Depuis 2002, Asud redéfinit son cadre de travail, une reflexion qui aboutit à redéfinir notre identité : sommes nous devenus des fonctionnaires de la défonce, les droguésofficiels de la République, les gentils patients alibis de la politique de réduction des risques ? Quid de l’espace militant ? Ou en est la lutte pour l’abrogation de la loi de 70 ?
Association d’êtres humains
1992, en pleine pandémie VIH se crée une nouvelle association, l’association d’Auto Support des Usagers de Drogues : ASUD. Des usagers de drogues qui se mobilisent, du jamais vu.Puis sort ASUD journal, pour et par les usagers. Mais que veulent ils donc ces usagers qui, normalement, cherchent plutôt à passer inaperçus. Une première revendication : l’abrogation de la loi 70 (législation des stupéfiants) et la dépénalisation de l’usage (dit) simple, là-dessus je reviendrai.
Et à part çà ? À part çà, ils ne veulent plus crever, dans l’ignorance et dans l’ombre, du SIDA. Ils ne sont plus d’accord pour mourir dans la honte et l’indifférence pour le crime d’usage simple. Ils refusent cette condamnation à mort implicite dans un pays où la peine de mort avait été, semble-t-il, abolie. Ils veulent un accès aux soins décent, digne de tout être humain. Ils demandent la possibilité de ne pas être condamnés à la contamination à VIH parce qu’ils sont usagers. Ils demandent des programmes de Réduction des Risques, le don de matériel
d’injection (en fait à l’époque on parle simplement de seringues). Pouvoir être soignés dans les hôpitaux sans avoir à subir un sevrage brutal, sans être immédiatement accusés d’être responsables de tout ce qui se passe mal dans les services. Marre d’être des bouc émissaires, marre d’être sous hommes (et femmes), ils demandent à être reconnus pour ce qu’ils sont : des êtres humains.
La rdr se met en place
1994 la RdR se met en place en France. Mais pour pouvoir appliquer cette mesure il faut être en contact avec les usagers, et, reconnaissons le, à l’époque le pourcentage d’usagers en lien avec les services n’était pas, disons, mirobolant. Alors les services font appel aux « anciens usagers ». Je ne développerai pas aujourd’hui le débat sur cette appellation, ce serait trop long. Mais je n’exclus pas d’y revenir dans un autre article, car ce processus et sa gestion, devrais-je dire non gestion, ont été très coûteux pour beaucoup de ces personnes concernées. Les ASUD se développent et participent activement à l’application de la RdR. Petit rappel historique pour lever toute ambiguïté, la mise en place de la RdR et le soutien à l’Auto Support n’ont jamais été à l’origine de gouvernements de gauche, mais bien de droite, malgré ce que certains aimeraient affirmer (particulièrement chez nos détracteurs).
1995, arrive la substitution
1995 voit arriver la substitution (méthadone). Outil de lutte contre le VIH (cf. : textes originaux), la méthadone est supposée être délivrée en priorité aux personnes les plus exclues, marginalisées et vulnérables, à haut risque de contamination à VIH. Mais le système de soins qui a tant décrié ce produit verra les choses autrement. Accès aux critères draconiens et quasi impossible à rencontrer pour les personnes censées en bénéficier (citées plus haut). Les textes seront d’ailleurs rapidement changés pour définir la méthadone comme outil de soin aux «toxicomanes» et s’assurer que sa maîtrise en est bien confinée aux centres de soins.
Association de patients
L’arrivée de la substitution marquera plus clairement l’entrée d’ASUD dans son rôle d’association de patients. L’association ne manque pas de tirer la sonnette d’alarme sur les conditions d’obtention de la méthadone et les laissés pour compte. En 1996 avec la mise sur le marché du Subutex ASUD sera parmi ceux qui très vite constateront et alerteront des dangers de l’injection de ce produit.
Notre association sera aussi à la pointe de l’information aux usagers sur les produits de substitution (articles, plaquettes, etc.).
Le temps passant, ASUD étant reconnu à part entière en tant qu’acteur de la RdR, cette position de représentation des patients prend un rôle de plus en plus prépondérant.
Un point clé sera la réalisation de la première rencontre des EGUS (Etats Généraux des Usagers de Substitution). Enfin, ASUD s’engage avec l’ANIT (Association Nationale des Intervenants en Toxicomanie) dans la mise en oeuvre de la loi 2002, sur la création des Conseils de la Vie Sociale (CVS) au sein des structures de soins spécialisés et CAARUD adhérents de l’ANIT.
Et le militantisme me direz-vous. ASUD reste une association militante. Nous avons toujours cette revendication première : la dépénalisation de l’usage «simple», le respect du droit fondamental de toute personne qui est : le droit au choix individuel et privé. Et nous sommes aussi clairs sur le fait que pour faire un choix, il faut en avoir la capacité. Tout autant d’ailleurs que si nous parlons de droit au choix, il s’agit aussi bien du droit au choix de l’usage, qu’à celui du non usage. Nous avons été parmi les premiers à demander pourquoi la mise en place de la substitution devait entraîner la disparition des lits et lieux de sevrage. Nous nous sommes insurgés quand des personnes se sont vues refusées la réduction de leur traitement de substitution alors qu’ils se sentaient prêts à faire cette démarche et que là encore la toute puissance médicale a primé.
Association Militante
Et nous maintenons notre engagement de nous battre pour qu’être usager de substances ne soit plus un obstacle à la citoyenneté. Nous maintenons notre engagement de soutenir et représenter les usagers qui nous en donnent la légitimité, qu’ils soient ou non adhérents de l’association, car il s’agit bien d’une association et non d’une secte d’incitation et d’initiation à l’usage comme certains aimeraient le faire penser.
Nous ne prônons pas l’usage pour tous et encore moins l’initiation à l’usage des jeunes. Nous n’allons pas dans les écoles droguer les enfants de la chère France des Messieurs Le Bigot et autres. Parmi les Asudiens et les usagers en général il y a aussi des parents. Je ne les ai jamais entendu souhaiter pour leurs enfants un avenir reposant sur l’usage de drogues, bien au contraire. Ce n’est pas ASUD qui a amené un contexte social où dans certains endroits les seuls qui semblent avoir des perspectives de réussite sont les vendeurs de cannabis et non ceux qui cherchent désespérément un emploi digne de ce nom accommodé de surcroît d’un salaire digne de ce nom. Aucun membre ou représentant de l’association n’a, à ce jour, dit qu’il était souhaitable que les adolescents soient des fumeurs de cannabis ; mais ce que nous disons est qu’il n’est probablement pas utile et aidant pour ces adolescents qui ont fumé de les stigmatiser, étiqueter, médicaliser (rappelons au passage que c’est encore ASUD qui a tiré le signal d’alarme lorsque de jeunes adultes, pour certains toujours mineurs ont reçu un traitement de Subutex pour un usage encore récréationel de cannabis. Fort heureusement, à notre connaissance ces cas ont été de rares exceptions).
Clarifier ce que nous sommes
Enfin nous n’oublions pas qu’au moins une association de citoyens respectables a concrétisé pendant un temps son « combat contre la drogue » par la traque et le passage à tabac de simples usagers. Il est vrai qu’il aurait peut-être été plus risqué de s’attaquer à des dealers en état non seulement de se défendre, mais de se montrer plus dangereux pour ces courageux justiciers. Je n’ai encore jamais rencontré d’asudiens qui, équipés de matraques et autres bats de base-ball, allaient injecter de force des personnes vulnérables.
Alors arrêtons les mensonges et l’hypocrisie, les malfrats ne sont pas toujours ceux qu’on pense.
Je conclurai en rappelant que depuis plus de dix ans ASUD a été très clairement engagé dans la responsabilisation des usagers dans leurs pratiques et que c’est bien par la solidarité des pairs qu’est passée cette responsabilisation.
Voilà, s’il y avait besoin, j’espère que ces quelques mots auront clarifié ce que nous sommes, ce que nous ne sommes pas et ce que nous ne tolèrerons plus d’être qualifiés (merci d’avance à nos détracteurs d’en prendre bonne note).