Ce n’est plus un secret, il est possible de se procurer des drogues sur internet. C’est un marché comme les autres entre ses boutiques en lignes, ses sites de petites annonces et ses forums d’usagers. Mais est-ce aussi facile que les médias le présente ? Quels changements en terme de risques pour les consommateurs ?
Jamel Lazic est volontaire de Techno+, une association communautaire qui informe et aide les teufeurs (Lire Ecsta sana in corpore techno). Il est l’auteur principal des récents flyer Cathinones et Dépistage et s’intéresse de près aux nouveaux produits et aux moyens de se les procurer. Lors des Égus 9, il a amené Asud dans une virée live au cœur du Darknet.
Cet article fait partie du dossier « Pécho » sur le net.
Le Darknet (ou Darkweb) est un réseau « pair à pair » ou « ami à ami », un réseau privé virtuel dont les utilisateurs sont considérés comme des personnes de confiance. On y accède de manière anonyme et le réseau n’est pas centralisé. Le Darknet est la partie la plus cachée du Deep Web, qui regroupe l’ensemble des sites et des informations qui sont sur le web mais qui ne sont pas référencés par les moteurs de recherche classiques. Les adresses sont en général en «.onion » (pas en .com ou .fr). Du fait de l’anonymat, on trouve sur le Darknet une multitude de sites qui seraient illégaux ailleurs dont des boutiques de vente de drogues. C’est ce qui nous intéresse et voici les étapes pour y accéder.
Les 3 sésames de l’achat sur le darknet
D’abord, utiliser un logiciel anonymisant sa connexion, comme Tor, le plus connu d’entre eux. Tor « mélange » les connexions entre beaucoup d’ordinateurs participant au programme, ce qui rend impossible de retrouver et l’identité de l’utilisateur et les infos envoyées.
Vous allez aimé avoir Tor
Téléchargeable en quelques minutes sur torproject.org, Tor est un logiciel légal dit « libre » (ouvert et gratuit). Chaque personne ayant des connaissances en informatique peut participer au projet et l’améliorer. À l’origine, Tor a été créé par des ingénieurs de l’US Navy qui voulaient trouver un moyen d’envoyer des données aux espions qui étaient dans les pays ennemis. Tor permet aussi bien de surfer sur des sites comme lemonde.fr ou leboncoin.fr de manière totalement anonyme, que d’accéder au Darknet qui attire de nombreuses activités illégales.
Deuxièmement : recourir à une monnaie virtuelle comme les bitcoins, qui sont totalement indépendants de toute autorité financière. On peut les obtenir de différentes manières : ils peuvent être « minés » par des personnes ayant d’excellentes connaissances en informatique qui vont mettre à disposition des machines pour calculer en permanence l’ensemble des portefeuilles et l’indice de la monnaie ; ou vendus sur des plateformes d’échange spécialisées, qui proposent l’achat et la revente à des taux qui varient constamment. Un bitcoin vaut aujourd’hui [Ndlr : le 13 avril 2015] 222 €. Sur ces plateformes, on achète des bitcoins, soit à des entreprises qui « minent » pour ensuite les revendre, soit à des plateformes locales, où chacun peut proposer et vendre ses bitcoins. On vous demandera votre identité, votre adresse et généralement de payer par virement pour éviter les arnaques et les CB volées. Il existe aussi des vrais comptoirs, comme « La Maison du bitcoin » à Paris, où vous pouvez en obtenir avec une simple pièce d’identité.
Ces bitcoins sont regroupés dans un portefeuille ou wallet (dernier sésame nécessaire) sur votre ordinateur grâce à un logiciel hors-ligne que vous allez télécharger, dans votre téléphone portable ou en ligne via des sites Internet. Un portefeuille bitcoins, c’est simplement une série de chiffres et de lettres avec un code pin ou un mot de passe. Si vous perdez votre mot de passe ou votre code pin, vos bitcoins disparaissent. Personnellement, je me sers d’un logiciel qui s’appelle Electrum et qui permet de gérer son portefeuille en ligne. À aucun moment, on ne demandera le nom de la personne qui veut envoyer ou recevoir des bitcoins.
Où trouver de la drogue ?
On a donc téléchargé Tor, acheté et mis des bitcoins à l’abri dans un wallet, reste ensuite à savoir où acheter de la drogue. On trouve sur le web classique des forums d’actualités du Darknet, comme deepdotweb.com, qui fournissent des adresses de sites (en .onion), des critiques des différentes places du marché vendant des produits stupéfiants, un système de notation en étoiles, et des commentaires pour avoir une idée sur quel site aller. Ou encore l’annuaire thehiddenwiki.org qui essaie de recenser les sites du Darknet. Une fois l’adresse choisie, on la copie dans Tor pour accéder aux offres.
Cet annuaire note les sites qui notent vendeurs du darknet
L’autre méthode, c’est d’utiliser Grams, un moteur de recherche qui ressemble fort à Google et qui fonctionne comme un comparateur de prix. Après avoir saisi dans Tor l’adresse (facile à trouver) en .onion de Grams, il suffit de taper vos mots-clés pour que Grams affiche la liste des offres en cours sur différentes places de marché du Darknet.
On tape cocaine dans Grams… |
…et le moteur vous en propose des kilos ! |
Attention ! Comme pour les shops de RC (Lire Les pièges de l’achat de drogues en ligne), c’est un marché qui évolue très vite et les sites de confiance peuvent rapidement devenir des escroqueries : le site a très bien fonctionné pendant des années, respecté ses vendeurs et ses acheteurs, et du jour au lendemain, commence à faire disparaître des bitcoins ou des comptes utilisateurs (comme le site Evolution, dont les propriétaires sont partis avec la caisse).
Agora, un eBay de la drogue
Un exemple avec un site ayant une bonne réputation, Agora, similaire à feu Silk Road. Comme sur eBay, vendeurs et acheteurs vont pouvoir se rencontrer et s’évaluer. Le site vous demandera de vous enregistrer : un nom d’utilisateur, un mot de passe et un code pin (un mot de passe pour pouvoir utiliser son portefeuille de bitcoins en ligne sur ce site). Comme le montre l’illustration ci-dessus, on y trouve à la fois des offres de produits stupéfiants et des forums avec toute une partie consacrée aux conseils de réduction des risques sanitaires, d’achat, les produits de coupe à utiliser (pour les vendeurs), comment reconnaître les produits, etc. On trouve également des médicaments, des stimulants, des contrefaçons et des produits stupéfiants.
Comme, par exemple, cette offre de méphédrone (illustration ci-dessous), qui est interdite en Europe depuis 2010 : on voit pourtant qu’elle peut être livrée de Grande-Bretagne, des informations sur l’endroit où se situe le vendeur qui permettent de calculer le nombre de frontières que le produit aura à franchir avant d’arriver et de limiter le risque douanier. Mieux vaut si possible s’adresser à un vendeur hexagonal. On trouve aussi les dernières notes et commentaires à propos du vendeur.
Si vous décidez d’acheter, on vous demandera votre n° de compte bitcoins, et le vendeur ne sera payé qu’une fois le produit livré pour éviter les arnaques. En résumé voici comment se passe l’achat sur le darknet :
« D’après l’étude de Fernando Caudevilla, à partir des données de Silk Road sur les NPS, la plupart des transactions en grosses quantités vont plutôt concerner les RC et aller d’Asie vers l’Europe et les États-Unis, alors que les petites quantités (moins de 200 $) vont plutôt être des street drugs traditionnelles allant d’Europe vers l’Europe ou des États-Unis vers l’Europe. »
(Jamel Lazic, Techno+)
La RdR sur le Darknet
La plupart des places de marché sur le Darknet disposent de forums. Les discussions des utilisateurs sur les arnaques et les conseils sanitaires y sont monnaie courante. Certains participants se sont fait une spécialité d’aider les autres, ces groupes d’entraide sont parfois encouragés par les administrateurs du site, comme ce fut le cas sur Silk Road, plus célèbre site de vente de drogues en ligne fermé (2 fois) par le FBI.
Outre les LSD Avengers (Lire Lysergamides 2015 : un nouveau summer of love ?), Fernando Villa d’Energy Control, une association espagnole qui fait aussi de l’analyse de produits, a mené pendant deux ans une action de réduction des risques (RdR) sur le forum de Silk Road en invitant les usagers à poser des questions au Dr X, qui a du coup répondu à plusieurs milliers de posts. Il a même reçu des dons en bitcoins pour ses services !
Lors de son procès, Ross Ulbricht a déclaré pour sa défense que « l’une des principales priorités de Silk Road était de réduire les risques et de promouvoir l’éducation sanitaire aux drogues ». De quoi rêver à une collaboration saine entre dealers et associations de RdR. Malheureusement pour lui, cette ligne de défonce défense ne l’a pas empêché d’écoper d’une sentence exemplaire : double perpétuité et 184 000 000 $ d’amende.