Beaucoup de choses ont été dites, écrites ou rapportées sur cette substance consommée depuis la nuit des temps au cours de rituels sacrés et qui revient en force dans nos sociétés… L’occasion de faire le point sur cette molécule au carrefour de la science, du psychonautisme et de la spiritualité.
Présente en abondance dans la nature, la DMT est une tryptamine proche de la psilocybine (4-PO-DMT), le principe actif des champignons hallucinogènes. Sur le plan neurobiologique, elle cible particulièrement les sites à sérotonines (5-ht) dont elle est aussi très proche chimiquement parlant. La sérotonine est d’ailleurs aussi une tryptamine mais pas psychédélique. Ce neurotransmetteur est impliqué dans l’humeur, la stabilité émotionnelle et la cognition. La plupart des dépressifs chroniques ont un taux de sérotonine plus bas que la moyenne. La DMT semble présente naturellement dans le corps humain, notamment à l’intérieur du cerveau dans la glande pinéale. Située dans l’épithalamus, cette glande connue depuis longtemps est entourée de mystère : Descartes y voyait « le siège » de l’âme tandis que pour les hindous et bouddhistes, elle correspondrait au troisième œil. Encore peu connue du grand public il y a quelques années, la DMT a vu sa popularité augmenter en flèche et on la retrouve de plus en plus sur les événements de musique électronique. Mais au-delà de sa consommation, c’est surtout le mythe qui l’entoure et la fascination pour cette drogue, souvent considérée comme un « médicament de l’âme », qui se propage comme une traînée… De poudre !
Un peu d’histoire tribale archaïque
Si sa consommation moderne, sous forme de free base à fumer ou de sel à sniffer/injecter, est assez récente, cela fait des milliers d’années que des plantes qui en contiennent sont consommées par les chamans et curanderos amérindiens. Sauf que, détail important, la DMT n’est pas active oralement ! Ingérée, elle est en effet détruite trop rapidement par le foie (par la monoamine oxydase, plus précisément) pour avoir un quelconque effet. Mais les anciens chamans ont découvert que des plantes contenant des IMAO (inhibiteurs de la monoamine oxydase) permettaient à la DMT de traverser la barrière hépato et donc de produire son effet psychoactif.
En mélangeant à 50/50, des feuilles de Psychotria viridis (chacruna) contenant la DMT + des morceaux de liane de Banisteriopsis caapi (ayahuasca) contenant des IMAO, on obtient donc un breuvage fortement psychoactif appelé traditionnellement le yagé ou, par extension, ayahuasca. Par leur action sur le foie, la consommation d’IMAO est très risquée. Par exemple, manger du fromage qui contient de la tyramine avec du yagé est potentiellement mortel, et la liste d’aliments à éviter est
longue. Dans les rites traditionnels, la prise de yagé s’accompagne ainsi de régimes alimentaires et de jeûnes sur plusieurs jours. Il arrive que les chamans ajoutent d’autres plantes à leur yagé, suivant les pathologies à soigner chez leurs patients. Certaines ne sont pas ou peu psychoactives, d’autres sont très puissantes, à l’instar des feuilles de Diplopterys cabrena (chaliponga), utilisée parfois en remplacement de la chacruna et qui contient 4 fois plus de DMT en moyenne, mais aussi une autre substance hallucinogène : le 5-MeO-DMT.
Ce 5-MeO-DMT, qu’on retrouve aussi dans les glandes sudorifères de la grenouille nord-américaine Bufo alvarius, un animal avec lequel les curanderos mexicains travaillent notamment dans le traitement des dépressions, dépendances et toxicomanies. D’autres tribus n’utilisent pas le yagé, elles prisent l’intérieur des graines de yopo (Anadenanthera peregrina), ou du cébil (Anadenanthera colubrina), qui contiennent du 5‑MeO-DMT avec un peu de chaux végétale pour activer les tryptamines. D’autres encore produisent du vin de Jurema (Vino de Jurema), fabriqué à partir d’écorce de Mimosa Hostilis. Cette plante a la particularité de contenir un peu d’IMAO, et donc d’être légèrement active oralement seule. Relativement accessible en Occident, c’est la plante la plus utilisée ici pour l’extraction de free base de DMT (bien que la plante à DMT la plus courante dans nos contrées soit le Phalaris Arundinacea ou baldingère faux‑roseau).
En fait, la liste des plantes contenant des tryptamines à courte durée d’action (DMT, 5-MeO-DMT, DET, DPT, NMT, etc.) est aussi longue que leur utilisation parmi les tribus amazoniennes est fréquente.
Quel est le rôle de la DMT ? La question à 64 milliards du Dr Meuli *1
En raison sûrement de son utilisation chamanique, la DMT est entourée d’une aura de mysticisme. La liste des croyances modernes et des interrogations autour de cette molécule est trop longue pour pouvoir être dressée ici. Elles constituent un réservoir dans lequel les consommateurs peuvent piocher pour « créer » un ensemble de croyances cohérent qui entrera en résonance avec leurs propres expériences sous DMT. Car la première chose à dire est que, plus encore que pour les autres hallucinogènes, la DMT entraîne des états « visionnaires » qui se prêtent au mysticisme… Qu’il s’agisse d’extra-terrestres, d’humains du futur ou de « créateurs », les rencontres avec les entités sont fréquemment rapportées lors des percées (voir encadré), de même que les souvenirs de vie passée, les expériences de mort imminente, ou les OBE (Out of Body Experience).
L’une des premières interrogations concernant le DMT est statistique. Elle concerne la probabilité qu’avaient les anciens Amérindiens de découvrir qu’en mélangeant l’ayahuasca à la chacruna, ils pouvaient obtenir de la DMT oralement active, parmi les millions de combinaisons possibles de plantes amazoniennes. L’explication réside peut-être dans le fait que, comme on l’a vu, les plantes à DMT sont nombreuses, et que par l’inhibition des processus de métabolisation qu’elle entraîne, la plante à IMAO – d’ailleurs, celle qui est nommée à proprement parler ayahuasca – produit des effets en association avec un grand nombre de substances et pouvait donc être assez facilement repérée par les chamans. Il n’en reste pas moins que ce « mystère pharmacologique » est d’autant plus troublant pour certains consommateurs que – la nature faisant bien les choses – la liane ayahuasca et les feuilles de chacruna se mélangent à 50/50 et que lorsque les anciens chamans des villages amérindiens sont interrogés sur l’origine du mélange, ils désignent le ciel en expliquant que ce sont leurs « cousins des étoiles » qui leur ont transmis cette technologie de l’esprit…
La percée, Wellcome to the Breakthrough
À partir d’une certaine dose (qui varie selon beaucoup de critères), le consommateur de DMT va expérimenter le deuxième effet Kiss Cool de la molécule, la percée (break through en anglais). Extérieurement, il aura l’air inconscient : il va tomber ou glisser de sa chaise, les yeux ouverts ou fermés, et il sera impossible d’en tirer la moindre réaction pendant la dizaine de minutes que va durer son voyage. Mieux vaut donc avoir quelqu’un qui assure pour gérer l’environnement et veiller sur la personne, notamment si elle a aussi pris de l’alcool, des opiacés ou tout autre produit pouvant provoquer des vomissements (risque d’étouffement). Définir ce qui constitue une « percée » de DMT n’est pas chose facile, mais le mot n’est pas choisi par hasard. Beaucoup d’usagers décrivent un passage vers un autre monde : comme si le temps/ l’espace/le soi volaient en éclats sous l’impulsion de la DMT qui vous aspire et vous projette dans une nouvelle dimension. L’expérience dépend évidemment de chaque utilisateur, de sa sensibilité, de sa perception, etc. (attention à bien prendre en compte ces facteurs, une percée peut virer au cauchemar). Quelques thèmes reviennent néanmoins de façon récurrente dans les récits : dissolution de l’ego, connexion avec la nature ou avec quelque chose de plus grand et de vivant, rencontre avec des entités en tous genres, passage à un état lumineux et hors du corps, visite de lieux mythologiques, inconnus, étranges, extra terrestres ou souvenirs de vie passée. Certains consommateurs de DMT apprécient de percer et recherchent cet état. En multipliant les expériences « de l’autre côté », ils peuvent en venir à penser que cet autre monde et les entités qu’ils y rencontrent sont réels et à considérer la DMT comme un véhicule vers d’autres dimensions… Quoiqu’il en soit, l’expérience est violente, et une des choses sur laquelle presque tous s’accordent, c’est que si vous vous demandez si oui ou non vous avez percé, c’est que la réponse est non !
L’histoire moderne de la molécule de l’esprit
Pourtant, l’histoire moderne de la DMT commence de manière très scientifique, en laboratoire. C’est le chimiste anglais Richard Manske qui, le premier, a synthétisé de la DMT en 1931, lors de recherches pharmaceutiques et son nom commercial était la Nigerine. Sa première utilisation « psychonautique » par un Occidental est attribuée au pharmacologue Stephen Szara qui se l’injecta en intramusculaire (75 mg), puis en administra à ses amis. Nous sommes alors en 1957, l’année où
A. Hoffman isole le principe actif de la psilocybine sur la souche de champignon Psilocybe mexicana, en collaboration avec Roger Heim, le grand mycologue français, et Gordon Wasson, un milliardaire de la finance devenu, à sa retraite, un grand collectionneur et découvreur de souches de champignons. Passionné d’ethnobotanique, ce dernier faisait le tour de la planète avec sa femme, en quête de découverte mycologique, jusqu’à ce qu’il entende parler des champignons magiques du Mexique et qu’il rencontre Maria Sabina, la grande curandera mexicaine…
Cette femme, devenue plus tard une icône hippie malgré elle, découvrit les « Santos Ninos » alors qu’elle n’était qu’une petite fille. Elle raconte avoir été appelée par les champignons et n’avoir jamais arrêté de travailler avec, pour percer les secrets du monde de Teonanacatl, le dieu champignon…
Il faut savoir que beaucoup de respect et de piété entourent ce type de cérémonie au cours desquelles on invoque tous les saints de la Bible, mais aussi les dieux des croyances locales. Les chants, les prières, les psaumes et les battements de mains rythment les cérémonies…
C’est dans cette atmosphère que Gordon Wasson expérimenta les Santos Ninos (Psilocybe mexicana) sous la supervision de Maria Sabina. Après cette expérience, il fallait découvrir quelle substance contenue dans les champignons créait ces états visionnaires. Roger Heim s’occupa de l’aspect mycologique et c’est à Albert Hoffman, connu pour sa découverte accidentelle du LSD, qu’on confia la mission d’isoler le principe actif des Psilocybe mexicana. Hoffman expérimenta les fameux (façon de parler !) champignons et trouva que l’expérience ressemblait fortement au LSD. Il prit la même dose que les Indiens Mazatec (qui utilisaient traditionnellement douze paires de psilo) et vécut une expérience intense et plaisante, selon ses propres mots…
C’était le début de la grande aventure de la recherche sur les psychédéliques. À cette époque, ces travaux étaient bien tolérés et suscitaient un certain engouement. Les étudiants des grandes universités américaines étaient rémunérés comme cobayes pour tester LSD et autres ergolines, tryptamines et phénéthylamines (mescaline, DOM, etc.). Des chercheurs (chimistes, pharmacologues, psychiatres…) ont d’ailleurs bâti leur carrière sur les psychédéliques, dans lesquels ils voyaient des outils de l’esprit, au riche potentiel thérapeutique. Cette vague de recherche prit fin avec le début de la guerre contre la drogue. En peu de temps, ces composés ont été criminalisés et sont sortis du milieu universitaire pour se retrouver dans la rue. On n’accordait plus aucun crédit aux chercheurs, la politique avait pris le pas sur la science…
Les travaux du Dr Strassman
À la fin des années 1980, le Dr Rick Strassman, psychiatre souhaitant travailler avec les états modifiés de conscience, se démena pour obtenir autorisations et financements pour pouvoir travailler avec la DMT et la psilocybine. Il voulait mettre en corrélation le rôle de la DMT avec celui de la glande pinéale. S’il n’arriva pas à le prouver, il ne démontra pas l’inverse non plus ! Ce fut pour
lui un chemin long et tortueux, tant les obstacles administratifs et logistiques étaient nombreux. Et quand il réussit à obtenir autorisations et financements, il s’aperçut qu’aucun laboratoire n’acceptait de synthétiser la DMT dont il avait besoin. Il se tourna donc vers son ami chimiste et pharmacologue Dave Nichols, qui produisit quelques grammes de la fameuse molécule sous forme de sel injectable.
Pendant cinq années, il administra de la DMT en intraveineuse (400 doses furent administrées sur cette période) à près de 60 volontaires ayant pour la plupart des postes à responsabilité et/ou des familles. Le protocole de recherche impliquait 4 injections intraveineuses dans la matinée avec des
doses de 0,4 mg/kg, doses suffisantes pour « percer » (voir encadré) quasi systématiquement. Les participants relatèrent des expériences très intenses, allant de l’expérience de mort imminente, à
des niveaux de béatitude extatique, ainsi que des visites de vaisseaux spatiaux habités de robots, des rencontres et communications avec des entités, des visions de géométrie sacrée, etc. Sur toute la durée de ces travaux, il démontra que l’on pouvait administrer de la DMT en toute sécurité, les seuls critères rédhibitoires pour participer à l’expérience étant une tension artérielle élevée et/ou des fragilités psychologiques. Strassman publia en 2000 le résultat de ses recherches sur la DMT dans divers magazines scientifiques, et l’historique de ses travaux ainsi qu’une compilation des expériences de ses sujets dans un livre DMT the Spirit Molecule, dont fut tiré le documentaire éponyme (accessible sous-titré en français sur la toile).
De plus en plus populaire…
Depuis la sortie du livre et du documentaire, de films comme Enter the Void de Gaspard Noé ou D’autres mondes de Yan Kounen, et avec la disponibilité sur Internet de recettes d’extraction, la propagation du DMT se fait lentement mais sûrement chez les amateurs de psychédéliques et de sensations fortes. Un peu partout sur terre, des utilisateurs racontent comment la DMT a changé leur façon de voir le monde. Certains sont sortis de leur addiction, d’autres ont pu profiter des visions produites par la DMT pour évoluer, créer et faire des choses constructives. On trouve moins de témoignages sur les potentiels effets néfastes de la DMT mais l’expérience peut aussi s’avérer déstabilisante (voir p. 26). Comme la plupart des hallucinogènes, la DMT semble extrêmement peu addictive, ceux qui essayent d’en abuser sont généralement remis en place par la molécule elle-même, souvent au travers d’expériences difficiles. En effet, contrairement à ce que prétendent certains, sans un bon « set & setting », l’expérience peut devenir cauchemardesque. Ne consommez surtout pas de DMT si vous avez des soucis ou que l’environnement n’est pas propice.
Ecrit par : MIGHTY YO