurait jamais pu voir le jour. L’AFLS (qui est une émanation du Ministère de la Santé) nous reconnaît ainsi de facto comme partenaire pour l’élaboration d’une politique nationale de prévention du Sida chez les Usagers de Drogues. Bien sûr, cette reconnaissance par un organisme d’État ne nous concerne qu’en tant qu’agents de prévention du SIDA , et non en tant qu’usagers de drogues. Mais en France, dans un pays où la loi de Décembre 1970 ne nous laissait le choix qu’entre le statut de malade irresponsable ou celui de délinquant C’est déjà une première. Et pour nous, un premier pas vers la citoyenneté retrouvée.
Ainsi donc, la brèche est ouverte. A nous de prendre les choses en main et de nous y engouffrer. De redoubler aussi de prudence et de détermination, puisque la balle est désormais dans notre camp. Et que ceux qui nous ont accordé leur confiance – et, plus encore, ceux qui nous l’ont refusée ! – nous attendent au tournant: pas question de nous endormir sur nos lauriers.
Et quels lauriers, d’ailleurs ? Nous ne nous faisons pas d’illusions. Nous savons bien que ce début de reconnaissance, nous ne le devons pas à notre bonne mine, mais à la sale gueule du SIDA. A cette épidémie qui, en créant une situation d’urgence sans précédent, à ouvert les yeux d’une partie de l’opinion et des pouvoirs publics. Personne n’a été frappé par la grâce personne n’a eu de soudain coup de foudre pour les camés. Mais Il se trouve seulement que le Sida fait plus peur que la «toxicomanie» et que tout le monde prend conscience que, pour juguler l’épidémie, il faut «faire avec ce qu’on a» – le groupe ASUD, en l’occurrence, et le faire vite.
De même , nous n’ignorons pas qu’au moment où nous écrivons ces lignes pour nous féliciter de cette volonté nouvelle de dialogue,où nous prenons la parole sous les applaudissements des spécialistes et échangeons des poignées de mains avec les officiels, il y a au même moment des camés qui perdent leur emploi, leur maison, leur famille, qui tremblent de manque sur le béton nu, qu’on enferme à l’hôpital psychiatrique, ou bien qu’on fout en taule pour un joint de shit ou pour un képa de poudre – des camés qui continuent chaque jour à crever du Sida ou de l’hépatite, de came trafiquée, de misère, de solitude … Nous savons bien qu’il n’y a pas de miracle, là non plus.
Pas de triomphalisme donc. Mais nous persistons à dire que ce qui s’est passé ces dernières semaines, ce frémissement que nous avons senti au fil des rencontres et des contacts tous azimuts, a un sens. Et pas seulement parce que cela nous fait plaisir – même s’il est vrai qu’après tant de mépris, il suffise parfois d’un peu de respect, «rien qu’une pointe», pour nous flasher la tête et le cœur. Non, si nous nous réjouissons de la percée du groupe – et de son journal – c’est parce qu’elle correspond à un revirement historique, déterminé en grande partie par la catastrophe sanitaire du Sida, dans la conception même du traitement du problème des drogues. Un revirement voué, à plus ou moins long terme, à se répercuter sur la politique officielle des pouvoirs publics en la matière.
Nous voulons parler du remplacement progressif mais inéluctable de la «Guerre à la drogue» par la «Réduction des Risques» comme objectif prioritaire de toute intervention thérapeutique, sociale ou judiciaire dans le champ de la «toxicomanie».
En fait, ce qu’on appelle «la réduction des risques» n’est rien d’autre que le simple bon sens appliqué au traitement de la question des drogues, et de leur usage dans la société actuelle. Une approche basée sur l’acceptation de la réalité : à savoir que l’usage des drogues, et particulièrement des drogues injectables, est un fait de société, une donnée dont personne n’a jamais réussi à gommer l’existence, ni par des discours et des jugements moraux, ni à l’aide d’un arsenal thérapeutique ou pénal, aussi sophistiqué soit-il. Une réalité qu’il convient une fois pour toute d’accepter en tant que telle. La seule intervention possible face à elle, consiste à réduire les risques qu’elle comporte pour les individus concernés et pour leur entourage. L’émergence du Sida au début des années 80, ainsi que son extension catastrophique ont accru ces risques de façon exponentielle. Ce qui, historiquement, explique l’approche différente d’un nombre croissant de spécialistes et le succès actuel du groupe ASUD dont l’activité se définit précisément en fonction de réduction de risques.
Du point de vue pratique, cela signifie, de donner, d’abord, une information objective sur les implications sanitaires de l’usage de tel ou tel produit, et ensuite, les moyens de rendre cet usage le moins dangereux possible – et ce de façon à justement éliminer au maximum les risques.
Des risques qui, malheureusement, ne se résument pas au Sida, même si celui-ci est l’un des plus graves : que dire de l’hépatite, de la syphilis, de la septicémie en règle générale – sans parler de tous les accidents, parfois mortels, causés par les divers produits de coupe qui transforment le moindre achat de came dans la rue en une partie de roulette russe ? Que dire aussi des problèmes dentaires, de la malnutrition, de toutes ces petites affections dont la convergence finit par dessiner un véritable syndrome de la marginalité ?
La marginalité : nous touchons ici du doigt l’interface des dimensions sanitaires et sociales de la réduction des risques. Tout comme il est impossible de parler de prévention du Sida chez les Usagers des drogues sans parler de la prévention des autres risques sanitaires qui les menacent, il est impossible .de parler de ceux-ci sans parler des conditions d’utilisation des drogues. Des conditions qui, sont elles-mêmes déterminées par la clandestinité liée à la répression et donc à la prohibition Ce qui nous amène à poser le problème en termes de Droits de l’Homme.
De la prévention du Sida aux Droits de l’Homme, de la lutte contre l’épidémie à la remise en question de la prohibition : c’est là que se situe le champ de ce que l’on appelle «La réduction des Risques». C’est à dire le champ d’action du Groupe ASUD.