Après une première année consacrée aux prohibitions des drogues, nous ouvrons plus large le spectre de l’analyse, nous interrogeant sur les consommations, les ressorts de la prise de drogues, ses usages au cours des siècles et des espaces.
Ce séminaire se veut avant tout un lieu de réflexion et de recherche collective, visant la synergie des sciences humaines et sociales avec le savoir accumulé par les usagers de drogues et les professionnels de la santé. Une approche transversale innovante, dans sa méthodologie et ses contenus, mixant à la fois les disciplines, les compétences théoriques et les savoirs pratiques. Nous souhaitons que cette mise en commun de connaissances et d’analyses d’expériences puisse servir à une meilleure appréciation tant de la phénoménologie des usages des drogues que des politiques publiques qui les encadrent.
Nous abordons la question des drogues sous plusieurs aspects : sanitaires, juridiques, économiques, géopolitiques, bien sûr, mais aussi culturels, historiques, anthropologiques, sociologiques, psychanalytiques. Pour nous donner les moyens d’une compréhension plus approfondie de la « question drogue », trop souvent traitée à l’arrivée et non en amont, s’attaquant aux conséquences induites par la législation prohibitionniste, par la répression des trafiquants et des consommateurs et la prise en charge sanitaire des addictions. Or, les problèmes sanitaires liés aux conduites addictives, qu’il s’agisse d’alcool, de tabac, de médicaments (benzodiazépines), ou de drogues illicites, ne représentent qu’une partie de la question. Dans la consommation de drogues, les motivations anthropologiques, sociologiques, culturelles et psychiques sont primordiales. À travers l’histoire et les espaces géographiques, l’usage des drogues se décline en fonctions thérapeutiques, mystiques et/ou religieuses, mais aussi hédonistes. Bien entendu, les drogues peuvent avoir des conséquences délétères pour les individus et les collectivités, et c’est comme cela que les gouvernements nationaux et l’ONU depuis cent ans ont traité la question. Mais les drogues ont été, au cours du temps et des civilisations, employées aussi comme solution à des problèmes de nature médicale, psychique, sociale. C’est là le défi théorique, social et politique posé par la question des drogues.
Nous parlons de drogues, employant le terme courant et populaire désignant les psychotropes, à savoir des substances psychoactives qui ont un impact sur les perceptions, les sens, les neurotransmetteurs. Si certaines drogues, illicites comme l’héroïne ou licites comme l’alcool et les benzodiazépines, ont un fort potentiel d’addiction, assimiler tous les usages de drogues illégales au concept d’addiction apparaît fort réductif et parfois impropre. L’addictologie, née de la confluence de l’intervention médicale en toxicomanie et en alcoolisme, a élargi ensuite son spectre d’action au tabac, au sexe, à l’adrénaline, aux jeux vidéo, de hasard et d’argent. En toute logique, le pas suivant est d’y inclure l’addiction au sucre, un « fléau » sanitaire majeur à niveau planétaire. Or, s’il est certain que l’addiction au sucre sous toutes ses formes peut constituer une pathologie grave pour le consommateur, et avoir des conséquences préjudiciables pour lui et pour la santé publique (et les caisses de sécurité sociale …), cela ne fait pas du sucre un psychotrope. Pour une meilleure analyse et appréciation de phénomènes divers, il convient ne pas faire de confusion entre drogues psychotropes, substances addictives et conduites addictives. Les clefs des « portes de la perception » ne sont pas les mêmes que celles des portes de la relaxation, et le recours à une substance ou une autre pour lutter contre la dépression, la souffrance, la peur, semble s’inscrire dans le destin de l’humanité.
L’apport des sciences humaines et sociales, et nous considérons que les « sciences du corps » en font partie intégrante, apparaît dès lors indispensable pour comprendre les processus à l’œuvre dans les conduites d’usage de drogues, et par conséquent envisager les meilleures politiques de régulation de la production, du commerce et de la consommation des drogues.
Intervenants
- Silvia Vignato (anthropologue, professeure à l’Université de Milano-Bicocca), «Métamphétamines et ganja : la drogue dans l’environnement rural villageois en Aceh (nord-ouest de Sumatra)»
- Éric Wittersheim (anthropologue, maître de conférences à l’EHESS), « Consommation et prohibition du Kava dans les îles du Pacifique »
- Discutant : Bertrand Lebeau (médecin, membre de SOS Addictions)
Date et horaires
Date : 27 avril 2017
Horaires : de 17h à 20h
Lieu
EHESS (Salle Lombard)
96, boulevard Raspail
75006 Paris
Tarifs
Séminaire gratuit et sans inscription.