Le shoot sans risque, ça n’existe pas. D’abord, parce qu’il n’est jamais anodin de s’injecter un produit dans les veines, quel qu’il soit. (savez-vous qu’en milieu hospitalier, seuls les infirmiers sont habilités à faire des injections intraveineuses « IV » ?). Ensuite, parce que les drogues ne sont pas des produits comme les autres. Mais il existe des moyens de réduire les risques : il suffit quelquefois de quelques informations techniques élémentaires d’ordre médical, hygiénique. Ces informations, nous n’osons pas les demander à notre praticien, de peur de nous voir répondre que « ce n’est pas à lui de nous aider à nous défoncer », et de nous faire expédier illico vers le premier centre de sevrage venu.
Entre nous, usagers des drogues, de telles pudeurs n’ont pas leur place : malades ou en bonne santé, abstinents ou « pratiquants », nous partageons tous le même objectif : vivre – quel que soit notre pratique ou notre état de santé. Nous n’allons pas nous faire la morale les uns aux autres : ceux d’entre nous qui se shootent savent ce qu’ils font. Ils ne sont que trop conscients des risques auxquels ils s’exposent. Ces risques, notre objectif commun est de les réduire, notamment en matière de SIDA. C’est pourquoi le groupe ASUD a tenu, dés le premier numéro de son journal, conformément à sa politique, à collaborer activement à la réduction de ces risques. Et ce, en levant les tabous et présentant sous la forme de questions/réponses, les principales informations sanitaires pratiques que nous n’osons pas demander à notre médecin traitant.
C’est grâce à la collaboration et aux renseignements fournis par notre ami le Dr Patrick BROSSAIS, médecin psychiatre, intervenant en toxicomanie, que nous pouvons aujourd’hui vous présenter les précautions à prendre pour un Shoot à Risques Réduits.
QUESTION : Nous connaissons à présent (voir encadré) les précautions indispensables à prendre pour éliminer tout risque de contamination (à commencer par le virus HIV ) par la seringue, mais y-a-t-il d’autres précautions à prendre pour éliminer les risques de contamination, d’infections, par les virus, germes, et autres bactéries ?
RÉPONSE : Bien-sûr, et ce à trois niveaux : la cuillère, l’eau et le point de piqûre.
Pour la cuillère, il faut soigneusement la désinfecter (Eau-de-Javel, Alcool à 90° ou à 70°, comme la seringue), puis la laver à l’eau courante et la laisser sécher, ce afin d’éviter la contamination par les germes véhiculés par l’air ambiant. Pour la sécher, ne pas utiliser de torchon ou de serviette qui pourraient contenir des germes.
L’Eau : si elle n’est pas parfaitement pure ou désinfectée elle peut receler de nombreux germes et bactéries. L’idéal serait d’utiliser de l’eau pour préparation injectable, vendue en ampoule auto-cassable dans toutes les pharmacies sans ordonnance et pour un prix modique. Également recommandé, le sérum physiologique (eau stérile légèrement salée), lui aussi disponible en pharmacie. A défaut, on pourra prendre de l’eau minérale encapsulée; qui contient peu de germes – à condition toutefois de l’utiliser sitôt décapsulée, avant que les germes et impuretés de l’air ambiant ne se déposent pas dans la bouteille ouverte. On peut enfin utiliser sans danger l’eau courante de la ville, qui est chimiquement désinfectée.
N’utiliser en aucun cas d’autre liquide que l’eau : alcool, eau des toilettes, huiles, sodas (ils contiennent du sucre !), solvants ou même urine (!!!Eh oui, il y a des kamikazes pour le faire. Paix à leur âme).- les eaux non désinfectées (cours d’eau, citernes, eau courante dans certains pays, etc …) et les eaux usées ou stagnantes (en contact avec l’air ambiant) ou recueillies dans les récipients douteux ou contaminés (verres souillées, seaux, lavabos, piscines, caniveaux, cuvettes des WC, etc ….)
Le point de piqûre : Il importe aussi de le désinfecter soigneusement pour couper court à tout risque d’infection. Pour cela, on nettoiera la peau à l’endroit choisi avec un tampon imbibé d’alcool à 900 ou à 700 ou d’éther. A défaut, utiliser un autre désinfectant disponible en pharmacie tel que : BETADINE, MERCRYL, DAKIN, SYNTHOL, etc …Sinon on pourra recourir à des moyens de fortune : alcool de consommation ou autre type d’alcool ou, (en dernier recours), eau de toilette – titrant au moins 40°. En l’absence de ces moyens, on frottera énergiquement l’endroit choisi avec du savon de Marseille avant de laver à grande eau.
Q : A propos des veines, y-a-t-il des précautions particulières à prendre ?
R: Certainement : d’une part, il faut veiller à maintenir les veines en bon état, et d’autre part, il y a des endroits où il est dangereux de se piquer. Il faut en effet prévenir (par la désinfection du matériel et de la peau) et aussi savoir déceler tout début de veinite, c’est à dire d’infection/inflammation de la paroi veineuse. On décèle la veinite à la formation de cordons veineux enflés, accompagnés d’irritations et de douleurs sur la portion du trajet veineux concerné. En ce cas, utiliser en application locale une pommade anti-inflammatoire de type “NIFLURIL” (vendu en pharmacie sur ordonnance), et cesser toute injection à l’endroit concerné. Faute de quoi, une veinite relativement bénigne risque de dégénérer en phlébite, avec thrombose (formation de caillot obstruant la veine).
Il importe également de bien choisir le point de piqûre : éviter les veines trop fines qui pourraient éclater, causant hématomes et abcès. Éviter également les parties du corps trop exposées aux germes : main, pied ou entre-jambe (qui macère toute la journée dans les chaussures ou les sous-vêtements fermés) ou … l’intérieur de la bouche.
A éviter absolument – les injections intra-artérielles aussi bien radiales (intérieur poignet) que carotides (gorge) – ce type d’injections en profondeur est extrêmement délicat et dangereux (en milieu hospitalier, seuls les médecins sont habilités à le pratiquer).
Q : Parlant de caillot, il arrive souvent qu’à force de galérer à la recherche d’une veine sitôt perdue, on finisse par obtenir dans la seringue une sorte de pâte noirâtre, mélange de sang à demi coagulé et de came dissoute. Peut-on l’injecter sans danger – au besoin en l’allongeant d’eau ?
R : Non ! Ce genre de “soupe” peut facilement occasionner des caillots, responsables de thromboses et de phlébites graves, sans parler des risques d’infections et d’abcès. Si c’est tout ce qu’il vous reste et que vous répugnez à le jeter, mieux vaut vider la seringue dans les narines et “sniffer” la mixture. Les muqueuses du nez recueillent au moins une partie du principe actif et vous n’avez pas tout perdu !
Q: La pratique de la “tirette” est-elle dangereuse ?
R : Non, tant qu’elle ne se prolonge pas au point de coaguler le sang dans la pompe.
Q : Certaines variétés d’héroïne – le brown – nécessitent pour se dissoudre, la présence d’un agent acide dans la cuillère. Lequel utiliser: vinaigre ou Citron ?
R : L’idéal serait d’utiliser un peu d’acide citrique en poudre (disponible en pharmacie) mélangé à la dope et à l’eau de “cuisson”. En son absence, on utilisera:
- Le jus de citron (à condition de le filtrer soigneusement au préalable et qu’il provienne d’un fruit frais en bon état)
- L’acide ascorbique au vitamine C, à filtrer également avec soin car elle fait des dépôts.
- Le vinaigre, blanc ou rouge, à n’utiliser qu’en tout dernier recours, à cause d’une part des adjuvants chimiques, ainsi que des dépôts qu’il forme, occasionnant abcès, veinites et infections diverses.
Q : Une fois répertoriés les risques “marginaux” ou “secondaires” liés aux conditions sanitaires, à l’injection elle-même, au surdosage ou l’adultération de la dope, y-a-t-il un risque lié au produit lui-même ?
R : Bien entendu, tout produit toxique engendre un risque chez la personne qui l’utilise: avec la cocaïne ou les amphés, qui induisent une tendance à la multiplication des prises, en créant chez l’usager le besoin de se shooter sans arrêt pour renouveler le flash (phénomène de tolérance), il y a en particulier un risque de crise d’épilepsie ou d’accident cardiaque…
Q : Et l’héroïne ?
R: Concernant l’héroïne , le Dr Brossais explique
“L’héroïne disponible sous forme pure, sans coupage, si elle n’est pas dans un dosage contrôlable, peut certes entraîner un risque d’accident aigu mortel : l’overdose, mais ne lèse pas d’organe particulier en dehors de ce risque. Le seul autre risque est celui de dépendance physique et psychique, parfois provoqué dès les premières prises du produit. Celui-ci cause à la longue un épuisement général de l’organisme.” En somme, l’héroïne en “pompant” les ressources de l’organisme, joue le rôle d’un “accélérateur de vieillissement”, et ce jusqu’à la “cachexie”, épuisement total, marqué par une maigreur extrême, une asthénie physique et psychique extrême, l’anorexie (abandon de la nutrition) et enfin un état grabataire … jusqu’à ce que l’usager finisse par s’éteindre comme une chandelle “usée” jusqu’au bout.
Il faut en général une longue période d’usage massif et régulier pour en arriver à ce stade ultime. Mais il convient d’être attentif aux premiers symptômes de cet affaiblissement général (faiblesse physiologique et mentale, aboulie, perte d’appétit, indifférence sexuelle, aménorrhée, amaigrissement, détérioration progressive de l’état général -les dents, le foie, les reins, le transit intestinal- et dès leur apparition, d’envisager d’interrompre, au moins momentanément, l’usage du produit. Mais cela est vrai pour beaucoup d’autres drogues légales, comme l’alcool ou certains médicaments.
Q : Y-a-t-il un moyen de pallier cet affaiblissement général ?
R: Hélas non. Il n’existe aucun moyen d’éviter la fatigue générale engendrée par l’usage intensif des opiacés, cependant pour les usagers, il faut s’efforcer à continuer d’avoir une alimentation riche et diversifiée, en prenant si possible, des doses quotidiennes de vitamines et d’oligo-éléments type “Vivamine” au “Quotivit”. Du fait des conditions sociales résultant de la marginalisation imposée à l’usager par la clandestinité, cela reste hélas le plus souvent un vœu pieux.
Q : Est-ce que cela signifie que les opiacés en particulier auraient un effet immunodépresseur ? Notamment chez les séropositifs et les malades du SIDA chez qui l’usage d’opiacés risquerait de déclencher ou d’accélérer la progression de la maladie ?
R: NON! Le Dr BROSSAIS, cité en toutes lettres, déclare :
“Je réponds catégoriquement non. Par rapport à l’atteinte VIH, plusieurs études internationales (en particulier, concernant la méthadone, le Congrès de Florence en juin 1991) ont clairement montré que les UDVI d’opiacés en général n’avait pas une survie moindre que les autres personnes dites “à risque”. C’est pourquoi” ,il ajoute : “il me semble particulièrement important de développer en France des programmes – méthadone, notamment, chez les usagers des. drogues séropositifs ou atteints du SIDA … Pour le moment, nous sommes, avec la Suède, le pays le plus retardataire d’Europe, sans parler de la CEE, dans ce type de programme de substitution”.
Accidents
La Poussière
C’est ce qui se produit, lorsque vous vous injectez une impureté ( fibre, dépôt de dope mal dissout, ou provenant de l’agent acide, cendres ou poussières ramassées sur du matériel mal nettoyé). Le meilleur moyen de l’éviter, est de veiller d’abord à bien dissoudre la dope et ensuite à filtrer soigneusement le mélange à travers un coton neuf ( les vieux ayant tendance à s’effilocher sans parler de toutes les saletés qui s’agglomèrent dessus)
Malgré son côté spectaculaire et extrêmement désagréable ( tétanie, tremblements convulsifs, fièvre soudaine, migraines violentes, angoisses aiguës, refroidissements), il s’agit généralement d’une complication bénigne qui cède au bout de quelques heures.
Que faire?
Envelopper la personne dans des couvertures pour lutter contre le refroidissement. La faire boire abondamment pour éviter un blocage rénal en cas de déshydratation,. Administrer un analgésique léger genre aspirine pour combattre la douleur et faire baisser la fièvre, ainsi qu’un anxiolytique (Lexomil, Lysanxia par exemple) et, éventuellement un antihistaminique (Polaramine)pour lutter contre la réaction allergique. Au bout de quelques heures, la personne cédera au sommeil, et, au réveil, ne gardera de ce pénible accident qu’une fatigue pouvant durer plusieurs jours.
O.D (over-dose)
Ou plutôt, en termes médicaux, accident de surdosage . Il se produit généralement dans deux cas : soit lors d’une première expérience sur un individu qui ne consomme pas d’opiacés, ou encore lors du premier shoot après une période d’abstinence volontaire ou forcée ( cure de sevrage, prison etc…), alors que le corps s’est désaccoutumé du produit, il ne supportera pas une dose considérée comme légère avant le sevrage; soit encore lorsqu’on injecte une dope inhabituellement puissante, c’est à dire à la teneur plus forte en produit actif, soit quand la personne est malade ou épuisée.
Comment l’éviter?
Il n’y a qu’une seule parade: la prudence. C’est à dire, face à un produit provenant d’un nouveau “plan”, ou pour une première prise après un sevrage, tester la came, soit en n’en sniffant un peu avant de se l’injecter, soit en n’en injectant d’abord une quantité minime.
Un accident de surdosage se reconnaît , à ce que le sujet, de quelques secondes à quelques minutes après l’injection “pique du nez”, et perd connaissance; parfois avec convulsions et arrêt de la respiration. Quoiqu’il en soit, il s’agit là d’un risque vital qui nécessite une intervention en urgence.
Que faire ?
D’abord, appeler le SAMU ou se mettre en relation avec l’hôpital le plus proche.
En attendant, le mieux serait d’administrer un antagoniste spécifique agissant sur les récepteurs d’opiacés du cerveau. Ce produit existe : la Naloxone, vendu en pharmacie sur ordonnance, sous le nom de NARCAN. La prudence la plus élémentaire voudrait que chaque usager de drogue par voie intraveineuse (UDVI) en possède toujours une ampoule chez lui ou à portée de main ; En tout cas, si on en possède, en administrer immédiatement, une ampoule à la victime, soit en intramusculaire , soit en intraveineuse lente.
Pendant ce temps : s’assurer de la ventilation des poumons de la victime par le bouche à bouche (il suffit d’un arrêt respiratoire et circulatoire de quelques minutes pour détruire irrémédiablement le cerveau), et surveiller son pouls. Si vous avez des notions de secourisme, faire un massage cardiaque et ventiler le sujet par le bouche à bouche.
Tout en administrant les soins d’urgence énumérés ci-dessus: essayer de réveiller la victime, soit, en lui administrant des claques, soit en la plongeant dans un bain d’eau froide. Ne pas tenter de la relever, laisser au contraire le sujet allongé, de préférence sur le côté pour lui éviter de s’étouffer avec d’éventuels vomissements. Le bouche à bouche et le massage cardiaque, s’ils ont été commencés, doivent être continués jusqu’à l’arrivée des secours.
Une seringue propre
Pour éviter toute contamination, et d’abord, celle du Sida, une règle d’or : une seringue neuve par shoot et par personne. Même si vous êtes déjà séropositif, une seringue usagée non stérilisée risque de vous recontaminer, ce qui hâte le déclenchement de la phase active de la maladie – même s’il s’agit de votre propre seringue : outre le fait que beaucoup de germes ou d’impuretés ont pu s’y déposer entre deux utilisations, vous pouvez vous réinfecter avec votre propre sang.
Si vous ne disposez pas de matériel neuf, vous pouvez, en dernier recours, stériliser la seringue après usage. Cette opération, qui n’est qu’un pis aller doit impérativement être renouvelé après chaque shoot.
Il existe deux méthodes :
- L’eau bouillante
Bien RINCER la seringue en la remplissant et en la vidant plusieurs fois. La démonter (corps, piston, aiguille) la laisser bouillir 5 à 10 mn dans une casserole d’eau puis vider l’eau de là casserole retirer les pièces, laisser sécher et remonter la seringue. - A l’eau-de-Javel ou à l’alcool (70° minimum)
Bien rincer la seringue remplir un verre de Javel ou d’alcool à 90°, remplir complètement la seringue et vider dans l’évier, recommencer l’opération 3 à 5 fois. Remplir un verre d’eau (courante ou minérale) et rincer à nouveau. Recommencer 3 à 5 fois pour éliminer toute trace de Javel (très toxique).
Après usage : jeter la seringue qui ne doit être réutilisée qu’exceptionnellement, avec les précautions décrites ci-dessus. Avant de la jeter, casser l’aiguille et empaqueter le tout dans un sac bien fermé, ou encore la mettre dans une canette vide que vous écraserez ensuite; C’est la meilleure façon , si vous êtes séropositif, d’éviter de contaminer un éboueur, ou un enfant qui la trouverait et s’égratignerait par accident.