Retour sur la loi Marilou ou comment la mort tragique d’une petite fille a donné lieu à l’élaboration de l’arsenal législatif destiné à lutter contre l’usage de drogues au volant.
En 1993, au nom de la sécurité routière, on nomme un comité chargé de rédiger un Livre blanc sur les effets des médicaments et des drogues au volant, un comité présidé par Georges Lagier, membre de l’Académie nationale de médecine et fervent prohibitionniste. Sorti en 1995, Sécurité routière, drogues licites ou illicites et médicaments souligne « la discordance entre la richesse des mesures législatives et réglementaires concernant l’alcool, et la quasi-absence de dispositions spécifiques concernant les médicaments et surtout les drogues illicites », et préconise de modifier la législation sur le code de la route afin de rendre possible la détection « d’une conduite sous l’influence de substances, illicites ou détournées de leur usage, capables de modifier l’aptitude à la conduite ». Et nos auteurs de suggérer d’effectuer des recherches seulement en cas d’accident corporel ou lors d’une infraction grave aux règles de la circulation. Mais à l’époque, la France ne dispose pas de test capable de détecter les principales drogues illicites, encore moins de définir un seuil au-delà duquel l’automobiliste est sous influence d’un stupéfiant.
En 1996, Richard Dell’Agnola présente un projet de loi afin de dépister l’usage de stupéfiants au volant où il propose, en cas d’accident, de punir de deux ans de prison et 30 000 francs d’amende tout conducteur dont le test urinaire s’avérerait positif. Et Patrick Sansoy, président de la Dgldt (Délégation Générale à la Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie), de s’étonner que les neuroleptiques soient exclus de ces tests de dépistage ! C’est finalement le 18 juin 1999 qu’est votée la loi instituant un dépistage systématique de stupéfiants sur tout conducteur impliqué dans un accident mortel. Son décret d’application paraîtra en août 2001, au moment où le gouvernement lance une enquête épidémiologique relative à l’influence des substances stupéfiantes sur 10 000 conducteurs impliqués dans un accident mortel.
Une loi de circonstance
Un fait divers tragique va précipiter les choses. La nuit du réveillon de l’an 2001, sur le coup de 4h00 du matin, la Scénic de la famille Poinsot est violemment percutée par une Renault 21. Marilou, 9 ans et demi, est tuée sur le coup. Le 25 avril 2002, ses parents fondent l’association Marilou : pour les routes de la vie, dont l’objectif est de renforcer les réglementations en vigueur mais aussi d’intervenir dans les médias et dans les écoles pour sensibiliser les ados sur les dangers de la drogue au volant.
Aveuglée par la douleur et convaincue de défendre une juste cause, Nadine Poinsot interpelle nos députés et même Jacques Chirac. Invitée sur tous les plateaux télévisés où l’on disserte du « fléau » du cannabis, elle est d’une redoutable efficacité : punissant la conduite sous emprise stupéfiante, la proposition de loi déposée par l’inusable Richard Dell’Agnola sera votée en janvier 2003.
Pour justifier de la nécessité d’une loi, le député s’appuie sur une étude de Patrick Mura (président de la mystérieuse Société française de toxicologie analytique) qui affirme que 20% des conducteurs de moins de 27 ans impliqués dans un accident étaient sous l’emprise du cannabis ! Une étude que le professeur Claude Got (expert en accidentologie) conteste : « Sur les huit études épidémiologiques menées dans le monde sur le sujet, écrit-il, une seule a pu mettre en évidence un lien entre consommation de cannabis et risque routier. » Pour ne prendre qu’un exemple, l’étude du Transport Research Laboratory australien, qui a fourni à quinze fumeurs aguerris des pétards de beuh californienne corsée avant de les mettre au volant, amène l’Australian Drugs Foundation à conclure que le cannabis diminuerait le risque d’accidents!
En France, l’étude « Stupéfiants et accidents mortels de la circulation routière » (SAM) est quantitative. S’appuyant sur un échantillon de 7 458 conducteurs impliqués dans des accidents mortels répertoriés en France entre 2001 et 2003, elle a conclu que le nombre annuel de victimes imputables au cannabis sur les routes serait de 230. Il « tuerait » dix fois moins que l’alcool, d’où l’hésitation du gouvernement à publier les résultats de l’étude SAM.
Gare aux yeux rouges
Lors de la discussion à l’Assemblée nationale, la palme du ridicule qui ne tue pas pour autant revient à Jean-Claude Lemoine (UMP) qui affirme « qu’un joint équivaut à 0,80 gramme d’alcool dans le sang ». Les députés de droite votent le texte de loi à l’unanimité, suivis par les députés socialistes présents dans l’hémicycle. Quant aux Verts et aux communistes, ils votent contre. Si le test détecte aussi d’autres drogues, la cocaïne, l’héroïne, les amphétamines, la loi a oublié en cours de route (merci les lobbies pharmaceutiques) les médicaments psychotropes dont les Français sont si friands.
Depuis 2003, donc, policiers et gendarmes doivent soumettre à un dépistage tout conducteur impliqué dans un accident mortel mais aussi, et c’est là que le bât blesse, « après une infraction au code de la route ou pour suspicion de conduite sous influence ». Gare aux yeux rouges !
Subsiste tout de même un gros problème : lors de la prise de sang qui suit l’analyse d’urine lorsqu’elle est positive, un seul nanogramme (neuf millièmes de milligramme) de THC détecté suffit à faire de vous un danger sur la route. D’où le nombre d’automobilistes testés positifs alors qu’ils avaient fumé la veille.
En 2008, le test salivaire remplace le test urinaire, mais d’après une étude du professeur Patrick Mura relayée par l’Académie nationale, 10,1% des conducteurs contrôlés se sont révélés être des faux positif et 19% des faux négatifs !
« Ayons une pensée pour la jeune Marilou tuée par un chauffard sous l’emprise de stupéfiants », déclare Dominique Perben qui lui dédie cette nouvelle loi. Soutenue par toute l’arrière-garde prohibitionniste, parrainée par le Sénat, Nadine Poinsot a pesé de tout son poids pour que soit adoptée la loi contre la conduite en état d’ivresse stupéfiante… Et forte de ses soutiens politiques, l’association Marilou est aujourd’hui membre du Conseil national de la sécurité routière, agréée par l’Éducation nationale et autorisée à se porter partie civile dans les procès.
Surfant sur la vague d’émotion suscitée par la mort tragique d’une petite fille, la loi, avec la complicité de politiciens manipulés et manipulateurs, a été adoptée dans la précipitation. Une première devenue une mauvaise habitude sous le règne de Nicolas Sarkozy, qui a fait adopté cinq lois dans la foulée de faits divers sordides.
Des peines exemplaires !
Sans que personne ne s’en émeuve, la présidente de l’association Marilou a aussi dépensé beaucoup d’énergie pour que le conducteur de la voiture ayant accidentellement tué sa fille soit condamné à une peine exemplaire. Âgé de 18 ans, conduisant sans permis avec un taux de 13,4 nanogrammes de THC par millilitre de sang, il a été condamné par le tribunal de Pontoise à une peine de trois ans d’emprisonnement, dont un ferme, une condamnation que la famille Poinsot a trouvé trop clémente. En 2004, sous prétexte qu’il ne respectait pas les obligations édictées par le tribunal, Nadine Poinsot poussera à la roue pour que le tribunal de Versailles fasse sauter le sursis du conducteur de la Renault 21. Elle s’est aussi acharnée sur les passagers exclus de la procédure judiciaire, en obtenant qu’ils soient reconnus coupables du délit de « complicité d’homicide involontaire ». Ils seront condamnés à un an de prison avec sursis et 600 euros d’amende.