Depuis 2013, Asud a un nouveau copain, la Commission nationale des stupéfiants et psychotropes.À première vue, on s’étonne. Un peu comme si une souris proposait d’intégrer un groupe de matous spécialistes des aliments pour chats, ou comme un glaçon tombé amoureux d’un barbecue, bref, des trucs qui ne vont pas ensemble. Eh bien détrompez-vous, la proposition faite par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ne cache aucun piège, sinon celui de considérer que le retrait du marché d’une molécule n’épuisait pas le sujet.
La Commission des stupéfiants et la logique de l’offre
La Commission nationale des stupéfiants et des psychotropes est l’organe institutionnel qui pro‑ pose de classer des molécules au tableau des stupéfiants. La « commission des stups », telle qu’elle est couramment désignée, propose au directeur de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de rendre illégales la commercialisation et la consommation de substances auparavant considérées comme des médicaments et des produits industriels. En clair, il s’agit du bras technocratique de la prohibition, celui qui décerne le label officiel « drogue ». Tout cet édifice est assis sur une hypothèse intellectuelle que l’on a que trop tendance à valider comme s’il
s’agissait d’une évidence, celle de la prépondérance de l’offre: les substances créant, a priori, une dépendance et un besoin de consommer irrépressible. L’abolition de cette offre est donc considérée comme la condition première de la résolution des problèmes posés par l’existence d’une consommation de masse de substances illicites. Hélas, cette hypothèse est démentie par l’échec de la prohibition dans le monde, et particulièrement par celui des conventions internationales qui produisent des listes de substances prohibées toujours plus nombreuses depuis le début du xxe siècle.
Les NPS et la logique de la demande
Les New Psychoactiv Substances (NPS), aussi appelées Research Chemicals ou Legal High, forment une catégorie sociologique et non pharmacologique puisque l’on classe sous cette appellation des substances aussi diverses que des cannabinoïdes de synthèse, des opioïdes, des psychostimulants, des hallucinogènes… Au final, toutes les familles de drogues y sont représentées. Le caractère nouveau est lié au fait que leur synthèse chimique n’a fait l’objet d’aucune exploitation commerciale préalable et qu’ils échappent ainsi à l’interdiction qui frappe les molécules classiques dont ils sont supposés imiter les effets. Le grand avantage du point de vue des consommateurs est évident: une distribution intégrée aux nouvelles technologies, soit une facilité d’accès, une discrétion assurée,une livraison à domicile, autant de choses qui diffèrent du marché traditionnel de la rue ou même du deal en appartement. À l’inverse du cadre légal prohibitif, toute la logique de ce système repose sur une dynamique de la demande car seuls les produits qui remportent un succès d’audience sur la toile deviennent de véritables NPS. Chaque année, des dizaines de NPS « lancés » sur le Net ne rencontrent pas le public escompté(1). À l’inverse, les « succès» durables concernent plutôt des substances qui imitent les drogues classiques : cannabis, héroïne, amphétamine, LSD (ex: la méthoxétamine qui imite la kétamine, classée en 2013). Les NPS répondent à une demande précise de la part des usagers. Leur succès démontre l’importance de cette question en matière de politique des drogues, or le classement est la seule réponse proposée par le système prohibitif.
Asud à la Commission des stupéfiants
En matière de drogues, les médias généralistes adorent les « paniques morales » susceptibles de garantir un succès de vente auprès d’une prétendue « moral majority ». Cette attitude, conforme aux dispositions du cadre légal, exclut des informations objectives sur la nature des produits, leur mode de consommation, les attentes des usagers et même les conseils de consommation à moindres risques. En règle générale, cette communication grand public ne s’adresse pas aux usagers potentiels que sont les lecteurs, téléspectateurs ou internautes de la grande presse. Les NPS n’échappent pas à cette règle. La réduction des risques, cantonnée au cercle restreint des drogues injectables, reste largement ignorée du plus grand nombre, notamment des plus jeunes. Dans une certaine mesure, l’irruption des NPS sur la scène peut contribuer à briser les murs de ce ghetto.
Nous ne prétendons pas être des pharmacologues et nous ne sommes pas tous, loin de là, des consommateurs ou des ex-consommateurs de NPS. Notre légitimité vient du fait que la législation sur le droit des malades (Loi Kouchner 2002) a permis de développer une avancée démocratique au sein de l’ANSM. Au titre de la démocratie sanitaire, Asud représente les usagers de drogues à la Commission nationale des stupéfiants et psychotropes. À parité avec les autres membres, le représentant des patients a un statut d’expert validé par l’institution. Cette position valide un rôle d’acteur au lieu du rôle classique de « témoin » ou de « repenti ». Autre disposition démocratique: le classement est décidé par un vote nominal et les débats sont filmés et consultables sur le site de l’ANSM. Asud endosse ainsi un rôle de contestataire officiel du système de classement.
La commission des stups : l’institution paradoxale
Depuis 2009, des dizaines de NPS ont été inscrits au tableau des stupéfiants. Par exemple en 2012, on classe toute la famille des cathinones. Le vote nominal permet à Asud de développer sa pensée face caméra. Depuis 2012, Asud a voté 5 fois contre le classement. Pourquoi voter systématiquement contre? Pour souligner le caractère révolutionnaire de la présence d’un représentant des « drogués », car le vote à la Commission et la justification qui l’accompagne redonnent une dimension politique au débat(2). Asud est autant représentant des « patients » que des « consommateurs » non repentis. Quelle est la seule véritable question pharmacologique posée par les usagers de NPS? Ce qu’il faudrait nommer maladroitement « l’architecture pharmacologique du high », ce que les usagers tentent de décrire dans les « trip reports » des forums. Comment planer mieux, plus longtemps et avec le moins de risques possible? Quels sont les risques d’OD, le rapport qualité/prix, le degré de pureté, la fiabilité des informations… autant de questions qui représentent 80 % du questionnement usagers mais qui ne trouvent pratiquement aucune réponse dans le secteur institutionnel. La Commission a recommandé que ses avis de classement ou de non-classement soient accompagnés de recommandations sur l’usage à moindres risques des produits concernés. Pour rendre cette volonté effective, Asud a proposé à l’ANSM de bâtir un portail de communication comprenant une plate-forme d’informations et des pages interactives adressées directement aux usagers. Ce dispositif a comme finalité d’établir une ligne de communication directe entre les autorités sanitaires et les consommateurs de substances illicites. La nature spécifique des substances concernées permet d’innover en s’adressant à un public large, issu de toutes les catégories socioprofessionnelles et peu touché par les institutions classiques. Paradoxalement, c’est au sein d’une commission chargée de proscrire les drogues qu’est née l’idée de normaliser l’information qui s’y rapporte (voir encadré). Les débats menés au sein de la Commission des stupéfiants donnent toute son importance à la question politique en matière de drogues. C’est une évolution sanctionnée par le cadre réglementaire obtenu en 2004 qui cantonne la RdR à la prévention des risques infectieux VIH/VHC. L’irruption des NPS dans le débat souligne toutes les limites des réponses réduites à l’inscription de ces substances au tableau des stupéfiants. La multiplication des molécules, la généralisation de pratiques issues du Net, l’augmentation continuelle du nombre de consommateurs, vont contraindre des organismes conçus au départ pour perpétuer la prohibition à se muer en porte-parole du changement.
(1) Exemple : les NBOMe classés le 6 novembre 2015.
(2) Commission du 21 mars 201, « L’évaluation du potentiel d’abus et
de dépendance de la méthoxétamine en vue du classement comme
stupéfiant (Avis) ».
Fabrice Olivet
Un nouveau portail sur l’actualité de la réglementation sur le site d’Asud
Vous y trouverez des articles de fond rédigés par Asud ou nos partenaires sur l’actualité de la réglementation française en matière de drogues, des comptes rendus et des extraits vidéo des sessions de la Commission des stupéfiants. Vous avez un message à faire passer à la Com’ des stups ? Vous trouverez aussi une partie interactive (« sondages et questionnaires ») mise en place pour recueillir votre expertise afin de pouvoir vous représenter au mieux lors des prochaines sessions de la Commission des stupéfiants. Ouvert à tout-e-s, un premier questionnaire vous permet de vous exprimer librement sur le sujet de votre choix, les 3 autres (anonymes et rapides : moins de
5 minutes) concernant des sujets sur lesquels nous avons besoin de chiffres pour défendre les usagers : les refus de prescription et/ou de délivrance de traitements de substitution opiacés (TSO), la codéine, etc. Nous avons besoin de vous, donc si vous consommiez de la codéine et que vous avez été impacté par son passage en prescription obligatoire, ou si vous consommez ou avez consommé des TSO, n’hésitez pas !