Cannabis social club… Aussitôt, on pense à l’Espagne, la première à avoir vu se concrétiser le concept imaginé par Encod : un regroupement d’usagers solidaires partageant leur récolte commune. Le mouvement y a pris une ampleur exceptionnelle, ce qui a d’ailleurs entraîné quelques infléchissements de fonctionnement, dus au succès et à des interstices législatifs que la France ne possède pas.
Depuis quelques temps, on commence à parler des Cannabis social clubs français, qui sont issus de la même démarche, tout en revendiquant une forte connotation militante. Existant depuis à peine plus de six mois, leur succès tient au fait qu’ils correspondent à une volonté revendicatrice d’arrêter la clandestinité d’un certain nombre de jardiniers de plus ou moins longue date qui se sont retrouvés dans ce procédé non commercial. D’autres, plus novices, y trouvent une structure qui leur convient, transgressive certes, mais responsable. Parce qu’au point où on en est, il faut bien arriver à provoquer une ouverture de concertation absolument nécessaire.
Si ces clubs en sont encore un peu au stade de la construction, on en recense néanmoins 157 actuellement. D’autres sont en attente d’avalisation, et tous ont adhéré au même code de conduite. Le nombre de participants, tous adultes évidemment, est très variable, en majorité des petites structures de trois à six personnes dont, bien sûr, des usagers thérapeutiques. Le système est absolument encadré et permet une transparence parfaite. Aucun soupçon de deal quelconque ne doit être possible.
Un logiciel permettant de centraliser tous les paramètres est en cours de finalisation. Il permettra d’enregistrer les cultures, d’échantillonner les variétés, leurs usages plus ou moins spécifiques, les produits utilisés, les résultats obtenus, la quantité produite, le nombre de cultures indoor ou outdoor, etc. Respectant l’anonymat des clubs, la mise en commun de ces données permettra d’avoir une vue d’ensemble rationnelle sur tout le système. Un outil qui pourra sans doute à moyen terme remplacer le traditionnel « cahier de culture » auquel chaque club doit s’astreindre à cause de l’évidence inscrite dans la charte.
Il est intéressant de noter que la plupart des commentaires aux articles parus sont plutôt compréhensifs, ce qui n’était pas si prévisible que ça. Cette bonne volonté affichée par la fédération des CSC dans l’organisation et la clarté risque de n’être utile qu’au fonctionnement interne si les autorités ne voient pas la nécessité d’infléchir leur position calcifiée par trente ans d’immobilisme forcené.
Changeons le discours
D’après un récent sondage du Huffington Post, les Français, toute origine politique confondue, sont assez sceptiques sur l’efficacité d’une dépénalisation, voire plus encore à propos d’une légalisation pure et simple. Ils constatent par contre très majoritairement (à 77%) que la répression n’a pas de réels résultats. 10% n’ayant pas d’opinion sur le sujet, ne resteraient donc que 13% de convaincus.
Une majorité estime également que renforcer la prévention ne servirait à rien, de même qu’un usage encadré par l’État. De quoi déduire sans doute une tendance assez nette et forte au fatalisme impuissant face au phénomène. Comme si la société vivait avec la prohibition, mais sans aucune illusion sur son bien‑fondé, en dépit de toutes les déclarations revendiquant une morale dogmatique. Une sorte de résignation réaliste concernant les résultats obtenus par ces années de prohibition répressive, sans bien percevoir la manière d’en sortir.
Il serait donc totalement vain de prétendre que l’opinion publique n’est pas prête à entendre un discours nouveau, pragmatique celui‑là, basé sur des données objectives. Au contraire, tout le monde est bien d’accord sur le fait que la politique actuelle est un échec. Changeons donc le discours, c’est le moment. Parlons de prévention entre autres pour les 15/24 ans, champions d’Europe de la consommation, que les exhortations officielles n’arrivent guère à convaincre. Arrêtons de confondre les causes et les conséquences… Sachons informer, expliquer ce qu’il en est exactement, c’est le meilleur argument préventif qui puisse exister.
À plusieurs…
Pas si loin de nous, le Portugal a tenté l’expérience de la régulation en dépénalisant depuis dix ans. Les résultats sont probants. La consommation a diminué, pour toutes les drogues d’ailleurs. Il y a quelque temps, des commissions de parlementaires curieux avaient fait le voyage pour s’informer.
Bien dommage que ce n’ait pu aller plus loin. Cela montre en tout cas que si on veut réellement s’en donner les moyens, accompagner avec beaucoup de proximité, par de nombreux dispositifs c’est vrai, la volonté de stopper une consommation exponentielle est dans le domaine du possible, y compris dans un pays à tendance traditionnelle. L’Union Européenne a toujours laissé aux États la liberté d’agir comme bon leur semblait dans ce domaine
Les nouvelles directives stratégiques pour 2013‑2020 insistent, entre autres, sur les risques sanitaires et sociaux, ainsi que sur une approche visant à réduire la demande et l’offre sur le plan national. À leur encore petit niveau, les CSC peuvent y participer. À plusieurs, il est plus facile d’éviter de s’enfoncer dans la surconsommation. À plusieurs, on risque moins d’utiliser des produits de culture peu adéquats dans leur composition, avec risque de répercussions sur la santé. À plusieurs, les expérimentations de vaporisateurs sont moins aléatoires. Sans parler des échanges sur les dosages précis nécessaires pour une utilisation culinaire, de la réduction de risques dus à une négligence parfois innocente dans l’utilisation d’appareils, de l’information sur les huiles de massage, etc.
C’est parce qu’ils sont en phase d’expertise d’un usage raisonné, ouvert au thérapeutique, que les CSC souhaiteraient obtenir une sorte d’expérimentation dérogatoire, qui permettrait d’amorcer un dialogue public sur des perspectives qui s’inscriraient dès lors dans une volonté d’aller au-delà d’une tentation d’immobilisme pernicieux. Mais il reste bien difficile de provoquer un signe des autorités compétentes, montrant qu’elles ont bien conscience du problème ou qu’elles n’esquivent pas les conséquences de leur logique législative. On se souvient, au printemps dernier, de la tentative – finalement infructueuse – portée par Francis Caballero d’arriver à la cour d’assise et de faire respecter l’article 222-35 du code civil en vertu de l’article 206-27 du code de procédure pénale, ce qui aurait ainsi permis de déboucher de manière détournée sur le débat tant attendu.