Autosupport des usagers de drogues

Canada Dry

En janvier 2016, Justin Trudeau, jeune Premier ministre a surpris son monde : il allait tenir l’une de ses promesses de campagne, en 2017 le cannabis sera légal au Canada. Une entrée fracassante dans le club continental des États américains décidés à réformer leur politique de drogues qui a suscité l’attention de notre cannalyste de choc, Jean-Pierre Galland.

Au Canada, c’est en 1923 que le cannabis fait son entrée au panthéon des drogues interdites. Malgré la publication du rapport Le Dain qui recommandait en 1972 de le sortir du tableau des stupéfiants et de revenir sur l’interdiction pour possession à des fins personnelles, de redéfinir le trafic en tenant compte des échanges entre amis et d’en finir avec l’emprisonnement minimal de sept ans pour trafic, il faudra attendre 1996 pour que « la loi réglementant certaines drogues et autres substances » soit adoptée par le parlement canadien. Une loi qui exclut le cannabis de la liste des stupéfiants et dépénalise la possession en petites quantités.

Cette réforme n’a pas vraiment séduit les partisans de la prohibition, en particulier les magistrats qui ont tout fait pour qu’elle capote en introduisant « des conditions d’application si strictes et tant de circonstances aggravantes que l’intention originelle du projet s’en est trouvée pervertie », écrit Marie-Andrée Bertrand (1).

En 2002, le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites publie un rapport explosif où il recommande de légaliser la production, la distribution et la vente de cannabis, mais de maintenir les sanctions pénales pour le trafic. Le Comité suggérait aussi d’amnistier toutes les personnes condamnées pour possession simple et de faciliter l’accès à la marijuana thérapeutique. Un an plus tard, un projet de loi s’inspirant des mesures préconisées est déposé au Parlement, mais rapidement abandonné sous la pression des États-Unis.

Même si elle est différemment appliquée d’une province à l’autre, la loi n’est pas tendre avec les amateurs de cannabis. C’est ainsi qu’entre 2006 et 2013, 405 000 personnes ont été interpellées pour possession de marijuana, une infraction punie de six mois de prison et de mille dollars d’amende pour les quantités inférieures à 30 grammes. Quant à la possession dans le but d’en faire un commerce, elle est passible de prison à perpétuité. À moins de disposer d’une autorisation gouvernementale et de le cultiver à des fins médicales, produire de la marijuana est illégal.

Mais voilà qu’en 2015, Justin Trudeau, libéral fraîchement élu à la tête du Parlement annonce (comme promis lors de sa campagne électorale) que le Canada déposera un projet de loi légalisant le cannabis au printemps 2017, et c’est à l’ancien chef de la police de Toronto que sera confié ce dossier brûlant. La bonne nouvelle a été confirmée en avril 2016 par le ministre canadien de la Santé affirmant notamment à la tribune de la Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies sur les drogues que la nouvelle législation aura pour objectif « d’empêcher la marijuana de tomber entre les mains des enfants, et les profits de tomber entre les mains des criminels » (2).

 

ET LE CANNABIS THÉRAPEUTIQUE ?

Au Canada, contrairement à une idée répandue, disposer légalement de cannabis pour se soigner relève du parcours du combattant. En 2000, un jugement de la cour d’appel de l’Ontario demande au gouvernement fédéral de rendre le cannabis accessible aux patients qui en font la demande, sans pour autant en modifier son statut illégal. Santé Canada (notre Sécurité sociale) refuse de considérer le cannabis comme un médicament, idem pour la majorité des médecins. Or, depuis le 1er avril 2014, impossible d’obtenir du cannabis médical sans une ordonnance délivrée par un docteur, ordonnance qui doit être présentée aux producteurs agréés par Santé Canada. Les patients approuvés par Santé Canada peuvent cependant cultiver leur propre cannabis et même en confier la culture à un tiers.

Nombre de patients ont ainsi recours à des « Clubs compassion ». Étant donné « qu’avoir une ordonnance d’un médecin est presque impossible pour les patients, nous ne leur en demandons pas mais nous étudions méticuleusement leur dossier médical », explique le responsable d’un club et « seuls les malades qui souffrent d’épilepsie, de sclérose en plaque, de cancer, d’arthrose chronique ou du VIH peuvent recevoir ce genre de traitement ». À Vancouver aussi, certains dispensaires délivrent du pot médical sans exiger d’ordonnance, des commerces que la ville préfère réglementer et encadrer, allant contre l’avis de la ministre fédérale de Santé pour qui « légitimer ce genre de commerce de vente […] revient à le normaliser ».

En septembre 2015, treize dispensaires de Toronto et de ses environs ont reçu une lettre de Santé Canada les sommant de cesser leurs activités sous peine de s’exposer à des poursuites judiciaires… Et voilà qu’en mai 2016, malgré l’intention du gouvernement Trudeau d’assouplir la législation, la police de Toronto perquisitionne 43 comptoirs, interpelle 90 personnes, saisit 269 kg de marijuana et 132 kg de produits comestibles à base de cannabis, privant de nombreux patients de leur médicament.

 

UN PARTI POLITIQUE PLUTÔT QU’UNE ASSOCIATION

Le Bloc Pot a été fondé en 1998 au Québec (voir Asud-Journal 28) sur les conseils d’un avocat defleurs_quebec Montréal défendant un activiste pro cannabis. Avec quelques amis, ce dernier a proposé de s’associer à la Ligue antiprohibitionniste du Québec regroupant une centaine de personnalités dont Marie-Andrée Bertrand et Line Beauchesne (3). Mais face au manque d’enthousiasme, ils décident de passer à l’action, obtiennent les « 1 000 signatures d’électeurs et d’électrices » et s’engagent « à présenter 20 candidats pour les prochaines élections générales », condition sine qua non pour fonder un parti politique (4).

L’avantage d’être un parti politique, nous explique Hugô Saint-Onge, président du Bloc Pot de 2002 à 2012 (5), « c’est l’attention que vous portent les médias lors des élections ». Autre avantage : être financé. Et c’est ainsi que, suite à l’élection de 2014, le Bloc Pot « reçoit 600 dollars par an. De plus, chaque contribution est augmentée par une subvention de l’État, ainsi un don de 20 $ équivaut à 70 $ », précise Hugô.

La loi faisant des amateurs de cannabis des criminels en puissance, « la critique du Bloc Pot est plus tournée vers les politiques et le judiciaire que sur le produit en lui-même… Ainsi, nous souhaitons la fin de la prohibition sous toutes ses formes et l’ouverture d’un marché libre et ouvert. Cela ne signifie pas qu’il n’y aurait aucun contrôle ou procédure sanitaire pour le cannabis commercial, bien au contraire, comme il y en a pour les tomates, le café, le lait, la bière et le vin. »

 

UN OLIGOPOLE DE L’HERBE

Que pensent les membres du Bloc Pot de l’annonce faite par le Premier ministre de légaliser la marijuana ?

« Dès la prise de position de Trudeau, en juillet 2013, nous dénoncions le jeu électoraliste de cette promesse lancée en l’air lors d’un BBQ partisan dans l’ouest du pays », se souvient Hugô Saint-Onge. « Ce qui nous a mis la puce à l’oreille, c’est l’enthousiasme avec lequel ceux qui défendaient jusqu’alors la prohibition ont soutenu cette initiative. En creusant un peu, nous avons vite découvert que ce que les libéraux présentent comme une légalisation est une refonte de la prohibition… Un contrôle du marché par l’État autrement que par l’interdit pur et simple, mais par des limitations pénales, presque toujours excessives. »

Pour Hugô Saint-Onge, « le discours répété ad nauseam par les libéraux est celui de tous les gouvernements canadiens depuis 1961. À les entendre, c’est pour « protéger les jeunes et freiner le marché noir » qu’ils veulent légaliser l’usage de la marijuana et qui peut protester contre des intentions aussi généreuses ? En fait, ce que veulent les libéraux, c’est mettre en place une décriminalisation où les amateurs pris en flagrant délit de possession seront pénalisés par une contravention. Quant à la production et à la distribution, ils ont été assez clairs : maintenir la prohibition et ajouter des nouvelles lois plus strictes… Bref, le but des libéraux, c’est de créer un « oligopole de l’herbe au Canada ». Les adhérents du Bloc Pot parient que le gouvernement va reprendre le projet de loi C17 de 2004 qui prévoyait la mise en place d’un régime pénal (contravention) pour possession de 15 grammes et moins. Et concernant la production et la distribution, le gouvernement va ouvrir le marché du cannabis médical (qui n’est pas légal mais strictement réglementé) à tous les Canadiens de 25 ans et plus (je dis 25 ans car c’est la position des médecins très influents dans le débat) ».

Pour Hugô Saint-Onge, « la fin de la prohibition doit être l’affaire de tous les amateurs et non des amis du régime ». Il regrette que « le modus operandi du gouvernement soit le même que celui de ses prédécesseurs : maintenir la prohibition ». Et de conclure que pour le Bloc Pot, « la légalisation est une réponse prohibitionniste à la prohibition ».

 

Références

  1. Marie-Andrée Bertrand, dans la revue Drogues, santé et société (2004). Professeure à l’École de criminologie de l’université de Montréal, Marie-Andrée Bertrand a participé à la Commission Le Dain. Antiprohibitionniste convaincue, elle a milité pour la légalisation des drogues illicites jusqu’à sa mort en mars 2011.
  2. Une enquête publiée récemment indique qu’un peu plus de deux Canadiens sur trois (68 %) approuvent la légalisation du cannabis, et pratiquement autant (64 %) estiment que cette mesure « fera plus de bien que de mal ».
  3. Line Beauchesne est professeure titulaire du département de criminologie de l’université d’Ottawa. Elle a publié de nombreux ouvrages sur les drogues dont Légaliser les drogues pour mieux en prévenir les abus (1991).
  4. Après une tournée dans tout le Canada, le Bloc Pot a créé en 2000 son pendant anglophone : le Parti marijuana.
  5. Toutes les citations entre guillemets sont de Hugô Saint-Onge.

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