Alertés fin 2015 par plusieurs témoignages sur des héroïnes aux effets bizarres (et surtout très courts) qui tournaient sur le Darknet, Asud, Techno+ et Not For Human ont pu se procurer quelques échantillons que nous avons fait parvenir au dispositif international d’Energy Control pour analyse.
Les échantillons se sont effectivement avérés contenir de l’héroïne mais aussi être coupés à l’ocfentanil, un dérivé de fentanyl environ 2 fois plus puissant que ce dernier, lui-même largement plus puissant que la morphine à dose égale (certains parlent de 50 fois plus puissant)… Ses effets sont en revanche nettement plus brefs (2 heures environ) et moins euphorisants que ceux de l’héroïne, ce qui pousse à reconsommer plus vite et augmente donc la tolérance, la dépendance et le risque d’overdose pour finalement un effet moins agréable qu’avec de l’héroïne. Bien connu aux USA, le fentanyl (surnommé là-bas « China White ») est responsable d’un paquet d’overdoses dont la plus connue et récente est celle de Prince.
Fin 2015, nous avons donc lancé une alerte sur plusieurs sites et forums du Darknet et du Clearnet. Depuis, d’autres témoignages nous sont cependant parvenus, qui laissent entendre que des vendeurs belges (une overdose d’héro coupée à l’ocfentanil achetée sur le Darknet a été avérée en 2015 en Belgique) et français continuent à vendre ce type de produits. Un petit tour des principaux markets du Darknet nous a appris que certaines offres étaient effectivement tout à fait suspectes, comme ce Français proposant 8 héroïnes différentes en annonçant pour toutes des provenances folkloriques (Syrie, Myanmar, Vietnam, Pakistan, Liban, Iran, etc.) et une puissance hors du commun. Le dispositif anglais Wedinos semble avoir analysé deux d’entre elles (Myanmar et Syrie) qui se sont avérées ne même pas contenir d’héro : uniquement de l’ocfentanil avec, bien sûr, des excipients (paracétamol et caféine). Nous avons donc essayé de nous en procurer pour procéder à des analyses, mais le projet a capoté. Il semble que les vendeurs nous aient identifiés (facile avec Google) et aient partagé cette information : les plus suspects refusèrent de tracter avec nous et on a même reçu par courrier un étrange petit mot manuscrit : « Vous devriez faire attention » !
TENDANCE NAISSANTE MAIS PRÉOCCUPANTE
Sur le Darknet, il est clair que les arnaques aux dérivés de fentanyl se diffusent. L’offre de ces dérivés, tels que butyrfentanyl, acetyl fentanyl, ocfentanil, furylfentanyl, etc., vendus en tant que tels, se développe également. Pour la première fois, un vendeur européen (anglais) propose de la « China White ». Sur le web normal, les shops de RC proposent aussi des RC opioïdes non-classés stupéfiant comme le UR47700 ou le o-dysmethyltramadol. Autant de produits dont les prix défient toute concurrence et qui apparaissent comme de parfaits produits de coupe de l’héroïne pour des revendeurs peu scrupuleux.
Globalement, les saisies douanières européennes d’opioïdes de synthèse sont en augmentation mais restent marginales par rapport aux drogues classiques. Inutile, donc, de tirer la sonnette d’alarme, d’autant que la diffusion de ces produits semble limitée à l’achat de drogue sur Internet et à la vente par correspondance et toucher peu de gens en France. En Suède en revanche, un récent rapport de l’Emcdda annonce que l’acetyl fentanyl est impliqué dans 29 overdoses depuis 2014.
Une tendance naissante en Europe mais pour le moins préoccupante, qui pose aussi une question éthique : informer, au risque de donner des idées, ou, au contraire, tenter de contenir le phénomène en le cachant. Nous avons tranché, considérant que c’est avant tout le manque d’information sur ces arnaques qui les rend possibles. Dès lors, deux axes de travail doivent être privilégiés : développer les compétences des consommateurs pour reconnaître ces arnaques et les risques qui en découlent, et développer leur accès à des dispositifs d’analyse suffisamment performants pour détecter ce genre de produits.
Retenez-donc le principal critère différentiel entre l’héroïne et ces dérivés de fentanyl : la durée d’action. Une montée très puissante mais très courte, puis des premiers symptômes de manque qui viennent inhabituellement vite, attention ce n’est peut-être pas de l’héro, consommez avec prudence et faites analyser !
ENERGY CONTROL, PIONNIER DE L’ANALYSE EN EUROPE
Basé à Barcelone, Energy Control est un projet communautaire de RdR en milieu festif faisant partie des pionniers de l’analyse en Europe. Il est notamment connu pour avoir développé une nouvelle technique de chromatographie sur souche mince (CCM) plus simple à mettre en œuvre, et pour pratiquer une méthode d’analyse du cannabis par microscope. Près de 5 000 échantillons sont analysés chaque année par CCM et GC-MS (analyse poussée en laboratoire offrant des résultats quantitatifs) lors d’évènements festifs et pendant leur permanence hebdomadaire. Un service à la pointe donc, et plus encore.
Energy Control a senti avant tout le monde l’impact que l’avènement du Darknet (voir Asud-Journal n°57) allait avoir sur le marché des drogues. Un jeune (et cool) médecin de l’association, Fernando Caudevilla, a donc décidé de proposer ses services (conseils, infos, orientation) sur le forum associé au plus grand marché du Darknet : Silk Road, un site fermé en 2013. « Doctor X » est rapidement devenu une star du Darknet croulant sous les questions d’internautes au point que le fondateur de Silk Road, Ross Ulbricht, a décidé de le payer (500 €/semaine, en bitcoins, la monnaie du « Dark ») pour le garder ! Après la fermeture de Silk Road, Dr X a continué son action sur d’autres forums et engagé Energy Control à répondre au problème spécifique de ces consommateurs cachés. L’association a ouvert en 2014 un service d’analyse quantitative unique en son genre. Ouvert à l’international, il s’adresse aux usagers du monde entier. Il leur suffit de remplir un formulaire en ligne qui génère la référence de l’échantillon, puis d’envoyer le tout par voie postale. Les résultats sont ensuite disponibles sous dix jours sur leur site. N’étant évidemment pas financés pour réduire les risques dans le monde entier, le coût de l’analyse est supporté par l’usager qui sollicite le dispositif : 50 €/analyse, payables en bitcoins pour préserver l’anonymat. Si vous en avez les moyens, vous pouvez donc solliciter ce dispositif en prenant contact avec eux ici : https://energycontrol.org/international.html.
À l’heure actuelle, ils ont mené plus de 500 analyses qui ont permis de détecter un certain nombre d’arnaques mais aussi de produits extrêmement purs. Un forum du Darknet (Darknet Avengers, http://avengerfxkkmt2a6.onion/) recense leurs analyses et lance des collectes pour acheter des échantillons destinés à être analysés et tester ainsi les vendeurs.