Autosupport des usagers de drogues

Faire évoluer les outils de la RDR

Faire évoluer les outils de la RDR

Faire évoluer les outils de la réduction des risques : telle a été la démarche collective d’associations, d’usagers et de scientifiques pour proposer un kit d’injection plus adapté aux usages actuels et plus efficace contre les risques infectieux.

Durant les années 90, un certain nombre d’outils de réduction des risques pour les usagers injecteurs de drogues ont été développés et mis sur le marché ou distribués gratuitement par les associations de RdR, notamment le Stéribox® en 1991, le Stérifilt® en 1997, puis le Stéribox2® en 1999. En 2008, après presque dix ans sans changement ni évolution notable, l’association Safe a décidé d’entreprendre un travail de recherche- action pour améliorer ces outils, en s’appuyant sur les progrès scientifiques et industriels mais aussi sur les évolutions des pratiques des usagers.

Le développement d’un kit 2 cc

Une démarche collective associant professionnels de la RdR, usagers et scientifiques s’est mise en place et visait à concevoir un kit d’injection pour les utilisateurs de seringues de 2 ml (2 cc), de plus en plus nombreux en raison de l’accroissement de la pratique d’injection des médicaments, comme ceux pour la substitution aux opiacés, le Skénan®, mais aussi d’autres médicaments psychoactifs. La réflexion a également porté sur les autres constituants du kit, notamment le filtre, et plusieurs nouveaux outils ont ainsi fait l’objet de tests et ont été évalués entre 2009 et 2013(1).

Le champ de soin, support de préparation de l’injection

Ce travail s’est également attaché à prendre en compte les contextes d’injection en milieu insalubre (rue, parking, toilettes publiques…) pour les usagers les plus précaires. Dans ces conditions, la préparation des injections se fait sur des surfaces à haut risque de contamination du matériel et, par conséquent, d’injection d’agents pathogènes. À l’image des champs de soins utilisés en chirurgie, un élément propre et imperméable pouvant se déplier a alors été imaginé, pour offrir à l’usager un espace où déposer son matériel sans qu’il soit en contact avec des éléments contaminants.

Cupule “sans contact” et lingette désinfectante

De la prise en compte de la difficulté pour les usagers de se laver les mains avant la préparation de l’injection a émergé l’idée d’une nouvelle « cup » à manchon prémonté afin d’éviter les manipulations
nécessaires à la fixation du manchon des « cups » des Steribox2® et Kit+. Deux lingettes, d’une taille adaptée au nettoyage des deux mains et du point d’injection, ont également été incluses dans le kit 2 cc, en remplacement du tampon alcool trop petit. Un premier modèle était constitué d’une solution de digluconate de chlorhexidine, d’alcool, de phenoxyethanol et de polyaminopropyle biguanide, lui conférant des propriétés antibactériennes mais aussi virucides. Cette formule rend par ailleurs son usage possible sur une peau saine et sur une plaie (point d’injection, par ex.), là où l’alcool seul est déconseillé car il irrite la peau et retarde la cicatrisation.

Le filtre toupie

La filtration est une étape essentielle pour limiter les risques infectieux et, outre les problèmes d’accès aux matériels, trop peu d’injecteurs pratiquent encore une véritable filtration. Les filtres coton présents dans les kits distribués et le Sterifilt® étaient auparavant les seuls outils disponibles pour réduire les risques d’injection de particules. Tous deux ont cependant une efficacité limitée, voire quasi nulle concernant le filtre coton. Ils sont en outre totalement inefficaces contre les bactéries, levures et champignons pathogènes. L’objectif était donc de trouver un filtre avec une membrane hydrophile à la fois capable de retenir les excipients non solubles des médicaments et de lutter contre les risques infectieux bactériologique et fongique, tout en pouvant se fixer sur les seringues de 2 ml. À l’étranger, des filtres circulaires composés d’une membrane scellée entre deux disques de
plastique (dont un avec un embout Luer), plus communément appelés filtres « toupie », faisaient déjà l’objet de discussions parmi les intervenants en RdR(2) et les usagers(3). Des équipes de recherche avaient déjà publié des articles sur leur efficacité pour éliminer les particules(4) et les bactéries(5). En France, à l’initiative de Safe, des tests ont été réalisés sur différents filtres de ce type par le laboratoire « Bactéries, pathogènes et santé » de l’université Paris-Sud afin de déterminer la porosité optimale garantissant une efficacité contre les bactéries et les particules. Dans le même temps, des usagers ont testé l’usage des filtres « toupie » pour vérifier l’absence de colmatage et la bonne vitesse de filtration. Les premiers essais ont également permis de comparer ces filtres avec des membranes de cellulose à 0,45 μm et 0,20 μm avec le filtre coton et le Stérifilt®. Les résultats ont montré que seuls les filtres « toupie » étaient efficaces pour éliminer les souches
de bactéries sélectionnées(6). Par la suite, ces essais ont été renouvelés avec des solutions contenant des drogues ou des médicaments pour s’assurer que ces éléments n’altèrent pas la membrane. Dans les matériaux testés et avec les souches bactériennes, les drogues et les médicaments utilisés, les membranes des filtres « toupie » n’ont pas été altérées et ces outils restaient les seuls performants pour éliminer les bactéries(7).

Le tampon sec post-injection

La taille du tampon sec présent dans les kits actuels ne semble pas adaptée à la compression du point d’injection(7). En effet, lors de son application, il arrive régulièrement que les usagers touchent la plaie avec leurs doigts ou souillent leurs mains avec du sang, entraînant des risques de contamination bactérienne ou de transmission de virus, soit directement soit par contact avec le matériel. Ainsi, pour ce kit 2 cc, il a été proposé un tampon plus grand et plus épais pour réduire ces risques en cas d’hémorragie au niveau du point d’injection.

Les kits EXPER’ et l’évolution du matériel

La recherche et le développement de nouveaux matériels ne se sont pas arrêtés à l’élaboration du kit 2 cc puisqu’il apparaissait que les nouveaux outils apportaient de nouvelles solutions ou étaient plus efficaces que ceux proposés jusqu’alors pour réduire les risques infectieux. Toujours dans le cadre d’une démarche collective, Safe a engagé un travail sur la création de nouveaux kits. C’est ainsi qu’en 2014, les kits EXPER’ 1 ml et 2 ml(8) ont été élaborés, et environ 100000 d’entre eux ont été distribués dans le cadre d’une étude menée par l’OFDT(9). Depuis, le travail de développement se poursuit de manière à prendre en compte les avis des usagers et les nouvelles avancées scientifiques et industrielles. Parmi les évolutions les plus récentes, il y a la conception d’un filtre « toupie » universel avec une membrane de porosité de 0,2 μm et adaptable sur les seringues à aiguille sertie, ce que les modèles décrits plus haut ne permettent pas. Des modifications ont également été apportées à la composition de la lingette à la chlorhexidine, avec l’ajout de plusieurs substances actives lui conférant des propriétés bactéricide et levuricide (temps d’action de 60 secondes en conditions de saleté) et une activité contre le virus de l’hépatite C en 30 secondes, en conditions de propreté.

Conclusion

Ce travail collectif a permis le développement d’outils pratiques pouvant garantir une meilleure hygiène lors de la préparation de l’injection et une meilleure filtration dans le but de lutter efficacement contre les risques infectieux mais aussi contre l’introduction de particules dans le système veineux. Longs et coûteux, ces processus d’innovation n’auraient pas été possibles sans le
soutien et le financement des autorités sanitaires. C’est la démonstration que la détermination et l’alliance de l’ensemble des acteurs institutionnels, associatifs, scientifiques, avec les usagers permettent de concevoir des outils performants au service de la santé et adaptés à l’évolution des pratiques.

Thomas Néfau
Président de l’association Safe

 

1. Évaluation des outils de RdR (kits d’injection) – Enquête ANRS Coquelicot, in Forum aux armes, citoyens …: Les outils de la RdR, 13 au 15 octobre 2014: Paris. Jauffret-Roustide, M.

2. http://www.drugsproject.co.nz/drugs/equipment/filters

3. http://smacked-out.blogspot.fr/2010/01/wheel-filters-lets-be- as-safe-as.html

4. “Effect of filtration on morphine and particle content of injections prepared from slow-release oral morphine tablets”, Harm Reduction Journal 2009 6:37, McLean S., Bruno R., Brandon S. and de Graaff B.

5. “The role of syringe filters in harm reduction among injection drug users”, Am J Public Health 1999, 89: 1252–4. Caflisch C, Wang J, Zbinden R.

6. «Efficacité comparée des dispositifs de filtration pour lutter contre les contaminations bactériennes et fongiques chez les usagers de drogues par voie intraveineuse », Le Courrier des addictions 2013, 15(4) : 20-21. Néfau T., Péchiné S., Duplessy C., Bara J.-L.

7. “Theory versus practice, bacteriological efficiency versus personal habits: A bacteriological and user acceptability evaluation of filtering tools for people who inject drugs”, Drug and Alcohol Review 2018, Volume 37, Issue 1: 106–115. Jauffret-Roustide M., Chollet A., Santos A., Benoit T., Péchiné S., Duplessy C., Bara J.-L., Lévi Y., Karolak S., Néfau T.

8.Composition des kits EXPER’ disponible à cette adresse www.rdr-a-distance.info/index.php/materiels

9. « Évaluation de l’acceptabilité des kits EXPER’ par les usagers de drogues », OFDT, 51 p., juin 2016. Milhet M.

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