Autosupport des usagers de drogues

Courrier des lecteurs (printemps 1995)

Courrier des lecteurs (printemps 1995)

Lettre ouverte a tous les pharmaciens qui se posent encore des questions sur les produits de substitution, leur utilité.

Prenons l’exemple de quelqu’un qui s’est accroché depuis longtemps : environ 10 ans.

  • Trouver un médecin qui veuille bien sortir son carnet à souches, pas forcément évident ! Moi j’ai la chance de connaître des filières.
  • Par ce jour de mai, en fin d’après midi, j’emmène mon amie chez un médecin, il lui fait une prescription pour 14 jours de moscontin 60mg (posologie normale pour petit cancéreux, pas de quoi mettre un cheval les quatre fers en l’air). Donc ordonnance en règle, carte sécu + Paris santé.
  • Nous allons tous deux dans une pharmacie à côté de son cabinet : 1 ère excuse ne prends pas la carte Paris Santé, nous sommes en proche banlieue à une station de métro de Paris, d’après l’officine cette foutue carte n’est remboursée qu’à Paris, 1/3 payant, il ne veut pas en entendre parler,
  • Nous allons dans Paris, nous n’avons pas, il faut commander, vous aurez demain soir. Pour cette personne c’est impossible, commencer le boulot à 7h du mat, malade, c’est pas possible !
  • De plus, nous prendre pour des cons comme c’est pas permis, comment voulez-vous que des bons rapports s’installent entre toxicos-pharmaciens, c’est impossible !
  • L’image d’épinal du junkie qui s’éteint en Inde, etc. terminé, le laboratoire ne fabrique plus et si par hasard je suis livré (ne pas oublié de mettre le timing-chronologie oblige), ce ne sera pas avant 48h (donc il découlera un décompte de comprimés, de…).

Nous décidons tous deux d’aller voir dans les pharmacies open 24/24h de Paris Centre ; ce sont en principe des boutiques à vocation d’urgence ; le tableau B peut devenir vital pour quelqu’un qui cherche à s’en sortir.

Nation 2 apotek, nous nous sommes heurtés à un mur d’incompréhension, la peur de l’autre, mon amie et moi n’avons pas le look (serpillère junkie).

Nous avons encore fait deux tentatives, ils ont tous joué sur le coup de la livraison, lorsqu’ils n’ont pas déblatéré un monceau d’âneries.

22h. Découragés, nous sommes allés pécho (grâce de détails) du côté de Belleville et sommes rentrés. Mon amie a pu aller travailler et moi je suis allé chercher ses comprimés dans une pharmacie que je connais le lendemain matin.

L’État baratine les médias avec la substitution mais que de beaux discours, de belles phrases qui n’aboutissent à rien.

Dans cette histoire, malheureusement, la mentalité des gens dits « bien pensants », n’est pas prête de changer, quand apprendront-ils à vivre avec les drogues au lieu de les combattre.

Jean-Marc

Cher Monsieur,

C’est un plaisir que d’avoir reçu votre publication lors d’un récent colloque « la méthadone à Tourcoing »·(…)

L’essai comparatif des produits de substitution opiacés appelle quelques compléments d’information.

Le Palfium est à l’origine probable de talcose pulmonaire et d’emphysème avec insuffisance respiratoire. La méthadone est donc de la morphine chimique et sa « décroche » n’est douloureuse que si elle est inutilement rapide. À long terme (six mois) le décrochage est totalement indolore.

Il faut signaler qu’à la baisse de libido correctement décrite est associé un retard à l’éjaculation qui perturbe bien des couples. Ce phénomène est lui aussi transitoire.

La méthadone remet en marche la machine à bébé. Il y a donc lieu de prévenir les jeunes femmes de veiller à la contraception.

Ma population consultante utilise aussi largement le Rohypnol comme substitut temporaire de l’héroïne. L’Halcion ne fait pas partie de la culture toxicomane locale mais est, je crois, utilisé en France et l’a été en intraveineuse en Angleterre.

Il y a lieu de mettre en garde les usagers contre les effets graves de l’utilisation du Rohypnol (sensation d’invincibilité, levée des inhibitions, agressivité, passage à l’acte et amnésie rétrograde quasi complète). Encore bravo pour votre journal auquel je me fais un plaisir de m’abonner à partir du n°1. (…)

Bien amicalement

Marc JAMOULLE

Cher Asud,

Tout d’abord merci de m’avoir envoyé ASUD Journal (que j’avais déjà !).

Avec quelques personnes de mon ento – rage, nous voulons monter un ASUD Brest… Ce n’est pas facile d’essayer d’introduire dans le système social actuel de cette ville des toxicomanes qui sont automatiquement considérés comme les lépreux de la société. Surtout si ils ont le malheur d’être atteints par le VIH (Virus Inventé par l’Homme) on les fuit comme la peste.

« Poison pour empoisonner la flèche » est la définition étymologique du mot toxique qui vient du grec toxikon. Le saviez-vous ???

C’est la confrérie des politicards, des argousins et des médecins aidés par leurs potards qui ont bandé l’arc pour pomper de leur corps social et de leur ordre public les toxicomanes, en leur ayant trouvé une infirmité, une morbidité, un mal-être qui les détruit jusque dans la tête.

Je n’aime pas trop écrire de lettre, je préfère la poésie, comme message à faire passer ; tous les jours, tout le temps, comme un dessin au destin. Comme seul dessein, nous voulons faire un ASUD Brest.

Je vous remercie beaucoup d’exister.

Saïdem

A. Z. T.

Attention Zone Touchant
Une certaine catégorie
Une certaine ethnie
D’individus pas clairs.
Il y a ZIDOVUDINE,
mot technique qui m’ennuie,
Car c’est vrai qu’il ne faut pas avoir l’air,
L’air d’y croire qu’un jour on contracté
Sans le vouloir ce virus qui nous met dans la galère.
AZT est ton médicament,
Il est bien et va te soigner.
C’était l’été, on t’a prescrit ce remède de survie,
AZT juste après la misère,
La maladie, un putain de calvaire,
AZT t’es complètement contaminé,
Enivré, cassé…
AZT rustre qui promet un autre verre,
Un autre amour, on t’a trouvé
Pour découvrir une autre maladie,
Avec un zeste de tronci,
Tu fais tourner ta pompe
Tu propages ce mal que tu ignores dans le fond…
Comme un reste de survie tu peux plus rompre,
Fais gaffe aux traces sur les draps et le caleçon.
AZT te préserve,
AZT pour l’été,
Milieu médical et intervention radicale,
Pour ce cor au pied, ce poil sur la main,
Et cette maladie du nez,
Tu vas développer, tu vas attraper,
C’est musical, ça sonne sida à l’oreille,
Nouvelle, comme la peste noire au Moyen-Âge,
Tu vas, nous allons la voir
Décimer des amis à pleines pelles.
AZT est là !
Il te délivrera. AZT est ton médicament,
Il te ment.
AZT et la misère : rien à voir,
AZT rime avec espoir ou cafard.

Saïdem

Témoignage d’un ancien toxicomane

Comme Annie Emaux en exergue de son livre « La Place » (Prix Renaudaut 1984), je citerai cette phrase de Jean Genet :

« Je hasarde une explication : écrire c’est le dernier recours quand on a trahi »

— et donc j’écris —. Je pense avoir trahi moi aussi. Il s’agit de savoir exactement pour quoi, afin, en quelque sorte, de m’exorciser et de vaincre mes démons.

L’abandon de mes études est une explication mais elle ne m’apparaît pas comme essentielle.

Une séparation amoureuse à vingt ans avec celle qui fut la première femme que j’ai réellement aimée, n’explique pas tout. C’est le lot de beaucoup, il faut du temps pour « savoir » aimer, et être adulte en matière d’amour.

Alors quoi ? Je l’ai, je crois, cette réponse mais il me répugne d’en parler. Il s’agit de la DROGUE, qui m’a fait perdre toute dignité naturelle.

À cause d’elle. Dieu ou toute idéologie, qui est un trop grand mot en la matière, toute philosophie ou construction spirituelle, ne se fait pas ou plutôt ne se bâtit que par à coups, mais aussi de façon décalée, parallèle, sans aucun rapport avec la réalité de l’époque.

L’on est persuadé qu’il y a là, au milieu du système, une autre manière de vivre, sans foi ni loi. (Et là, je parle surtout de l’héroïne). Je ne dis pas que nous devons tous vivre comme des robots, que la différence, l’originalité, la liberté ou sa recherche ne sont pas permises, dans une société démocratique. Mais la recherche du bonheur par le biais de la drogue ne conduit pas, justement, à l’indépendance mais plutôt, à l’emprisonnement dans les sens du terme, hélas…

Pour en venir à cette drogue, nommée « douce », je veux parler de l’herbe ou son pollen, le haschisch, je crois qu’il est encore trop tôt pour le légaliser en France, même si de plus en plus de gens de tous milieux l’utilise, plus ou moins régulièrement.

On doit la dépénaliser pour une faible quantité, mais c’est tout, car son grand danger – et on revient à ce qui fut écrit plus tôt – est que si elle est consommée dès l’adolescence, elle désocialise peu à peu, et enfin, présente le danger que son utilisateur passe à une drogue « dure ».

Enfin, la dernière donnée et la plus horrible, je veux parler de cette maladie nommée SIDA, car malgré toutes les protections mises en place par les services publics, comme par exemple, le vente des seringues, la shooteuse reste dangereuse à ce niveau là.

À cause de l’inconscience de certains, l’on devrait brûler tout le pavot de Terre. (je n’oublie pas évidemment, que la maladie peut se contracter par d’autres biais). D’aucuns, mauvaises langues, pourraient affirmer que Dieu nous punit de la libération des mœurs en matière de sexualité et de cette tendance, apparue un peu partout, depuis une trentaine d’année. Je veux parler de la drogue et de l’héroïne en particulier. Ce raisonnement n’est évidemment pas sérieux.

D’autres affirment que des savants de l’ex-URSS ou de tout autre pays, auraient créé ce virus afin d’éliminer ceux qu’ils jugent inutiles ou déstabilisants pour la société. Je n’y crois pas non plus.

Face à tout cela, un seul espoir, la science, et tenir le coup le plus possible. Quelqu’un disait que « le génie c’est de durer ». Nous la vaincrons cette satanée bestiole, je vous le promets.

Restez géniaux…

Un médecin nous écrit…

Messieurs,

À vous lire, et d’autres, il serait regrettable que la méthadone ne soit pas plus accessible aux toxicos ? J’ai cinq ou six anciens toxicos dans ma clientèle qui ont décroché grâce au Palfium ; ils prennent un ou deux Palf/j, et cela leur évite la prise de « benzo », et ils ne se piquent plus (ou presque) ; on a l’impression qu’il y a des intérêts économiques non avoués derrière l’ostracisme qui frappe le Palfium au détriment de la Méthadone ?

Votre opinion m’intéresserait ! Merci.

Dr B…

Réponse ASUD : non, Cher docteur, Asud ne détient aucun intérêt financier au développement des programmes méthadone ! notre seul intérêt est de voir nos amis, et nous-mêmes, mieux vivre, survivre… Oui, la méthadone aide à sauver des vies, et nous estimons qu’il est criminel d’empêcher les usagers de drogues qui le désirent, de pouvoir y accéder ! n’oubliez pas qu’il y a encore un an, seulement 52 places étaient disponibles. C’est non seulement regrettable mais aussi criminel. Oui, nous revendiquons d’avoir le choix de nous sevrer ou de nous substituer à la méthadone ou à autre chose… En ce qui concerne le Palfium, il nous semble que ce produit est extrêmement difficile à gérer : sa durée d’action est très courte et il provoque une très forte tolérance. Nous avons pu le constater au sein même d’Asud ! Sachez que certains d’entre nous en consommaient plus de 100 amp/j… On est loin des 2 cp/j que vous prescrivez à vos 6 « clients ». Êtes-vous bien sûr qu’ils s’en contentent ? Sont-ils seulement encore accros ? 2 cps de palfium ont une durée d’action d’à peine 6 heures, dois-je vous rappeler qu’un journée dure 24h ? Ceci dit, tant mieux pour eux s’ils arrivent à se stabiliser ainsi, et bravo à vous de prendre le risque de ces prescriptions.

PS : en ce qui concerne d’éventuels intérêts financiers, nous devrions alors promouvoir le palfium, la société Synthélabo qui le commercialise ayant soutenu à plusieurs reprises notre action.

Dr Asud

-- Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *