Tenter le crack, pour voir, par curiosité de vieux guerrier revenu des batailles, draguer un «pote» qui sait … et buter sur le caillou, comme un bleu. Témoignage.
Depuis un moment j’entendais les rumeurs les plus folles sur le crack. Ma curiosité toxicomaniaque en était tout émoustillée. Après 20 ans de carrière, j’avais à peu près essayé tout ce qui tourne sous le nom de drogues. Stabilisé à la méthadone, et bien que redoutant la cocaïne, je m’estimais assez aguerri pour tester en toute sécurité le mystérieux caillou.
Le discours alarmiste tenu sur le crack m’en rappelait d’autres et la perspective d’une bonne défonce sans avoir à me trouer les veines m’excitait méchamment. L’occasion de me déniaiser s’est présentée en mai. Un «pote» me proposa d’aller pécho du caillou, et vite fait mec. Le malin, connaissant le produit, avait vite compris le bénéfice à tirer de mon initiation. Car si acheter du caillou est facile, le fumer requiert de l’habileté. Bref, après dix minutes d’attente Porte de Clignancourt et en échange d’un pascal, quatre petites «plaquettes» passèrent de la bouche d’un modou aux nôtres.
En apnée
De retour dans la turne du pote, après quelques coups de cutter bien placés, la première bonbonne s’ouvrit découvrant un petit rock blanc, tendance jaunâtre ressemblant à une lamelle de savon ou à de la cire de bougie. Les yeux brillants d’excitation, mon initiateur prépare fébrilement la pipe, un doseur à pastis ébréché. Sur l’embout qui sert de fourneau il place un filtre, du fil électrique compressé, le chauffe puis pose dessus un bout du précieux caillou qui fond illico sur la ferraille incandescente. Angoisse et stupeur, le caillou se serait-il volatilisé avant même que j’ai pu en goûter?
Mon collègue cracker me rassure: le caillou à bel et bien fondu mais en s’imprégnant sur le filtre. Il ne reste plus qu’à chauffer ce bazar et en aspirer goulûment les vapeurs. Premier essai: loupé. J’ai recraché la fumée trop vite. L’autre tête à crack en profite pour me faire une démonstration gratuite: approchant la flamme du fourneau improvisé, il aspire lentement et longuement la fumée blanchâtre qui emplit le doseur, spectacle aussi fascinant que le sang remontant dans la shooteuse après la tirette.
Merde, ce mec à des poumons de plongeur! Il reste en apnée, tentant de conserver la fumée dans ses poumons. Ça commence à m’inquiéter, il devient tout blanc. Les yeux exorbités, pris de spasmes, il toussote renvoyant des volutes de fumée puis, n’y tenant plus, il recrache un monumental nuage à l’odeur âcre. Le voilà tétanisé sur sa chaise, l’air salement défoncé, un sourire béat illuminant sa face de rat, heureux.
Plutôt impressionné, je passe à mon deuxième essai. X me chauffe le caillou, j’aspire d’un seul coup toute la fumée, la retient une dizaine de secondes dans mes poumons, et soudain: paf, c’est la baffe. Ma bouche est anesthésiée, mon cerveau s’enveloppe d’une brume électrique jouissante. Tout clignote dans ma tronche. D’un robinet coule une musique superbe, tout est clair, je suis fort, le monde m’appartient. Mais pas longtemps. L’état de grâce disparaît après deux minutes. Reste une excitation proche d’un simple sniff.
Au final, l’effet du caillou fumé est très proche de celui d’un fix de coke, quoique moins puissant et peut-être plus court. Bref, c’est très bon mais pas nouveau. Après dix minutes de bavardage futile, arrive l’angoissante mais si classique descente de coke. Nous la retardons grâce à trois autres cailloux, mais sans jamais retrouver l’effet fantastique de ma première baffe
Frustré, mélancolique, je quitte X. Je n’ai plus envie de parler, je veux rester seul au calme. X ne me retient pas, et pour cause, il attend avec impatience que je me casse pour récupérer l’huile de coke qui a abondamment coulé dans le doseur. C’est l’ambiance-reine chez les crackers: «tout pour ma gueule».
La suite est moins rose. Cette petite virée m’avait redonné goût à la coke. Le mois suivant, mon salaire complet partit en fumée. A court de tunes, je commençai à emprunter, puis à utiliser le compte en banque de mon taf. De retour dans les rues mal famées, je me suis remis à galérer comme jamais. La défonce au caillou revenant très cher, je repris le shoot pour être bien sûr de ne rien perdre.
Le crash du vétéran
La descente aux enfers était bien entamée quand après une nuit chargée, je fus pris d’une crise de convulsions qui m’envoya à l’hosto. J’étais lessivé physiquement, moralement et matériellement. Contraint à l’ exil, je me remet doucement de ce crash, tentant désespérément de comprendre, comment moi, un digne vétéran des drogues, j’ai pu me faire ainsi baiser la gueule. Dans les cauchemars qui rythment mes nuits, des cailloux (inaccessibles) ont remplacé les sachets d’héro, un doseur (fêlé) la shooteuse. Seule consolation, je ne souffre pas de manque comme avec l’héro. Bof.