Adoptée en 1970, la loi « relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses » se singularise en punissant tant la « présentation sous un jour favorable » que « l’incitation ou la provocation à l’usage » de stupéfiants. Et marche allègrement sur les droits de l’Homme en mettant en péril la liberté d’expression.
Cachez ces livres que je ne saurais voir
Dans les années 1990, de nombreuses associations voient le jour pour remédier au manque de courage politique du gouvernement Mitterrand sur les problèmes de société. C’est ainsi que, dans la foulée d’un livre, Fumée clandestine, sera créé le Circ (Collectif d’information et de recherche cannabique), association dont l’objectif est de collecter et de diffuser toute information liée à l’usage du cannabis.
Cet ouvrage à vocation encyclopédique qui a fait les beaux jours des libraires est vite devenu le porte-drapeau des partisans du changement jusqu’à ce jour de 1997 où, sous le titre « Cannabis, savez-vous planter des joints ? », une journaliste de France Soir s’en prenait à la Fnac qui exposait, au su et au vu de tous, un livre (en l’occurrence, le second tome de Fumée clandestine) dans lequel étaient transmises des informations sur l’art de cultiver du cannabis chez soi.
Comme on s’y attendait, une quinzaine de jours plus tard les fonctionnaires de la brigade des stups débarquaient à la Fnac Forum suite à une plainte déposée pour « présentation du cannabis sous un jour favorable », plainte qui n’eut jamais de suite. Mais le ver était dans le fruit et les livres qui présentaient la prohibition sous un jour défavorable passèrent des tables d’exposition aux étagères.
La droite est de retour et les censeurs avec…
Une coalition composée d’associations, de mouvements et de partis politiques fondent en 1998 le Collectif pour l’abrogation de la loi de 1970 (Cal 70). Leur première revendication : supprimer l’article L630 du code de la Santé publique, qui punit de cinq ans de prison et de 75 000 € d’amende le fait de présenter le cannabis sous un jour favorable. La nomination à la tête de la Mildt (Mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie) de Nicole Maestracci est une bouffée d’air frais. Par hasard, deux éditeurs, le Lézard et Trouble-Fête, découvrent en septembre 2002 que des livres sur la cannabiculture ont disparu du site de Virgin, dont le PDG est par ailleurs un ardent défenseur de la légalisation.
Ils s’en émeuvent. Le responsable du magasin de Toulon, apprennent-ils, a été mis en garde à vue. Pourquoi ? Parce que les policiers ont découvert, lors d’une perquisition chez un jardinier en herbe, des livres sur l’art de cultiver du chanvre achetés en toute légalité chez Virgin… Il faudra un article dans Libération pour que les livres incriminés soient remis en vente.
En 2004, effet collatéral d’un retour en force de la morale à deux sous, la direction de la Fnac (encore elle) demande de « surseoir temporairement à la vente » de quatre livres sur le cannabis « suite à une enquête de la brigade des stupéfiants » dans l’un de ses magasins, sans pour autant en informer les éditeurs concernés… Des livres qui, à l’exception de Fumée clandestine, sont tous consacrés à la cannabiculture.
Une censure qui n’a jamais ose dire son nom !
Ne pouvant interdire des livres, les ennemis de la liberté d’expression portent plainte, et si les grandes enseignes (Fnac, Virgin, Cultura) sont les premières visées, les libraires indépendants ne sont pas à l’abri d’une descente de police dissuasive. Les livres incriminés ne font pas de prosélytisme pour le cannabis comme voudraient nous le faire croire les associations (familiales et catholiques) qui usent et abusent de l’article L3421-4 pour intimider, voire menacer, les libraires. Une manœuvre qui a fonctionné au-delà de toute espérance. J’en veux pour preuve la dernière production de Trouble-Fête, Cannabis, 40 ans de malentendus, un livre sur la petite et la grande histoire du cannabis boudé par les grandes enseignes et les libraires indépendants, de peur qu’une simple feuille de cannabis leur attire des ennuis.
Nous ne sommes plus au temps de l’inquisition
En 2011, la Global Commission on Drug Policy, qui réunit des personnalités au-dessus de tout soupçon comme l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, ou encore trois anciens présidents de la République et deux prix Nobel de littérature, publiait un rapport dénonçant une « guerre à la drogue » inutile et criminogène.
En 2013, l’Uruguay, talonné de près par le Colorado, légalisait le cannabis. En France, entre une timide avancée sur le front du cannabis thérapeutique et une proposition de loi déposée au Sénat par une élue d’Europe Écologie-Les Verts, le débat est relancé… Et le triste temps où les fonctionnaires de la brigade des stups triaient les bons des mauvais livres sur les drogues dans les librairies est révolu.