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Les pièges de l’achat de drogues en ligne

Les pièges de l’achat de drogues en ligne


Ce n’est plus un secret, il est possible de se procurer des drogues sur Internet. Entre ses boutiques en lignes, ses sites de petites annonces et ses forums d’usagers, c’est un marché comme les autres. Mais est-ce aussi facile que les médias le présentent ? Quels changements en termes de risques pour les consommateurs ?

Léo Meignen et Nicolas Urbaniak font partie de Not for Human, une association communautaire de réduction des risques spécialisée sur les nouvelles drogues fondée en 2013 (Lire Quand les geek se mettent à la RdR). Ses membres se sont rencontrés sur des forums de consommateurs de drogues. Habituellement, leurs discussions bourrées d’anglicismes, d’acronymes et de termes chimiques restent incompréhensibles mais pour Asud, ils mettent un décodeur.

Pécho sur le net
Cet article fait partie du dossier « Pécho » sur le net.

Les shops « officiels »

Nous allons d’abord définir les différents types de shops : ceux qui envoient la bonne substance, il y en a pas mal, il ne faut pas se voiler la face, mais finalement, les sites qui envoient les bonnes substances ne sont pas majoritaires par rapport à l’offre présente sur Internet. Il y a énormément de scammers « sélectifs », des sites qui envoient les bons produits à leur clientèle régulière mais pas forcément la bonne substance lors d’un premier achat. Un phénomène qui commence à se développer du fait que les sites peuvent désormais se faire racheter lorsqu’ils ont une bonne clientèle.

Dans les bons shops, on va avoir les shops anglais et les shops néerlandais, qui tentent de rester dans la loi, c’est-à-dire qu’ils ne se cachent pas, montrent vraiment qu’ils vendent les produits qu’ils ont et n’hésitent pas à faire des promotions. Ce sont généralement des shops sérieux, même s’il y a un côté marketing indéniable. Les informations données sont des informations pharmacologiques, et c’est à peine déguisé : ces sites ne donnent pas les effets des substances, mais proposent des données pharmacologiques qui ne servent pas à autre chose pour les consommateurs.

Promo éthylphénidate
Un exemple de promotion publique sur un shop « officiel » anglais la veille de l’interdiction de l’éthylphénidate.

La plupart de ces sites ont un « disclaimer », un petit texte déclinant toute responsabilité vis-à-vis de ce que vous allez faire avec le produit. Les sites UK proposent en général la même chose, 10-12 produits, et se copient les uns les autres parce qu’ils ont les mêmes arrivages. Ce sont vraiment des sites miroirs. L’information est plus ou moins complète sur les paquets reçus. C’est là qu’on fait la différence entre les sites commerciaux et les sites purement marketing/scammers. Si un site propose un produit différent ou le même produit que les autres à des tarifs ou quantités trop alléchants, il s’agit probablement d’un scammer.

« Les sites anglais restent vraiment dans leur législation et c’est pour ça qu’ils ont une rotation dans leurs produits : dès qu’un produit est interdit, il ne sera plus vendu. On est donc loin de l’achat illégal. Dans leur pays, c’est tout à fait légal, le piège étant pour le consommateur que c’est à lui de vérifier si c’est légal dans son pays. Autre chose importante (d’où le nom de notre association), le “Not for Human Consumption” (pas destiné à la consommation humaine) qui les dédouane : bien que vendus en toute légalité dans leur pays, ces produits ne sont pas destinés à la consommation humaine. Si vous en consommez et qu’il vous arrive quelque chose, c’est bien fait pour votre poire, c’était marqué dessus. »

(Nicolas Urbaniak, Not For Human)

Les shops cachés

C’est de la bonne ?

SafeOrScamPour ceux qui ne connaissent pas, SafeOrScam.com (SoS pour les intimes) [NDLR : le site est devenu scamlogs.com en juillet 2015 suite à une attaque de leur serveur] est un site sur lequel on tape l’adresse web du shop qu’on a trouvé afin de connaître la note qui lui a été donnée. On y trouve aussi le score sur les trente derniers jours parce que comme certains sites ont pu fermer entre temps, ça peut varier du tout au tout. Certains peuvent en effet profiter du terme du bail du nom de domaine pour racheter les sites ayant une bonne clientèle, bien établie, et d’anciens sites fiables peuvent devenir des scams.

Mais même si cette notation permet d’avoir une vue d’ensemble, il y a plusieurs biais : les avis sont subjectifs et en général, les gens notent les shops sur les mêmes substances. Si 10 personnes notent un site 10/10 en ayant commandé du 6-APB, on ne sait pas du tout ce que vaut le 5-APB de ce vendeur. Il y a énormément de différences entre les produits d’un même shop.

Autre truc intéressant à savoir : on ne peut pas s’inscrire et poster des avis, il faut être coopté. Vous devez avoir un code qu’une personne du site vous a passé pour pouvoir vous inscrire, sachant que si vous êtes suspecté d’être un vendeur et de noter votre propre site et que les administrateurs s’en aperçoivent, non seulement vous êtes banni mais votre parrain l’est aussi.

Viennent ensuite des sites « continentaux ». En nombre bien inférieur, ils ne se ressemblent pas et proposent en général des produits plus rares. Destinés à une autre clientèle, ils sont référencés un peu plus loin sur Google. En tapant « Buy Ethylphenidate », on les trouvera par exemple à la quinzième page. Mais le problème est toujours de ne pas savoir sur quel site on va tomber. C’est pour ça que SafeOrScam.com (voir encadré)[NDLR : le site est devenu scamlogs.com en juillet 2015 suite à une attaque de leur serveur] joue un rôle très important là-dedans.

Un exemple avec scXXXon.com, qui est uniquement accessible sur invitation et on comprend facilement pourquoi : c’est un site façade, c’est-à-dire qu’on ne peut pas accéder à son catalogue tant qu’on n’a pas de compte. Une fois inscrit, on y trouve des produits qui échappent aux lois européennes, comme la 3-MMC, qui est une cathinone alors que les cathinones sont interdites depuis 2010 dans toute l’Europe. Ça ne les empêche pas d’en vendre en étant basés en Europe. D’où, là encore, l’intérêt du disclaimer : « Si vous en achetez, ce n’est pas notre problème, on n’est responsable de rien. »

 

Boutique cachée drogues Homepage publique Boutique cachée drogues Homepage privée
Page publique : des cours de soutien en chimie ? Page privée : Non ! Un catalogue de substances à commander

Certains sont des laboratoires reconvertis, comme chXXXre.com, qui se présente comme un laboratoire reconverti en boutique de vente de RC. Ou comme asXXXab.com, un shop polonais qui faisait juste des produits de laboratoire au départ.

La « gogaïne », une pure arnaque

Repérer un scam n’étant pas toujours super simple, on va plutôt parler de « sites de peu de confiance » englobant les sites qui n’envoient rien ou pas la bonne substance. De mémoire, il y avait 651 sites de vente en 2013, ça a dû exploser depuis mais c’est le dernier recensement qu’on ait. Et sur ces 651, on peut parler de trois-quarts de scams. On ne peut pas le savoir sans l’avis des utilisateurs car ce sont des sites qui ressemblent pas mal aux autres, tout en étant souvent plus flashies. Sauf qu’ils proposent aussi des aberrations pour appâter le chaland qui n’y connaît rien. Mais ça répond finalement à la demande de gens qui n’ont pas pris le temps de s’informer et de demander des avis aux gens. Ces sites peuvent éventuellement envoyer des produits psychoactifs mais qui ne correspondent pas forcément.

« On entend par “scam” les shops, boutiques en ligne, qui n’envoient pas la substance escomptée et ceux qui n’envoient rien du tout. »

(Nicolas Urbaniak, Not For Human)

Scammer shop

Exemple typique d’un scam : la « gogaïne ». On ne sait pas ce que c’est, ce n’est pas une molécule, j’ai vérifié ! Le nom est marketé, on a une petite page Facebook vantant 50 000 fans et des commentaires trop bien et surtout, un petit texte décrivant les effets et affirmant que c’est une super alternative à la cocaïne. On n’est plus du tout dans la sobriété des sites qu’on a l’habitude de voir et ça n’inspire pas forcément confiance. Autre exemple avec des produits censés faire disparaître les traces de produits (« Clearance Lines ») aux tests de dépistage, il faudra qu’on m’explique comment ça marche. De temps en temps, on voit aussi des produits chimiques extrêmement rares comme le beta-CFT, un analogue de la cocaïne, introuvable et hyper cher, donc pas le genre de truc qu’on peut trouver sur un scam.

On a également pas mal de sites en Allemagne mais qui ont pour particularité de ne pas s’exporter, c’est un peu un mystère. Enfin les sites sérieux – les sites UK qui ont bonne réputation ou les sites continentaux – proposent parfois des catégories « Rare Chemicals », comme le O-desmethyltramadol, un métabolite du Tramadol® (Ixprim® ou Topalgic®). Des parties souvent cachées, pour réduire les risques pourrait-on dire, pour éviter que n’importe qui puisse acheter directement des analogues du fentanyl par exemple.

 

Repérer un Scam Comment repérer un scam

Un ensemble qui donne un peu une idée de la disparité qui peut exister. Sur la plupart de ces sites, on peut payer par carte, même si ça tend un peu à disparaître, notamment parce que certains NPS commencent à être classés, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Donc d’un côté, oui, c’est facile d’accès mais de l’autre, il y en a énormément et comme ils se copient tous les uns les autres au niveau des produits qu’ils proposent, Google les sort en pagaille. On rejoint donc la première problématique : quel est le bon ? À ce jour, les seuls outils au service des consommateurs sont ceux qu’ils ont créés et qu’ils alimentent en permanence, comme SafeOrScam et les forums spécialisés.

 

Les communautés de consommateurs

La référence mondiale et modèle du genre est erowid.org, une association américaine indépendante qui a travaillé en étroite collaboration avec le mythique Alexander Shulgin.

Côté francophone, il existe 3 grandes communautés sous forme de forum : Psychonaut.com, Lucid-state.org et Psychoactif.org.

En France, l’association de forumeurs Nor For Human, parcourt les forums et les réseaux sociaux pour donner des conseils de réductions des risques aux consommateurs.

Échanges de bon plans en ligne

Il y a trois grandes communautés francophones de consommateurs de drogues (voir plus bas). Tous ces forums interdisent publiquement les échanges de plans et encore plus le deal. S’il a pu exister sur ces sites des discussions cachées dédiées à l’échange de plans et réservées à des forumeurs triés sur le volet, c’est surtout en tête-à-tête, via les messageries privées des forums, que se transmettent les bonnes adresses pour trouver des produits. Contrairement aux rencontres « en vrai » qui permettent de se faire une idée de la personne et qui favorisent la cooptation au sein du groupe, les communautés en ligne sont ouvertes à tous. Difficile de savoir si Kevin-du-93, 22 ans et avide d’expériences psychédéliques, n’est pas en réalité le colonel Moutarde de la cyberdouane. Choper des bons plans auprès de connaisseurs est donc un chemin ardu.

Nicolas Urbaniak de Not For Human explique :

« Il ne suffit pas de publier 3 posts ! Il faut donc souligner la difficulté à s’intégrer à cette communauté (on ne donne pas comme ça les coins à champignons aux plus jeunes qui arrivent au bistrot), ce qui nécessite tout un protocole d’usage et de cerner les personnes avant de donner des informations. Un sondage réalisé sur Psychonaut demandant dans quelle proportion les gens échangeaient leurs adresses (pas leurs plans) a ainsi montré que 75 % avaient eu recours à d’autres forumeurs pour pouvoir s’aiguiller ou avoir une idée d’où ils mettaient les pieds. Il faut aussi savoir qu’il n’est pas forcément facile de trouver quelque chose sur le Net, qu’il y a beaucoup d’arnaques et que dans les produits de synthèse, il n’y a pas que du bon. Les molécules vendues sous des noms commerciaux étant surtout des mélanges faits par les shops, on ne sait ni ce qu’il y a dedans ni à quel dosage. »

D’où l’importance, une fois la confiance acquise, de pouvoir discuter entre initiés des sources d’approvisionnement. Limiter les risques est une des principales raisons d’être de ces communautés en ligne.

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