Kate Barry, nous a quittée le 11 décembre dernier. Kate Barry était une amie d’ASUD. En 2007 nous lui avions consacré un portrait reproduit ci-dessous.
Bye bye Kate….
Fragilité – c’est le mot qui vient spontanément à l’esprit lorsque vous croisez pour la première fois la figure un peu chiffonnée de Kate Barry. Jeans, silhouette déguingandée d’une garçonne, grands yeux de timide corrigés par un éclair de malice. Cette fille un peu fuyante, insaisissable, est la fille de John Barry, compositeur anglais, et de Jane Birkin, comédienne et chanteuse française à l’accent indéformable.
Kate est la fondatrice d’Apte (Lire ASUD numéro 34 p.16), une communauté thérapeutique fondée en 1992 sur le modèle des « 12 steps » (12 étapes). Présenté comme un greffon des Narcotiques anonymes (NA), Apte n’était jusque-là pas vraiment en odeur de sainteté auprès des gardiens du temple de la réduction des risques. Dans notre microcosme où, comme chacun sait, tout le monde adore tout le monde, quelqu’un m’avait présenté le travail de Kate comme « la postcure des NA dirigée par la fille toxico de Jane Birkin, du côté d’Apt ». Aussi sec s’impose à mon imagination paresseuse l’image approximative d’une cure paumée dans un village du Midi, dirigée par une espèce de Charlotte Gainsbourg toxico. Une Patti Smith un peu tyrannique, maniant la schlague d’une main, le manuel des 12 étapes de l’autre, et un peu de bible pardessus…
Puis Didier Jayle, président de la Mildt, eut la bonne idée d’organiser, en 2004, un groupe de travail sur les communautés thérapeutiques réunissant, pour la première fois, des gens issus de la réduction des risques et les quelques français investis dans la santé communautaire. Et là, patatras. Non seulement la fille de Birkin ne ressemble pas à Patti Smith mais en plus, elle est plutôt favorable à la réduction des risques. Pour clore le tout, Apte, c’est dans l’Aisne, en Picardie. Les préjugés nous permettent de mesurer à quel point la connerie est un aliment universel…
Passé antérieur
Le passé antérieur est un temps de conjugaison qui a disparu des manuels. C’était le passé du passé. Le passé du passé de Kate est celui de la pauvre petite fille riche. Sans ironie aucune. Le portrait qu’elle dresse de ses années d’adolescence est empreint d’une mélancolie que les enfants de familles plus modestes ne comprendraient sans doute pas.
Fille de Jane Birkin, elle a vécu toute son enfance avec Serge Gainsbourg. Lorsqu’elle évoque ce père de substitution, les antennes de quiconque a subi des brouillages affectifs se mettent à vibrer. Elle appelle « papa » le chanteur poète, mais vit avec la prescience de l’existence d’un autre père, qu’elle rencontre pour la première fois à 11 ans. Cette enfance incertaine explique sans doute la suite, le désordre, l’angoisse, la crainte du néant. Kate ne fume pas de shit : le bad trip la menace perpétuellement au naturel. Par contre, elle découvre le pouvoir de l’alcool pour déjouer les pièges de la déprime. Voilà pourquoi elle raffole aussi des médicaments prescrits par le docteur.
Kate a une façon inimitable de vous dire « Dans mon milieu, tout le monde buvait », comme s’il existait en France des milieux où personne ne boit. Ce qu’il faut entendre, c’est sans doute la démesure, l’absence de garde-fous qui font de la boisson le rite codé des consommations traditionnelles familiales. Chez les Gainsbourg, il y eut peut-être une certaine dépénalisation de l’excès, une normalisation du coude festif, mais il n’est pas sûr que ce soit une question de milieu. Rajoutons le syndrome du « c’est le docteur qui me l’a prescrit », et ça donne une toxicomane de 16 ans.
Puis c’est la rencontre avec celui qui deviendra le père de son unique enfant. Un garçon disons… compliqué. Elle se voit comme une bouée de sauvetage à laquelle se raccroche ce naufragé de la vie, avant de réaliser qu’en fait de bouée, elle est plutôt le glaçon dans un verre d’eau chaude.
La mort de Serge…
Autre déchirement, la disparition de Serge Gainsbourg. « Le déclic, c’est la mort de Serge. » Combien sommes-nous à être décontenancés par ce Gainsbarre qui recommande de dire « merde au dealer » un verre de whisky à la main, et qui confond « shit » et « shoot » pour faire une rime. Le père de substitution meurt, et Kate se décide à réaliser quelque chose pour briser ce barrage bien-pensant entre vilains drogués, objets de tous les fantasmes, et alcoolos qui, eux, peuvent s’assassiner tranquillement sous l’œil impavide de leurs proches. Ce concept de dépendance est sans doute ce qu’il y a de plus important pour comprendre le modèle Minnesota qui sert de référence à Apte.
Après quelques années d’errance, Kate réussit à se reconstruire grâce à une communauté thérapeutique de ce type, basée en Angleterre. Une expérience anglo-saxonne qui n’a pas d’équivalent en France. « Quand je suis revenue en France, je n’ai trouvé aucune aide professionnelle cohérente pour me soutenir dans ma démarche d’abstinence. J’ai trouvé les NA qui venaient d’ouvrir leur premier groupe à Paris. » Au début des années 90, les Narcotiques anonymes inaugurent, en effet, en France une formidable aventure calquée sur le modèle des centaines de groupes existant déjà à travers le monde.
Une création providentielle
La mort de Serge Gainsbourg, la rencontre avec les NA, et enfin l’aide de Georgina Dufoix, l’ancienne ministre socialiste.
Petit à petit, Kate Barry peaufine son projet : créer une communauté thérapeutique française sur le modèle anglo-saxon.
La route fut longue et pleine de chausse-trappes. Au pays de Descartes et Lacan, comment vendre le projet d’un établissement dirigé par d’anciens alcooliques et drogués, faisant référence à « Dieu tel qu’on le conçoit », à l’initiative de la fille d’une star du showbiz ? La Providence mettra Kate en présence de Georgina Dufoix, qui dirige alors la Délégation générale de lutte contre la drogue et la toxicomanie (DGLDT, l’ancêtre de la Mildt).
Ses convictions évangéliques l’ayant convaincue d’être en mission pour combattre « le fléau de la Drogue », un projet comme Apte, inspiré, même de loin, par le spiritualisme des 12 étapes ne peut que lui sembler… providentiel. « On est partis avec une délégation de la DGLDT en Angleterre et on a visité un centre d’échange de seringues et un centre de 12 étapes… »
Kate ne comprend pas la mutuelle exclusion des partisans de la lutte contre le sida et de la lutte contre la drogue. Enrôlée malgré elle par la DGLDT dans le camp des anti-méthadone, elle doit gérer la pénurie d’offre de soins basés sur l’abstinence. D’où le succès immédiat d’Apte.
Puis ce furent les débuts chaotiques du Château des Ruisseaux, une bande d’allumés qui n‘est pas sans rappeler les débuts d’Asud. Quinze ans après, Apte accueille son… millième toxico, et son travail est désormais reconnu, au point d’être l’une des 5 communautés thérapeutiques « expérimentales » entièrement prises en charge par l’État.
Kate peut enfin se consacrer à son véritable métier – la photographie – et redevenir ce qu’elle n’a en fait jamais cessé d’être : ni une anonyme (même narcotique) ni la fille de machin, mais Kate Barry, quelqu’un de pas banal, à son tour devenue une authentique maman.