Début du quatrième décan du second âge soltsticien, Empire vénusien (la troisième galaxie à droite de la constellation du vautour, à environ 450 000 trillions de milles martiens du système solaire). Des nouvelles de la Terre et de ses habitants humanoïdes.
L’une de nos sondes de reconnaissance intergalactique nous revient avec des nouvelles fraîches (un peu moins de 14 zillions de métasecondes) de la quatrième planète du second système solaire, colonisée par une population de singes anthropoïdes évolués qui se nomment eux-mêmes « êtres humains».
La dernière sonde laissait pourtant peu d’espoir de conserver un avenir quelconque à cette planète. Après avoir tenté par 2 fois en moins de cinquante années terrestres de s’autoexterminer au cours de 2 conflits généralisés, les singes anthropoïdes terriens avaient en effet trouvé le moyen de se grouper autour de 2 empires antagonistes amoncelant chacun des quantités phénoménales d’armements (de quoi réduire plusieurs fois leur propre planète en cendres). Le tout, en saccageant méthodiquement les possibilités de régénérer l’eau, les gaz nécessaires à leur survie et les autres espèces animales et végétales de leur environnement. Des créatures apparemment très nuisibles, animées d’une rage peu commune d’autodestruction.
Par miracle, le décryptage de nos dernières données semble cependant indiquer que ces primates ont réussi à survivre par le plus incroyable des hasards. Mais le plus cocasse réside dans la dernière brimade qu’ils se sont auto-infligés. Pour échapper au stress engendré par ces conditions épouvantables, la plupart des habitants ont recours à l’absorption de substances chimiques euphorisantes, comme c’est le cas dans toutes les sociétés évoluées. Mais là aussi, les êtres humains se distinguent par leur goût des luttes intestines. Suivant les zones culturelles, les uns consomment plutôt des fruits fermentés, les autres fument des herbes aromatiques, d’autres encore ont recours à l’industrie chimique. Mais leur intolérance congénitale pousse ceux qui boivent à vouer aux gémonies ceux qui fument, les deux parties étant tantôt d’accord avec ceux qui prennent de pilules, tantôt contre, selon que ces pilules sont fabriquées par des pauvres et vendues par des riches ou fabriquées par des riches et vendues par des pauvres. Bref, ces primitifs réussissent à se maltraiter réciproquement au nom de l’ivresse qui, dans toutes les autres galaxies évoluées, est une occasion unique de fraternité. Une frénésie qui semble atteindre des sommets aux environs du début de ce qu’ils nomment leur « XXIe siècle » (nul n’a encore compris le XXIe siècle après quoi !). À cette époque, la moitié des prisons terriennes étaient remplies d’adeptes de l’une ou l’autre plante interdite. Par un surcroît de cruauté, les prisonniers étaient choisis dans la couche la plus pauvre de la populace, les riches consommateurs des mêmes substances étant automatiquement dispensés de peine. Tous les caractères d’équité, et même la simple logique, semblent avoir été piétinés par cette hystérie collective. L’assassinat généralisé des « consommateurs de drogues » (c’est sous cette appellation que les amateurs de boissons désignent les fumeurs et autres adeptes de substances chimiques) se fait au nom de la santé publique et de la liberté. Or, c’est précisément les plus mal en point physiquement qui furent l’objet de la répression la plus féroce. L’obsession antidrogue a permis de mettre à bas toutes les protections juridiques garantissant les libertés individuelles. Partout sur cette planète maudite, elle a servi de prétexte pour asservir les paysans, favoriser les mafias, enrichir les marchands d’armes et soustraire des sommes colossales au prélèvement de l’impôt. Ce que les doctrines totalitaires du siècle précédent avaient manqué, la guerre à la drogue était en passe de le réaliser : la guerre civile généralisée au niveau planétaire.
L’étude de ce monde étant particulièrement déprimante pour les scientifiques et les espoirs d’améliorations étant faibles pour les dix prochains millénaires, la question de la poursuite des recherches actuelles reste posée. Une invasion massive, précédée d’une glaciation chimique à l’aide de nos drogues euphorisantes les plus modernes, nous semble en effet beaucoup plus souhaitable dans l’intérêt même de ces misérables « humains ».
Fabrice Olivet, envoyé spécial de l’empire vénusien