Les substances psychoactives sont de nature à modifier l’aptitude à la conduite de véhicule, de nombreuses études l’ont confirmé. Les statistiques de la Sécurité routière font état d’une forte augmentation des accidents dans lesquels les stupéfiants sont mis en cause, ce qui, associé à une prévalence de l’usage également en hausse, justifie que l’État légifère à ce sujet, l’affaire est entendue. Personne ne souhaite croiser la route d’un conducteur défoncé jusqu’au trognon. Mais là ou ça se corse, c’est que, contrairement à l’alcool pour lequel il existe un large consensus sur les niveaux de consommation entraînant une baisse notable de l’aptitude à conduire, concernant les stupéfiants, les études sont souvent contradictoires et définir des seuils au-delà desquels il y a un risque notable d’avoir un accident est une tâche compliquée, chaque stupéfiant agissant de façon fort différente.
Face à ce problème, deux politiques possibles : celle dite de « tolérance zéro », qui réprime lourdement sans aucune distinction tout usage de drogue, quel que soit le taux de drogue, peu importe qu’il soit réellement incapacitant ou non, sans tenir compte des connaissances scientifiques sur le sujet. C’est la solution la plus facile à mettre en place mais c’est aussi la plus arbitraire.
La deuxième solution, Impairment Approach en anglais, consiste, en se basant sur les connaissances scientifiques, à établir pour chaque drogue des seuils au-delà desquels conduire un véhicule entraîne un risque avéré de causer un accident. Passé ces seuils, la loi interdit de conduire. C’est ce qui est appliqué pour l’alcool et ce que l’étude européenne DUIC, une référence dans le domaine, proposait pour le cannabis et recommandait aux États européens. Plus complexe à mettre en place, c’est la solution qui semble la plus équitable, la plus juste.
Condamner l’usage plus que la conduite sous influence.
Mais devinez donc quelle approche a choisi la France ? Évidemment, l’option « tolérance zéro » qu’elle a même modifié à l’été 2016, allant bien plus loin avec une politique carrément en dessous de zéro. En fait, la loi française a cette particularité de réprimer la conduite après usage de stupéfiant plutôt que la conduite sous influence de stupéfiant. Une nuance de taille, car elle permet de condamner un conducteur ayant consommé une drogue une semaine auparavant (voire plus) et qui n’est évidemment plus sous l’influence de ladite drogue.
Plus précisément, l’article L. 235.1 du code de la route dit :
« Toute personne qui conduit un véhicule alors qu’il résulte d’une analyse salivaire ou sanguine qu’elle a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiant est punie d’une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 4 500 € ». Peu importe le taux de drogue relevé, de simples traces de l’ordre du demi-nanogramme (pour le THC) suffisent à caractériser le délit alors qu’à ce taux, vous n’êtes plus sous l’influence du produit depuis longtemps. Cette loi condamne donc l’usage de drogue bien plus que la conduite sous influence, et ne différencie pas un authentique chauffard conduisant sous « l’emprise » d’un stupéfiant d’un conducteur suffisamment responsable pour ne pas faire usage de drogues au volant. Un peu comme si on mettait dans le même sac toutes les personnes qui boivent de l’alcool sans distinguer l’irresponsable qui conduit avec 2 g dans le sang de celui qui fait un usage responsable en s’abstenant de conduire dès qu’il a bu plus d’un verre. Si avec l’alcool, la loi distingue bien l’usage de l’abus, ce n’est pas le cas avec les drogues.
Le principe de précaution poussé à l’extrême.
Quand la mortalité routière baisse, c’est bien sûr grâce à cette politique et quand elle augmente, c’est la faute des usagers. Cherchez l’erreur. On part du principe que les drogues, c’est le « mal », que leurs usagers sont forcément dangereux pour la société – la preuve, ils ne respectent même pas la loi qui prohibe les drogues – et que pour le bien du plus grand nombre, il faut donc les mettre hors-jeu. Peu importe que nombre d’entre eux aient un comportement tout aussi responsable et respectueux que n’importe quel citoyen, peu importe qu’ils veillent à ne jamais conduire en étant sous influence d’une drogue. Parler d’usage de drogues responsable est en fait déjà un non-sens, l’usage de drogues (illicites) étant par nature irresponsable. Résultat : une politique simpliste, arbitraire et fondamentalement injuste, votée par une large majorité d’élus, dont la plupart sont soit de redoutables ignares de ce que sont et font les drogues, soit de fieffés hypocrites mais dans tous les cas des prohibitionnistes convaincus.
CETTE LOI SERAIT-ELLE UNE SIMPLE EXCROISSANCE DE LA GUERRE À LA DROGUE ?
Dossier réalisé par JI.AIR