Nous sommes donc entrés dans l’ère post-Charlie. Une de ces périodes historiques en forme de césures où l’on se surprend à penser à l’avant et à l’après. Après Charlie, plus rien ne sera comme avant. Chacun se rappelle ce moment crucial du 7 janvier : À qui a-t-on parlé ? Où étions-nous ? Le 11 septembre français a éclipsé des événements majeurs comme les aventures littéraires de Valérie Trierweiler ou le périple carcéral de Nabila. L’espace d’un court instant, nous voilà tous obligés de réfléchir à nos vies, nos métiers, et forcément ici, à la rédaction d’Asud, la question est venue d’elle-même : Et la drogue dans tout ça ?
La réponse, c’est le pharmakon, ce mot grec signifie à la fois le remède, le poison et la victime expiatoire, le bouc émissaire que l’on sacrifie… On comprend aisément pourquoi ce mot fascine les spécialistes des addictions. Il désigne à lui seul les faces multiples du monstre connu sous le nom de « drogue ». Poison pour les uns, remède pour d’autres, mais surtout bouc émissaire, prétexte idéal, casus belli de rêve. Le pharmakon, c’est une entrée permanente pour les chars en Pologne, un attentat quotidien de Sarajevo. Grâce à lui, les hommes riches et puissants de nos vieilles démocraties d’Occident peuvent dormir tranquilles, il sera toujours là pour être brandi si nécessaire. Depuis 1970, le pharmakon nous aide à maintenir l’ennemi sous pression, à savoir les jeunes, les minorités d’origine africaine, les pauvres, et de préférence, ceux qui sont tout cela à la fois.
Le pharmakon, donc. Il y a quelques années, nous avions déjà évoqué ce lien entre l’usage de substances psychoactives et le recul de la religion. Nous avions suggéré de considérer la place occupée dans nos sociétés matérialistes et athées par le nouveau clergé en blouse blanche qui détient le pouvoir magique de prescription. Nous avions écrit sur les « chimiocrates », ceux, addictologues ou addicts tout court, qui croient au pouvoir des petites pilules pour changer la vie. À l’époque, les fous de Dieu commençaient à faire la Une des journaux, mais les quartiers dits « sensibles », peuplés de descendants d’immigrés, étaient depuis longtemps engagés dans une sinistre dialectique entre le dealer d’un côté et l’imam de l’autre, la République ayant déclaré forfait.
Le temps a passé, creusant toujours le même sillon… Pharmakon : poison, remède et bouc émissaire. Aujourd’hui, c’est l’islam qui colle point par point à ces trois définitions. Attention, un pharmakon peut en cacher un autre…