« La coke ? Maintenant, c’est seulement pour travailler », s’exclamait notre Johnny national interrogé en 1998 sur ses consommations de substances illicites. Avec la fraicheur qui le caractérise, le papy rocker explique à un journaliste faussement naïf que les mêmes drogues servent indifféremment de booster, d’antidépresseur ou de complément festif, selon l’humeur du consommateurs ou le contexte des consommations. La barrière censée marquer la limite entre la question des drogues et celle du dopage est riche d’enseignements. Pourquoi les deux sujets devraient-ils être traités différemment ?
Notre longue tradition de champions cyclistes dopés aux amphétamines ou au vin Mariani a très certainement poussé les autorités à faire preuve d’indulgence à l’égard du monde du sport. Énervé par des allusions récurrentes au régime un peu trop vitaminé de Jacques Anquetil, le général De Gaulle aurait lui-même fini par répliquer : « Dopage ? Quel dopage, a-t-il oui ou non fait jouer la Marseillaise à l’étranger ? » Cette mansuétude explique sans doute l’échelle aléatoire des peines pour les consommateurs :
pénalité professionnelle lorsque l’on est sportif, correctionnelle, voire prison, quand on est simple « civil ».
Dans le même ordre d’idée, si la prise de psychotropes fait l’objet d’une réprobation quasi unanime, l’addiction aux drogues serait une pathologie alors que le dopage relèverait, lui, du bricolage neurobiologique ou au pire, de la vulgaire tricherie. Le paradoxe de cette dichotomie est que les soi-disant tricheurs sont généralement victimes de sérieux problèmes sanitaires alors que la grande majorité des soi-disant malades sont souvent des consommateurs récréatifs.
En fait, tout fonctionne comme si le dopage était un énième révélateur de la prépondérance de la morale sur la réalité sanitaire dans la politique des drogues. Le toxicomane est traditionnellement affublé de nombreux stéréotypes négatifs : la veulerie, la dissimulation, le manque de volonté, autant de qualificatifs aux antipodes de l’univers viril des « forçats de la route », durs au mal, endurants, accrocheurs.
Une confusion totale entre les deux univers risquerait d’écorner le topos du « tox », rebut de la société. À l’autre bout du spectre, dans un monde où tout le monde utilise des substances pour « fonctionner », les sportifs (et les animateurs télé) souffrent d’une évidente discrimination : ils seraient les seuls à ne pourvoir bénéficier de ces coups de pouce pharmaceutiques si communs dans le reste du corps social. Or comme le souligne Johnny, cette différence de traitement est absurde du point de vue d’un consommateur. Non que nous souhaitions que le dopage soit criminalisé à hauteur des stupéfiants, mais il est difficile d’y voir une différence de nature avec l’usage des drogues.
Tout est question de contexte. Pour certaines personnes, l’épreuve qui consiste à sortir acheter une baguette au coin de la rue , c’est l’ascension du Tourmalet. Un exploit qui nécessite une dose variable de produit dopant… Inversement, la jouissance née d’un effort boosté aux amphétamines ou aux stéroïdes est un paysage bien connu de tous les consommateurs de psychostimulants. Du reste, les addictologues le savent aujourd’hui, sport intensif et usages de drogues sont liés par de multiples connexions cérébrales.
Mais attention, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la répression est dans tous les cas toujours à la fois inopérante et facteur de risques aggravés. Cela vaut pour les drug parties comme pour les sessions de slam ou les critériums cyclistes.