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CHASSEURS DE DEALERS OU CASSEURS DE TOXICOS ?

CHASSEURS DE DEALERS OU CASSEURS DE TOXICOS ?

Gilles Charpy

LA CHASSE AUX DEALERS

CHASSEURS DE DEALERS OU CASSEURS DE TOXICOS ?

Ca avait commencé dès 1991, avec les manifs musclées de quelques habitants des quartiers chaud de Marseille  » en révolte contre le fléau de la drogue ». Et tout le monde, à l’époque, médias et police en tête , d’applaudir à ce beau « sursaut de courage civique » – quitte à fermer pudiquement les yeux sur les battes de base-ball des justiciers improvisés. Depuis le phénomène s’est étendu à toutes les banlieues, ghettos et points chauds de la came à travers le pays, jusqu’à atteindre son point culminant voici quelques mois. Au point qu’aujourd’hui, partout de Lille à Vénissieux, de Bagneux à Saint-Denis et de Barbès à Stalingrad, on tabasse, on rackette, on dépouille, bref on casse joyeusement du toxico. Et tout cela dans la plus parfaite impunité, sous prétexte de lutter contre le fléau  » en « dissuadant les dealers » … 

Tout le monde s’y met, c’est l’union sacrée. Et sans risques : tandis que les vrais dealers, les gros tontons flingueurs rigolent bien au chaud dans leurs Mercedès, les petits rabatteurs SDF, les taxeurs au képa à vingt sacs et tous les toxicos en manque qui se les gèlent en traînant leur SIDA au coin des rues sont une proie facile … 

Facile à cogner, à dépouiller éventuellement, et en plus qui ne risque pas d’aller se plaindre aux keufs. Lesquels – et ce n’est pas le moins troublant dans l’affaire, ne se contentent plus apparamment de fermer les yeux en se marrant pour laisser les damnés de la vie se démolir entre eux mais, tout au moins à Paris et depuis quelques semaines, participe nt activement à la curée. C’est ainsi que les policiers en uniforme -brigades mobiles ou CRS? – qui stationnent aux abords des « scènes » de Stalingrad ou de la Goutte d’Or semblent avoir adopté une nouvelle tactique de harcèlement des camés : on cogne d’abord, on contrôle ensuite. Tout ce qui ressemble à un toxico et qui traîne dans le coin est systématiquement tabassé, quitte à se voir relâché ensuite en l’absence de « preuves incriminantes » (dope, attirail à shooter, argent liquide etc … ) Une attitude d’autant plus inquiétante qu’il ne s’agit pas de simples « bavures » mais, semble-Hl, d’une politique délibérée.  » Dissuasion » à l’américaine, à la façon de ce flic de L.A. qui, passant en procès pour brutalités, répondait candidement à son juge que oui, s’il explosait systématiquement la tête à tous ceux, suspects ou non, qui traînaient à un certain carrefour connu pour son trafic de dope, c’était « parce qu’ils n’avaient pas à se trouver là, tout simplement » … 

Sans tomber dans la parano, il y a de quoi se poser des questions : d’un coté , des bandes qui font la chasse aux toxicos en toute impunité, de l’autre des keufs qui semblent s’appliquer à intimider, voire à terroriser ces mêmes toxs. Deux et deux finissent quand même par faire quatre … et nous par nous demander si au-delà des convergences d’intérêts (tandis que les uns utilisent l’alibi anti-drogue pour légitimiser leurs appétits de violence, voire camoufler des rackets ou des réglements de conflits mafieux ou même promouvoir telle ou telle idéologie extrémiste, les autres ferment les yeux et profitent du climat pour faire de la répréssion sur le terrain) – si au-delà donc de cette connivence tacite, il ne faut pas voir une stratégie délibérée. Une sorte de dernier sursaut, de sinistre baroud d’honneur des tenants de la répréssion à tous crins à l’heure où, même en France, une majorité croissante de responsables et d’intervenants à tous . niveaux se convertit à la nécessité d’une politique de réduction des risques en matière de toxicomanie …

 Pour en avoir le cœur net, des membres d’ASUD se sont rendus sur le terrain, et ont pu parler avec des acteurs concernés : toxicos, petits dealers, mais aussi chasseurs de toxs, de bonne foi par fois. Ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont entendu n’a pas répondu à notre question, mais nous a convaincu que nous avions raison de la poser. Et surtout, face à toute cette violence, cette misère, de crier stop aux jusqu’au-boutistes de la guerre totale à la drogue, incapable de reconnaître leur défaite et les ravages qu’elle a causé, notamment en termes de SIDA et leur dire que cette guerre, sale comme toutes les guerres, nous n’accepterons pas qu’ils tentent de la gagner sur le corps meurtris des toxicos!

 Gilles 

MICRO TROTTOIR (radio NOVA) INTERVIEW CHASSEURS/CHASSéS 1er chasseur : « Non on tape pas sur les dealers, déjà c’est pas taper. Le problème, tu vois, c’est que nous, dans notre cité c’est uni. Avant y’avait des bandes mais maintenant c’est cassé. Nous on est unis.

Maintenant y’a des toxicomanes, je vais te dire, les plans qu’on faisait avec nos potes, c’est grillé à cause des toxicos, parce que quand il y a des toxicos y’a plus (+) de police, ça fait plus de contrôles d’identité donc, on se fait griller pour nos plans, en plus ils rentrent dans nos immeubles, ils mettent du sang partout. Nous on leur dit : vous rentrez, vous nettoyez, mais ils nettoyent rien et en plus ils font des embrouilles, on est obligé de sortir les pétards! Si on les nique ces mecs-là? Y’en a qui les niquent pour le fric, y’en a qui les tuent pour la tune, mais nous c’est pas çà : nous c’est pas pour le sida, pas les maladies, tout ça quoi.

1er chassé : « un soir je traînais à Stalingrad, je vois un groupe de jeunes qui étaient en train de tourner, y commencent à dire la drogue c’est de la merde, les toxicomanes ont va tous vous enculer. Moi je croyais qu’ils étaient juste en train de délirer. Un soir j’vais pour leur demander une cigarette et ils me refusent la cigarette. Et après , ils sont venus vers moi et ils m’ont dit : t’es un toxico toi . Moi j’ai dit : non je ne suis pas un toxico, et c’était six jeunes, en plus ce qui m’a fait mal au coeur, c’est qu’ils avaient entre quinze et dix-sept ans , ils ont sauté sur moi pour me taxer mon argent, ils m’ont taxé mon argent, et après, ils m’ont roué de coups, ils m’ont fauché et j’me suis ramassé des coups de pompe plein la gueule et partout. 

Dans le prétexte : les toxicos on en a marre d’eux, des trucs comme ça … C’est vraiment grave, au lieu de s’en prendre aux toxicos, qu’ils s’en prennent aux dealers. Les dealers, eux, ils se font de la tune sur notre dos ». 

Second chasseur : « Moi quand je vois un toxico j’le shoote direct, y’a pas de pitié, c’est ces enculés qui pourissent le quartier avec la came et le sida. Faut qu’ils comprennent qu’on veut pas voir leurs gueules ici ». 

Second chassé : « Un soir j’étais en queman, j’avais bouffé des rohypnols, j’suis parti pécho à Bonne – Nouvelle. Y’a deux mecs qui m’ont branché, j’pars avec eux dans une entrée pour acheter et là, j’me suis pris un coup de batte de baseball dans la gueule, j’me suis fait lyncher. J’étais trop cassé pour réagir, j’me suis fait taxer mon fric et mon blouson. Un jour ça va mal finir tout ça. Moi maintenant, quand j’vais pécho, j’prend un calibre avec moi. Obligé ».

LES PRODUITS DE SUBSTITUTION OPIACÉS SONT-ILS IMMUNO-DÉPRESSEURS?

 Les temps de la répréssion à tous crins, farouches opposants aux politiques de réduction des risques, et tout particulièrement à la prescription de produits de substitution aux toxicos font du prétendu caractère immunodepresseur des opiacés le cheval de bataille de leur douteuse croisade. Un cheval de bataille qui est en fait un cheval de Troie, dissimulant sous l’autorité de la « vérité scientifique » (qui ne se soucie pas de donner ses sources ni ses preuves aux profanes que nous sommes), ce qui n’est jamais que le bon vieux moralisme réactionnaire de toujours …

Pourtant, s’agissant d’une question aussi grave que de savoir si nos camarades seropos ou malades risquent de déclencher ou d’aggraver leur sida en prenant des produits du substitution, nous ne pouvions négliger aucun argument. C’est pourquoi, afin d’en savoir plus, nous avons posé la question au Docteur Patrick Brossais, un médecin quotidiennement au contact des problèmes de SIDA et de toxicomanie. 

Mise au point du Docteur Brossais :

« En ce qui concerne les phénomènes immunitaires induits par la consommation de drogues, ce qu’on peut dire c’est que les opiacés n’induisent pas de diminution notable de l’immunité, ce qui justifie, en particulier chez les personnes touchées par le V.l.H, l’utilisation de la méthadone comme substitut. 

Plusieurs études internationales ont été réalisées depuis quelques années. Les résultats ont été publiés, en particulier lors des différents congrès internationaux consacrés au SIDA, selon plusieurs études qui se donnaient pour but de comparer la durée de survie des usagers de drogues par voie intraveineuse N.l.H sous méthadone en regard d’autres groupes dits « à pratiques à risques » (les homosexuels, … ), il n’y a pas de différences significatives en ce qui concerne la durée de survie. 

Par la suite, d’autres études beaucoup plus rares, il est vrai, ont été publiées, en particulier à Amsterdam en 93, qui remettaient en cause cette idée, mais, compte tenu du nombre de travaux que nous avons maintenant et qui affirment le contraire, on peut considérer que la question est close. 

En ce qui concerne les opiacés en général, il n’y a pas de preuve tangible qui montrerait un affaiblissement de l’immunité. Ceci est donc vrai aussi pour l’héroîne, considérée en tant que toxique. Mais on ne parle pas ici des conditions de vie inhérentes à l’emploi de cette drogue dans le contexte de marginalité et le no man’s land médical où la prohibition relègue les usagers. Un contexte  (stress, manque d’hygiène et de matériel stérile, produits frelatés du marché clandestin, etc … )qui, bien  entendu, est quant à lui incontestablement immunodépressif. 

C’est sur cela que le concept de réduction des risques est important : le produit étant jusqu’à preuve du contraire, immunologiquement neutre, ses effets à ce niveau sont des conditions d’usage qu’ils nous appartient de rendre les moins dangereux, ses possible. 

A l’inverse, bien qu’aucune étude scientifique n’ait été faite à ce sujet , il y a tout lieu de penser que le sevrage brutal, par la déprèssion et le stress en général, qu’il induit, provoquerait un déficit immunitaire pouvant précipiter l’évolution défavorable d’une personne touchée par le SIDA. 

C’est tout ce qu’on peut dire dans l’état actuel des recherches. A vous de conclure …  » 

Propos recueillis par Gilles Charpy auprès du Dr Brossais

(Médecin psychiatre des Hôpitaux de Paris).

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