Premières analyses des résultats de l’enquête Asud/SOS Hépatites réalisée avec la collaboration de Harris Médical, qui révèle notamment de réelles difficultés d’accès au soin.
L’organisation, la diffusion, et donc l’exploitation, de cette enquête n’a, bien évidemment, pas été sans difficultés. Certainement à cause de son format (8 pages), mais aussi d’un manque de motivation des malades, et surtout parce que bon nombre d’acteurs associatifs ou professionnels n’ont toujours pas pris conscience de la gravité de cette épidémie silencieuse.
Un virus qui ne rend pas malade ?
Ce manque de mobilisation est aussi dû à l’évolution lente et totalement silencieuse des hépatites virales. Comme beaucoup de maladies chroniques, les hépatites virales sont des maladies asymptomatiques, et même au stade cirrhose, à part une fatigue accrue, on ne se sent souvent pas malade. Il faut donc arriver à comprendre que c’est « quand on va bien » qu’il faut se traiter, même si le traitement est lourd. Bon nombre de malades traités ayant admis à tort être devenus malades « à cause du traitement », ceci explique aussi la mauvaise réputation de l’interféron. Seule la moitié d’entre eux ont guéri, et un autre quart ont pu calmer l’évolution de la fibrose. D’accord, l’interféron ça secoue, mais si c’est pour éviter de gros problèmes aux trois quarts des gens traités, le jeu en vaut peut-être la chandelle, non ? Il faut vraiment comprendre que ça n’est qu’en se formant et en s’organisant à l’avance, avec son entourage, qu’on arrive à tenir 1 an de traitement, plus les 6 mois difficiles d’attente des résultats.
Reste que ces résultats sont équivalents à ceux enregistrés pour d’autres maladies asymptomatiques et chroniques et ce, quels que soient les malades.
Savoir où en sont les lésions du foie
Si on est usager de drogue actif et que l’on n’a jamais rencontré d’hépatologue, il ne faut plus attendre pour évaluer réellement les lésions du foie, de façon à mettre en place une stratégie et une prise en charge adaptée à chaque situation. Si vous ne l’avez pas encore fait, sachez que c’est l’étape vraiment indispensable qui vous permettra de savoir si vous devez rapidement être formé et bénéficier d’un premier traitement interféron, pour guérir (dans le meilleur des cas), ou au moins pour calmer le jeu avant que n’arrivent de sérieuses complications morbides. Aujourd’hui comme hier, il ne sert à rien de faire la taupe face à la peur de la biopsie car d’autres moyens existent : par prise de sang (Fibro-Test®) ou par échographie spécialisée (Fibro-Scan®). Même s’ils ne sont pas encore faciles d’accès partout en France, ça vaut vraiment le coup de faire quelques kilomètres pour cet examen, surtout quand on sait qu’au moins 45 % des usagers ayant répondu à l’enquête sont déjà en pré-cirrhose (score Métavir F3).
Un traitement plus efficace, mais…
Grâce à cette enquête, nous avons constaté que la situation a évolué depuis 2001 : le traitement de référence actuel – la bithérapie Peg-inteféron+ribavirine – a permis de passer au-dessus de la barre des 50 % de guérisons possibles. De plus, pour la moitié des malades n’ayant pas guéri, ce traitement permet quand même de réduire les lésions du foie, voire de bloquer ou ralentir sur 3 ans la progression de ces lésions. La moitié des répondants ont eu accès à un traitement, qui a également été proposé au tiers de ceux qui n’ont pas été traités. Aujourd’hui, la difficulté concerne surtout les usagers de drogues actifs et malades (au moins en hépatite modérée – score Métavir F2 –) pour lesquels il n’est plus raisonnable d’attendre en misant sur l’arrivée de nouvelles molécules. La mise à disposition des antiprotéases et autres n’aura pas lieu avant 3 à 5 ans. De plus, il est désormais possible de prendre un traitement allégé seulement destiné à bloquer l’évolution de la fibrose. Plusieurs essais thérapeutiques sont en cours.
Blouses blanches et junkies : des relations difficiles
Un cinquième des répondants déclarent ne pas avoir de suivi médical satisfaisant (20 %), une mauvaise expérience du monde médical en général (24 %), une mauvaise expérience avec l’hôpital (21 %), ou encore le refus de tout traitement (11 %) comme raisons rendant difficiles le suivi médical.
Parmi ceux qui n’ont pas fait d’examens du foie (33 %), une minorité seulement refusent de se faire suivre (9 %), ne veulent pas savoir (8 %), refusent d’aller à l’hôpital (8 %), ou pensent qu’il n’y a plus rien à faire et que c’est trop tard (6 %).
Parmi les usagers non-suivis, 12 % expliquent cette absence de suivi par une mauvaise expérience avec des médecins dans le passé, 10 % refusent de se faire suivre, ou d’aller à l’hôpital (9 %).
Les médecins n’ont pas proposé d’examens du foie à un cinquième (22 %) de ceux qui n’en ont pas eu, et n’ont pas proposé de traitement à la moitié (42 %) de ceux qui n’ont pas été traités.
Malgré ces difficultés de relation entre médecins et usagers, les trois quarts des répondants parlent de leur hépatite avec leur médecin généraliste (75 %). La mobilisation de l’équipe médicale est une motivation pour un suivi médical (42 %). Heureusement, les deux tiers des usagers répondants parlent de suivi efficace (67 %), voire très efficace (19 %), et la moitié pense même que c’est une maladie assez facile à prendre en charge (44 %).
Un nécessaire accompagnement
Du point de vue social, les répondants déclarent à la fois des critères d’insertion et des facteurs aggravants, reflétant leur fragilité : s’ils ont une couverture sociale (90 %), un logement stable (80 %) et un enfant à charge (23 %), ils n’ont, par contre, aucune activité (50 %), que le RMI (56 %), sont seuls (54 %), et ne fréquentent aucun lieu festif (34 %). La moitié d’entre eux doit donc faire face à un isolement qui peut aggraver la survenue de problèmes, notamment en cas d’usage de drogues ou de mise sous traitement par interféron. Un accent particulier doit donc être mis sur les problèmes sociaux, les besoins de soutien, et l’importance de développer l’autosupport, dans la prévention ou l’accès aux soins des hépatites chez les usagers de drogues.
Car tout comme pour le VIH à partir de 1996, cette enquête démontre magistralement que quand les usagers de drogues actifs bénéficient d’un accompagnement spécifique, ils peuvent obtenir les mêmes résultats que les autres malades. Ils sont tout aussi capables de suivre correctement les contraintes liées au traitement, à condition d’avoir une réelle écoute de la part du médecin traitant, et que la décision soit partagée. C’est peut-être sur ce point, en effet, que bon nombre d’hépatologues ont arrêté d’avoir peur et essayé de traiter des usagers, y compris actifs. Ils se sont rendu compte que, si on s’entend bien, ils peuvent nous faire confiance. Le but premier d’une prise en charge médicale adaptée, c’est de nous aider à rester motivé tout au long de la prise en charge (du traitement jusqu’aux résultats). C’est pour cela que les acteurs doivent se former et être activement mobilisés contre les hépatites virales.
Le foie est résistant jusqu’à ce qu’il…
Les répondants sont ou ont été dépendants des opiacés (53 %), des médicaments pour se défoncer (43 %), des stimulants comme la cocaïne ou les amphétamines (33 %), et de l’alcool (30 %). Ils ont injecté au moins 1 fois (91 %). Quand on est déjà à mi-course de la cirrhose, donc en hépatite modérée (score Métavir F2), et que l’on consomme régulièrement des produits hépatotoxiques (alcool, certains médicaments psychotropes, cocaïne, amphétamines, etc.), la cirrhose peut survenir dans les 3 à 5 ans, surtout si on est coinfecté par une autre hépatite virale ou par le VIH. Tous les usagers substitués ont déjà des consultations régulières avec un médecin qui devrait faciliter leur prise en charge.
Malgré tout, la moitié des répondants (46 %) n’ont rien consommé depuis un an et ne semblent plus concernés (30 %) par un besoin d’aide pour réduire ou renoncer à certaines drogues. Ils correspondent au profil d’ex-usager, chez qui l’hépatite n’a pourtant pas arrêté sa course. Grâce à la prise en charge de leur hépatite, les trois quart des répondants ont spontanément réduit leur consommation, d’alcool tout d’abord (72 %), mais aussi de drogues (67 %), et même renoncé à certaines drogues ou alcools forts (55 %).
Épidémie de cirrhoses
Dans les centres spécialisés, environ 15 % des usagers sont porteurs du VIH, même si, grâce à la RdR, les nouvelles contaminations sont devenues exceptionnellement rares par injection. La priorité reste encore trop souvent donnée au VIH, oubliant que ce sont les usagers cirrhotiques d’aujourd’hui qui risquent de mourir dans les 3 à 5 ans s’ils ne sont pas activement pris en charge et traités. Les centres devraient tous avoir une équipe spécialisée dans la prise en charge des hépatites en lien avec un service hospitalier de référence. Car si les hépatites sont largement dépistées chez les usagers des centres, la cirrhose est très souvent considérée comme banale puisque nous sommes dans un « État d’alcooliques». 1 600 000 Français ont une cirrhose (dont 90 % dues à l’alcool), et les problèmes visibles et symptomatiques n’arrivent qu’au stade terminal des maladies du foie. Il aura ainsi fallu plus de 20 ans avant d’admettre qu’il s’agissait réellement d’une épidémie, car seule une minorité de malades arrivait à l’hôpital… mais beaucoup trop tard, c’est-à-dire avec des décompensations sévères de cirrhoses (hémorragies digestives, état neuropsychique délirant, cancers, etc.).
Nous, les usagers de drogues, ne devons pas rester les bras croisés face à cette banalisation des cirrhoses « made in France », qui risque de réduire à néant nos efforts pour traiter notre hépatite. Aller prendre conseil auprès d’un autre médecin plus motivé et consommant moins d’alcool peut aussi être une solution efficace.
Mortelle dès aujourd’hui
Lors des prises de contact autour de cette enquête, de nombreux responsables de structures d’accueil pour usagers de drogues ont reconnu que, parmi les usagers qu’ils suivent, le nombre de décès lié aux hépatites a au moins doublé en 2004-2005, comparé à 2000-2003. Tout comme face à l’hécatombe du VIH au début des années 90, avec l’épidémie d’hépatite C, les courbes de mortalité liée au foie risquent de décupler dans les 3 à 5 ans à venir, si rien n’est fait rapidement en termes d’amélioration d’accès au traitement des hépatites, spécifiquement pour les usagers de drogues actifs.
Convaincre les autruches de se bouger
Évidemment, les responsables et les médecins de CSST se plaignent souvent que les hépatologues hospitalo-universitaires ont encore des difficultés de prise en compte des usagers dans leur file active. Seulement, c’est aussi au centre d’arriver à informer et motiver les chefs de service. Les expériences les plus concluantes sont celles où un hépatologue hospitalier a pu ouvrir une consultation avancée dans un CSST puisqu’il peut à la fois former tout le personnel de soin et prendre en charge directement les malades les plus avancés.
À nous d’aller les réveiller
À partir de l’expérience du VIH, nous savons bien que c’est aussi à nous, usagers, de militer et convaincre les acteurs de soins, un à un. Face aux hépatites, l’autosupport doit devenir plus actif. Un rôle dans lequel les usagers déjà traités et pris en charge par un hôpital peuvent arriver à faire connaître les blocages et donc avancer la situation, avec le relais d’associations comme Asud ou SOS Hépatites.
La moitié des répondants de cette enquête sont des usagers qui se sont largement investis dans la prise en charge de leur hépatite. Aujourd’hui, c’est à ces usagers expérimentés de monter au créneau pour tous les autres usagers qui ne sont pas encore admis dans les filières de soin. Les résultats de cette enquête nous donnent des arguments permettant de convaincre les acteurs du soin encore réticents. Alors préparons-nous à une rentrée active et militante pour notre foie et celui des autres.