Hasard du calendrier ? Concurrence entre chaînes ? Stratégie de consolidation réciproque de l’audience ? Cette année, les deux séries américaines suivies de près par Asud-Journal depuis le numéro 44 ont été diffusées selon le même timing durant l’été. Breaking Bad le dimanche et Weeds le lundi. Impossible dans ces conditions de ne pas jouer au petit jeu des similitudes et des différences.
Cet article partie du dossier Serial Dealers.
Previoulsy on…
Breaking Bad : À la fin de la saison 3, Walter et Jessie sauvaient leurs vies in extremis en se débarrassant du seul chimiste capable de les remplacer pour fabriquer la fameuse méthamphétamine bleue. N’ayant d’autre choix que de les garder pour continuer ses affaires, leur patron devient alors leur pire ennemi et cherche à se venger toute la saison durant.
Weeds : Le final de la saison 6 était certainement l’un des plus réussis car le suspense était à son comble. Pour sauver sa peau face au cartel de Tijuana et protéger sa famille, Nancy trouvait le moyen de se faire arrêter par les stups avec son bébé tandis que le reste de sa troupe s’envolait pour Copenhague. Le jubilatoire road movie à travers l’Amérique qui précédait ce final rendait tous les scénarios possibles : délocalisation de la série en Europe pour une joyeuse cavale (on rêverait d’un détour par la France !) ou huis clos façon Prison Break. Avec surprise, la série se pose à New York, en plein Manhattan quelques années plus tard. Nancy n’est pas assagie et ses fils lui ressemblent de plus en plus. Le business familial repart à zéro ou presque.
Dealer, un métier comme un autre…
…la reconnaissance en moins. Malgré leurs différences de forme et d’esthétique notables (la réalisation de Breaking Bad est toujours aussi soignée et trouve sans cesse de nouveaux cadrages inventifs ; celle de Weeds s’apparente plutôt à une sitcom de luxe), les saisons 2011 traitent de thèmes finalement assez proches. Le plus flagrant est la relégation au dix-huitième plan de ce qui était pourtant le déclencheur de ces deux séries et de l’activité illégale des personnages principaux : le besoin d’argent, beaucoup et rapidement. Certes, quelques échéances de paiement parsèment ces séries à l’occasion. Mais elles sont timides et peu convaincantes et ne tourmentent pas les personnages comme à leur début. Pire, le souci principal de Walter et (surtout) de Skyler White de Breaking Bad est à présent le blanchiment de leurs faramineux revenus. Quant à Nancy, elle dégotte même un bon boulot de secrétaire dans une grosse boîte de Wall Street. À l’abri du besoin, nos héros dealers continuent pourtant à enfreindre la loi. La vérité est ailleurs, comme dirait l’autre. Le spectateur lambda se contentera d’une explication mécanique simpliste, sorte de théorie de l’escalade ou de la dépendance appliquée aux dealers : quand on trafique avec des gens pas très fréquentables, il n’est pas facile de s’en défaire. C’est pas faux. Mais à plusieurs reprises, Walter et Nancy ont réellement l’occasion de tout arrêter et ne le font pas. De nombreuses fois, on peut également voir ou entendre leur fierté d’être doués pour leur activité ou encore leur désarroi de ne pas être reconnu à leur juste valeur. Tous deux se voient comme des travailleurs qui excellent dans leur job : rigueur, dévouement, efficacité…
Breaking Bad : Après la mort de l’assistant de Walter, la police met la main sur son carnet de notes. Celui du plus grand labo de crystal-meth aux USA. Pour la DEA, c’est sûr ! Le grand chimiste qu’ils recherchaient est mort. Piqué au vif qu’un autre hérite du titre qui lui revient, Walter, au lieu d’être soulagé de ne plus être recherché, examine le carnet et laisse entendre aux stups (par l’intermédiaire de son beau-frère flic) qu’il s’agit d’un plagiat en affirmant que le mort n’était qu’un exécutant. Le génie, lui, courrait toujours.
Weeds : Lassée d’être prise pour une simple secrétaire, Nancy révèle à ses employeurs – les gérants d’un fonds de pension – qu’elle deale de l’herbe et leur présente son astucieux business plan pour conquérir la même clientèle de luxe que la leur. Un partenariat inattendu.
L’ennemi intime
Ce changement de mentalité ajoute une certaine antipathie à l’égard des deux personnages principaux, au fur et à mesure qu’ils assument leur statut de criminel tout en renforçant leur ego et leur solitude. À l’écran, cela se traduit par une logique de concurrence, voire d’affrontement, avec leur(s) proche(s) et complice(s). Un lancinant « je t’aime, moi non plus » dont les scénaristes ne devront pas abuser trop longtemps pour qu’il reste intéressant. Sur ce terrain, Nancy se retrouve à nouveau (voir la saison 4) en gentille guerre ouverte contre son fils aîné, Silas. Tandis que Walter mène une guerre de tranchées psychologique avec Jessie qui se termine en apothéose avec l’ultime séquence de la saison. Chapeau les scénaristes !
Usagers cachés
Autre point commun : la quasi-disparition des scènes de consommation de produits dans les deux séries. Peu étonnant pour Breaking Bad et son parti pris drogue=déchéance. Mais si les joints restent omniprésents dans Weeds, ils sont complètement banalisés et ne donnent plus lieu aux scènes délirantes auxquelles nous avait habitués la série. De part et d’autre, en guise de produit de substitution, l’alcool nous livre heureusement quelques bonnes murges comiques et télégéniques.
2012, le new deal
Les dénouements respectifs de ces deux saisons pourraient très bien être leur point final. Elles ont été écrites comme s’il s’agissait des dernières saisons. Obligeant les scénaristes à prévoir l’éventuel arrêt définitif de leur série, les chaînes ont tardivement reconduit leurs achats pour les saisons suivantes en raison de la crise économique et de la concurrence sur le marché des séries américaines. La chaîne AMC a annoncé qu’il y aurait l’an prochain une dernière saison de Breaking Bad, mais Showtime n’a toujours rien confirmé pour Weeds.
Encore là où on ne les attendait pas, les auteurs de Weeds terminent la saison sur un inattendu happy end dans une vision toute spielbergienne de la famille, même si la morale de la famille en question penche plutôt vers celle de la famille Adams.
Les fans ne pourront toutefois pas se résoudre à l’arrêt de la série car la dernière image de l’épisode final prendrait alors une tournure moralisatrice et politiquement correcte, en complet désaccord avec l’esprit de la série depuis sept ans. À l’inverse, Breaking Bad continue d’enfoncer subtilement le clou de l’immoralité en reposant sans cesse la question : jusqu’où peut-on aller pour sauver sa peau ? Dans les deux cas, une page est tournée et allez savoir ce que nous réserve 2012.
Cet article partie du dossier Serial Dealers.