Autosupport des usagers de drogues

« Tout doit être fait pour diminuer l’emprise de la drogue sur les quartiers », rencontre avec Fadela Amara

« Tout doit être fait pour diminuer l’emprise de la drogue sur les quartiers », rencontre avec Fadela Amara

Dans un souci de clarification de l’image d’ASUD et de communication en direction du monde politique nous avions rencontré Christine Boutin au Palais Bourbon le 30 janvier 2007 (voir Asud journal n° 32). Puis, la fin de notre collaboration avec la MILDT ont rappelé aux partisans de la politique de réduction des risques que l’auto-support peut être mal compris voir diabolisé. Kate Barry ayant eu l’amabilité d’ouvrir son carnet d’adresses pour ASUD nous avons donc continué de rencontrer des membres du personnel politique, en l’occurrence Fadela Amara, ancienne présidente de l’association “ni pute ni soumise”, et actuelle Secrétaire d’État à la Ville.

Un peu d’histoire

Le Secrétariat à la Ville est installé en plein quartier des ministères, juste en face des Invalides. C’est l’ancien Ministère de la marine marchande, bâtiment austère qui fleure bon la république. On pourrait croire Mlle Amara , un chouille dépaysée dans ce décors un peu vieille France. C’est oublier un peu vite que la république c’est aussi La Plus Grande France – la France de l’Empire Colonial – qui s’est hissée sur trois continents, notamment grâce à ses bateaux marchands. D’ailleurs la première chose qui frappe dans le bureau de Madame la Ministre est un véritable monument d’art colonial , une fresque magnifique, peinte à la main, qui orne le mur sur toute sa longueur: Marianne, dressée au centre de l’Hexagone, brandit le fanal de la liberté pour éclairer les peuples d’Outre-Mer : hommes bleus du désert, guerriers bantous du Delta du Zaïre, chasseurs Sarakoulé de l’empire du Mali ou montagnards Hmongs des plateaux indochinois. Bref notre ministre , née à Clermont-ferrand, peut saluer chaque matins ses ascendants Kabyles, figurés en pagnes en haut à droite de la scène.

“Je ne crois pas que mes ancêtres aient pu avoir cette tête-là” nous dit-elle. Il n’importe, le foisonnement de peaux couleurs crème, café noir ou café au lait du ministère de la ville ne fait que renouer avec la vieille tradition française du métissage et du mélange, fut-ce par le fait colonial . Deux décennies entachées par la xénophobie du Front National nous l’ont parfois fait oublier .

La ville et la drogue

Mais revenons à nos moutons ou plutôt à nos éléphants roses, et posons la question à Madame le Ministre, quid de la drogue dans la politique de la Ville ?

“il y a trop de produit dans les quartiers, et je ne parle pas de la zetlah , parce que ça c’est rien, mais du reste, notamment la coke qui séduit de plus en plus de jeunes des quartiers .Tout doit être fait pour diminuer l’emprise de la drogue sur les quartiers”

Le dialogue étant engagé sur ces bases, nous avons rappelé à Madame la Ministre les principes de la Politique de Réduction des Risques (rdr), principes qui doivent aussi s’appliquer dans les « banlieues » . Il est frappant de constater à quel point , les populations que l’on a pris pour habitude de désigner sous le vocable de «gens des cités » sont hermétiques à la logique de la rdr (voir page ..ASUD au comité des familles )
Nous avons également rappelé le caractère particulièrement catastrophique de l’épidémie de sida des années 80-90 justement parmi la population des jeunes issus de l’immigration, touchée massivement au travers de leur usage de drogues par voie intraveineuse, une catastrophe dont les conséquences sociales et psychologiques sont encore mal connues. (Voir ASUD JOURNAL n° 32 ) .

La politique de réduction des risque : cette inconnue Fadela Amara a semblé extrêmement intéressée par notre approche tout en étant assez peu informée sur les réalisations concrètes de la RdR. Elle a acquiescé fortement à propos de la catastrophe épidémique du sida dans sa variante ethnico-sociale en y ajoutant le traumatisme des morts par overdoses, qui dès les années 70 ont endeuillé de nombreuses familles françaises issues de l’immigration magréhbine et africaine. Une chose lui a paru incroyable c’est l’extrême pénurie de résultats probants, sanctionnés par la recherche, en matière de réduction des risques . A l’exception des enquêtes Siamois , puis des travaux menés par l’INVS , très centrés sur les questions infectieuses, pas de statistiques sur la baisse réelle de la délinquance, pas de statistiques sur le nombre de personnes ayant quitté la substitution. Aucune information non plus sur le changement de perception des toxico dans la société. Rien sur les questions culturelles et encore moins ethniques, malgré les nombreux modèles anglo-saxons ou Hollandais. Bref, rien qui pourrait être comparé avec ce que fut par exemple la publication du rapport Engelmans aux Pays-Bas en 1985, ou bien encore le débat confédéral qui s’est emparé de la société helvetique à la suite de la fermeture du trop fameux Letten park de Zurich en 1994. Trop de questions restent sans réponses dès lors que nous voulons attire l’attention des politiques ou des journalistes sur l’impact réel du changement à 360 ° réalisé dans les années (1987- 94). Autre exemple, combien de toxicos, bénéficiant de cette politique ont pu renouer avec la vie sociale grâce aux produits de substitution ? Combien de tox on pu échappé à la prison ? etc..
Bref pas de réelle approche coût/efficacité, aucune enquête de l’IGAS sur les résultats de la politique de réduction des risques en matière de baisse de la délinquance, d’amélioration sanitaire, de réinsertion sociale et globalement de réduction des dommages et méfaits. Tout cela a semblé surprenant au Ministre , qui , encore une fois, comme beaucoup de nos concitoyens ne connaît pas la politique de réduction des risques en tant que telle, à tel point qu’elle s’est adressée à sa collaboratrice pour savoir dans quelle mesure et dans quels délais, l’IGAS était susceptible de mettre en place un questionnement de cet ordre.

La prévention mais sans oublier la répression

Fadela Amara nous a informé d’une rencontre avec Monsieur Appaire dont elle déclare ne pas partager toutes les options. La prévention reste à ces yeux un critère décisif pour résoudre le problème. Pour autant , La secrétaire d’État ne se veut pas « laxiste »la répression est nécessaire en ce qui concerne le trafic , particulièrement dans sa variante « mafia » de plus en plus investie dans les affaires de marchandises illicites dès lors que l’on est dans les contexte « cité » . La terme même de dépénalisation lui semble un leurre dans la mesure où il s’agirait du mauvais « signal » donné à la jeunesse. La prohibition des drogues n’apparaît donc pas comme scandaleuse à Fadela Amara qui qualifie de « facile » l’argument de la comparaison avec la prohibition américaine de l’alcool pendant les années 30. D’ailleurs, la stigmatisation dont sont victimes les jeunes de banlieues, fumeurs de cannabis, rapportée à la complicité goguenarde dont bénéficie les jeunes alcoolos des campagnes berrichonnes ou bourguignonnes qui s’enroulent autour d’un platane après une baston en boite, n’est pas un thème qui emporte sa conviction. En ce sens Fadela Amara se fait la porte-parole convaincante, d’une proportion probablement majoritaire de l’opinion publique qui voit dans la toxicomanie une maladie contemporaine du sida ou de la violence dans les lycées. Vu sous cet angle toute action visant à « faciliter » l’usage sera mal perçu. Par exemple le principe de la substitution en soi pose problème à la Ministre qui s’étonne, pour ne pas dire plus de nous voir faire la promotion de traitements qui s’étalent sur 10, 15, ou 20 ans.

Un outil de communication : la promotion du citoyen

La véritable porte d’entrée de la RdR dans la politique de la ville est visiblement la promotion du citoyen, C’est sur cette base que l’on peut agir pour changer le regard porté sur les drogues. Un citoyen a le droit d’être informé sur les stupéfiants de façon crédible. Madame Luc Vidal, la conseillère de la Ministre, est intervenue à ce stade de la discussion pour indiquer que les interventions en collèges et lycées effectuées dans le cadre de la prévention de la toxicomanie sont en partie du ressort du ministère et qu’il n’est pas souhaitable de laisser les seules forces de police exercer cette mission.
Dans le même ordre d’idée, il a été pointé par la conseillère de Fadela Amara que la Délégation Interministérielle à la ville (DIV) soutenait l’action de l’ANIT, dans le cadre de la mission « prévention de la délinquance » de la DIV , alors que l’étiquette « action sanitaire » aurait pu être retenue. Un écart d’interprétation administratif qui en dit long sur la manière dont les questions de drogues ont traditionnellement été abordées dans notre pays .

Ne pas enfermer la banlieue dans les drogues.

Le soutien demandé par ASUD au secrétariat d’État peut donc prendre la forme d’une aide directe sous forme de subvention, par exemple pour l’organisation des EGUS 2008. Néanmoins ce soutien doit être compris comme faisant partie d’un éventail de mesures en directions des population urbaines précarisées ayant vocation à être représentées par ASUD, en aucun cas il ne s’agit d’une action visant à « remplacer la MILDT » , comme d’aucuns vont s’empresser de la propager. Ce soutien peut aussi se manifester par des propositions qu’ASUD et l’ANIT sont invités à faire conjointement dans le cadre du plan « banlieues » que le Secrétariat d’Etat est amené à produire d’ici la fin de l’année 2007.

Attention cependant d’ éviter les pièges démagogiques de deux sortes. D’abord se laisser enfermer dans une image réductrice qui assimilerait la drogue avec les banlieues, ensuite une mauvaise interprétation de la RdR qui en ferait l’antichambre inévitable de la libéralisation de la vente de drogues.

BILAN

En résumé Fadela Amara nous a paru tout à fait conforme à son image , un incontestable franc-parler, doublé d’une véritable authenticité et un réel souci de voir les populations dont son ministère a la responsabilité sortir de la suite de stéréotypes dévalorisants dans lesquels elles sont systématiquement enfermées par les médias. Visiblement la drogue fait partie de ces stéréotypes et l’approche pragmatique suggérée par la RdR peut-être une manière d’avancer sur ce terrain.

Dans notre travail de communication en direction des politiques, il est frappant de constater à quel point la RdR s’est contenté de quelques résultats sanitaires sur la baisse des contaminations VIH ou la baisse des overdoses, sans comprendre toute la force de conviction qu’elle aurait a tirer des arguments sociaux ou sociologiques. Un exemple parmi cent : l’arrêt presque brutal de la délinquance en direction des professionnels de santé est un fait que connaissent tous les acteurs concernés (ordre des pharmaciens, groupes d’auto-support et policiers) , mais cette évidence n’est, à ma connaissance, cautionnée par aucune étude . La corrélation entre la mise en place de la rdr et la fin de ce que les années 70 avaient baptisé : « les braquages de pharmas » n’a jamais été faite. Or quiconque fait un peu de recueil de témoignage auprès de pharmaciens d’officines les entendra tous déclarer que le cambriolage et l’attaque à main armée pour mettre la main sur les produits stupéfiants étaient un classique d’avant la mise en place de la substitution.

Nous avons donc de nombreux chantiers devant nous, notamment en ce qui concerne la propagation en direction des politiques, des idées qui sous-tendent la RdR. Effectuer ce travail main dans la main avec une association de professionnels telle que l’ANIT est une excellente chose, cela permet de proposer une approche globale des problèmes posés. A nous maintenant d’être réactifs, car si nous le souhaitons cette rencontre peut-être à l’origine d’un nouveau partenariat durable avec un acteur original de la vie politique française qui semble avoir une connexion directe avec la présidence de la république.

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