Autosupport des usagers de drogues

Un traumatisme durable.

Un traumatisme durable.

Cette histoire commence en 2009. À l’époque, j’étais déjà relativement expérimenté avec certains psychédéliques (cactus, champis magiques, salvia, cannabis fumé/ingéré…), j’avais pas mal lu sur l’aya (Jeremy Narby, Jean-Marie Delacroix, etc.) et vu les films de Jan Kounen. Comme beaucoup, j’ai été nourri de l’idée que cette expérience pouvait permettre de guérir certaines choses, que c’était une plante enseignante et le chaman, un guide.

J’avais aussi entendu parler des « arnaques ». J’avais vu partir quelques amis vers un séminaire
d’une semaine dans le sud de la France, et l’un d’eux m’a même appelé au cours de son troisième trip, complètement flippé : après avoir quitté le cercle de cérémonie, il était parti dans les bois, à moitié à poil, avec son téléphone et moi à l’autre bout du fil comme seul lien avec la réalité… J’avais réussi à le rassurer, le calmer, et il était finalement rentré un peu secoué et très excité par ses visions, mais avec plus de questions qu’avant. Bref, je connaissais « les risques ». Enfin, je le croyais.

Arrive donc le jour où j’ai la possibilité (et le sentiment que c’est le « bon moment ») de participer à une cérémonie. On m’a conseillé un « spécialiste » (H.L., en fait un rabatteur) que je vois une première fois seul, puis une seconde en groupe, avec d’autres intéressés et d’anciens participants venus parler de leur expérience et promouvoir ce qui nous attend. Tout ça me met en confiance, les chamans en question (C. et M., un couple de Brésiliens) semblent avoir déjà fait déjà beaucoup de cérémonies. Ils pratiquent à Bruxelles et Amsterdam (en France jusqu’à l’interdiction en 2005), avec une autre spécialité : le « kambo », venin d’une grenouille d’Amérique du Sud censé être un très puissant stimulant du système immunitaire… La cérémonie à laquelle je dois participer est donc un « pack » ayahuasca + kambo.

La peur au ventre

La semaine où je dois me décider, une appréhension persiste, mais je suis alors fermement persuadé qu’il faut vaincre ses peurs… Me voici donc inscrit (je paye la moitié, soit 80 €). Après deux jours sans aucune drogue ni sexe (une des recommandations importantes de l’organisateur), un des participants (T.) vient me chercher. Pour lui, ce n’est pas la première fois, c’est un teufeur qui a expérimenté pas mal de trucs. Un titre de Younger Brother (Ribbon on a Branch) passe dans la voiture. En l’écoutant, j’avais la sensation d’aller vers l’inconnu… et vers une sorte de « petite mort », au point d’envoyer des SMS (pour demander pardon, faire la paix) à plusieurs de mes proches. En arrivant dans la salle (à Bruxelles), je sens l’odeur caractéristique du palo santo (bois brûlé comme encens pendant les cérémonies). Je ne sais pas pourquoi mais mon corps rejette cette odeur, et soudain, une sensation dans le ventre me crie de NE PAS rentrer, de faire demi-tour et d’aller jusqu’à la gare la plus proche !!!

Je fais part de mes hésitations à la personne avec qui je suis venu. Mal à l’aise, il me dit que non, ça va aller. C’est alors que Mi., un type d’une cinquantaine d’années vient vers moi d’un pas très sûr de lui. C’est un chef d’entreprise, père de famille qui assure donner de l’aya à son garçon de 15 ans ! Il me fixe comme s’il pouvait lire en moi, décrivant les émotions que je ressens, et me rassure : « Ne t’inquiète pas, ça va aller. Je suis passé par là aussi, mais tu ne dois pas te laisser guider par la peur ! Si tu fais demi-tour maintenant, la peur te guidera toute ta vie ! » Soudain, le doute. Je ne sais plus trop. Le chaman (C.) vient à son tour, se présente et me met en confiance, me dit que tout va bien se passer, etc.

Je commence à rentrer dans la salle puis, voyant que j’hésite encore un peu, le rabatteur dit : « Bon allez, on va pas y passer la nuit, si tu veux avoir peur toute ta vie, c’est ton problème. » Pris dans le mouvement, souhaitant vaincre ma peur, je paye le reste (80 €) et suis le groupe. Les hommes (une dizaine) d’un côté, les femmes (une dizaine également) de l’autre. Une photo du Christ est présente (ils font partie du Santo Daime), mais différentes divinités sont invoquées par le chaman au début de la cérémonie. Chaque participant se voit ensuite remettre un verre (que C. re-remplit à chaque fois) d’un breuvage ocre/orangé contenu dans une bouteille en plastique. Le goût est assez spécifique et pas très agréable, mais ayant déjà mangé des cactus à mescaline, ça ne me semble pas si mauvais. Mon voisin murmure parfois des « Tsss, tsss », comme dans les films de Jan Kounen…

Rien au début…

Au début, je ne sens rien, juste une légère torpeur, puis, quelques maux de ventre, quelques nausées. Les chants commencent, il y a aussi du tambour. La lumière est tamisée. Mon mode de pensée se met à changer doucement, se faisant plus clair. Une certaine « ivresse », indescriptible et légère, je vois la peau d’un serpent (avec des écailles fluo) fondre en surimpression sur toute la pièce… ! Ça continue comme ça pendant un bon moment, et j’ai une sorte de révélation : à l’instant où la pensée (tout juste naissante) se tapit dans mon esprit, une sorte de projecteur (la conscience ?) l’éclaire en grand et la met en évidence !!! Une vraie prise de conscience. Avec cet « outil », impossible par exemple de se laisser attraper par la peur ! Repérée dès qu’elle surgit, elle se volatilise d’elle-même ! J’ai l’impression de comprendre un peu ce que le Christ, Bouddha (et d’autres) ont tenté d’expliquer à l’humanité. Bref, j’use de ce « pouvoir » avec délectation, et cette découverte me rend euphorique. La cérémonie continue, jusqu’au moment où le chaman pousse un cri atroce !!!!!!! J’ai l’impression que quelque chose se déchire en moi, mais sur le coup, je n’y prête pas plus d’attention que ça. Le cri s’arrête, c’est le principal ! Ensuite, on nous distribue des instruments très simples (tambour, sifflets, maracas, etc.). Petit à petit, les sons se superposent harmonieusement, et nous faisons tous UN. C’est beau, certainement le meilleur moment dans la cérémonie, dont la première partie prend fin au bout de trois heures environ.

On prépare maintenant le kambo. Le couple de chamans brûle de fins bâtons pour obtenir une braise avec laquelle ils feront de légères brûlures sur l’épaule ou la jambe, pour rendre la peau perméable et y étaler le venin. Ainsi, le passage dans le sang est très rapide, et il paraît que dès que le cerveau reçoit l’information, le corps l’interprète comme… la FIN. Impossible de raisonner, le corps te dit « c’est fini, tu vas claquer ». Un des premiers à le faire est un gaillard bien rôdé à l’ayahuasca, dont je vois le visage devenir verdâtre et s’affaisser… Puis il glisse (on était assis) et semble perdre connaissance, tout en vomissant. Le « staff » s’occupe de lui pour ne pas qu’il avale son vomi et s’étouffe ! Franchement, j’ai aucune envie de prendre ça. Je le dis. On m’explique que l’aya est comme une bombe qui rase tout mais laisse un trou béant, et que le kambo agit lui comme un pansement. Tant pis, pas de pansement pour moi. Vers 4 heures du mat’, tout le monde va se coucher puis le lendemain, réveil assez tôt, petit déj’ en mode « discussions passionnées sur les révélations de la veille », et départ. Je redécolle vers midi avec le même « pilote » qu’à l’aller. Le trajet du retour est assez silencieux, la fatigue aidant.

La plus étrange période de ma vie

Le retour chez moi est assez étonnant : j’ai l’impression de redécouvrir ma rue ! Le soir, je me couche tôt, je me sens fatigué. Le lendemain après-midi, j’enchaîne le boulot et je me sens en
décalage, mais j’arrive pas à savoir exactement pourquoi. J’ai l’impression que quelque chose a
changé. La concentration me demande plus d’efforts que d’habitude. Ayant un poste à responsabilité, c’est un peu embêtant… Le surlendemain, je sens que quelque chose ne tourne pas rond. Nuit affreuse, sensations bizarres, je me réveille toutes les trente minutes, je transpire à grosses gouttes, je me sens anxieux. C’est le début de la plus étrange période de ma vie. Les jours suivants, je perds de plus en plus le sommeil, mes nuits sont très courtes, entrecoupées de réveils en sueur, avec des sensations bizarres au niveau du côté gauche de mon visage et de la tête. Je me sens comme dans La Quatrième Dimension. Ma perte de concentration s’aggrave et l’organisation me demande des efforts terribles ! J’ai aussi l’impression d’être beaucoup plus plongé dans l’instant présent. Plusieurs clients me demandent si ça va, j’ai pas l’air bien, mauvaise mine…

Je décide d’aller voir mon généraliste pour ces sensations étranges dans la joue. Il me fait faire quelques examens sans succès et, quand je lui parle de l’ayahuasca, finit par me proposer des anxiolytiques… J’en prendrai quelques jours : la confusion et les sensations étranges restent et en plus, je me sens abruti. Un soir, je fais une crise terrible au moment du repas : je vais m’enfermer dans ma chambre, j’ai une grosse sensation de mort imminente. C’est la PEUR à l’état pur. J’ai déjà vécu quelques crises d’angoisse mais là, ça n’a rien à voir… Je décide de recontacter l’organisateur de la cérémonie, qui me propose de revenir le mois prochain et « boire » à nouveau. Je n’en ai bien
sûr aucune envie (sans parler des 160 € à payer) et quand je le lui dis, il me lance « Alors t’as qu’à faire un peu de yoga ! » et raccroche. Quand je le contacterai plus tard sur Facebook pour lui faire part de ce qui m’arrive, il s’en lavera les mains en disant « on a déjà fait des milliers de cérémonies,
ça c’est toujours bien passé, donc c’est de ta faute ». J’apprendrai par la suite que plusieurs victimes ont déposé plainte contre ces gens-là, et que H.L. recrutait notamment via Facebook mais aussi sur des sites de rencontres !

Entre temps, je n’arrive plus du tout à gérer mon travail, je démissionne. Dans les transports en commun, c’est comme si je ressentais les émotions des gens x 1 000 !

C’est invivable… Je comprends peu à peu que nous avons tous une sorte de « carapace » qui, certes, nous empêche parfois d’être plus à l’écoute des autres mais nous permet aussi de fonctionner dans la société et de nous protéger. J’ai l’impression que l’aya à fait voler cette « couche » en éclats (donc toutes mes protections). Presque tous les jours, je vais jardiner dans un potager associatif. Le contact avec la terre me fait énormément de bien, m’ancre un peu. Je me sens tellement déconnecté de mon corps… !

Plusieurs années à m’en remettre

Presqu’un an plus tard, j’ai été voir une acupunctrice recommandée par une amie. Dès la première séance, j’ai ressenti un réel mieux-être (la première fois depuis que j’essayais tout un tas de méthodes pour me soigner) ! J’allais la voir toutes les trois semaines et au bout d’environ six mois, je me sentais nettement mieux, j’ai recommencé à travailler quelques heures par semaine grâce à une entreprise d’insertion (rien à voir avec mon ancien métier mais c’était déjà beaucoup pour moi). Tout n’était pas parfait (loin de là) mais je me sentais revivre et avec le recul, je peux dire que j’ai mis plusieurs années à me remettre de cette expérience qui a laissé des cicatrices.

Si certains pensent que je suis une exception, au fil des années, j’ai rencontré d’autres personnes gravement choquées par leur prise d’ayahuasca. La plupart n’ont pas la force de témoigner, ou ne veulent plus en parler, préférant continuer à vivre et tenter d’oublier. C’est aussi pour eux que j’ai écrit ce témoignage.

Une chamane préoccupée par les dérives actuelles m’a également assuré que s’occuper de plus de 3-4 personnes dans une cérémonie était irresponsable et dangereux. Contrairement à une idée largement répandue, les chamans sont loin d’être des « sages », comme l’ont malheureusement démontré certains faits divers tragiques (décès, abus sexuels lors de cérémonies). Un tourisme chamanique se développe par ailleurs et avec lui, les imposteurs attirés par l’appât du gain prolifèrent. N’oublions pas que l’individu sous psychédéliques se trouve dans un état de grande suggestibilité. Le chaman possède donc sur lui un pouvoir important et la liberté d’en user comme bon lui semble…

Pour finir, je souhaite remercier infiniment ma famille, mes amis, et particulièrement la femme qui partage ma vie, pour l’amour et la patience dont ils ont fait preuve à mon égard. Sans eux, je n’aurais probablement pas tenu le coup…

J HI-DOU

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