Invité à s’exprimer lors du congrès annuel des personnes en « Recovery Treatment »1, Matt Southwell, vieille connaissance d’Asud, expose les enjeux d’un rapprochement entre les groupes d’autosupport d’usagers de drogues et les associations prônant l’abstinence : si vous dites non à la drogue, dites aussi non à la guerre à la drogue.
Les groupes d’autosupport datent de la fin des années 70, avec la création du réseau de traitement de substitution méthadone (NAMA) aux États-Unis et celle du Junkie Bund à Rotterdam et Amsterdam. Le mouvement d’origine en Angleterre, représenté par des groupes comme Respect et Chemical Reaction (CR), retrace son histoire jusqu’aux racines hollandaises (…).
Pour comprendre les préoccupations des usagers de drog ues, il est important de les placer dans le contexte de notre histoire. Dans les années 90, lorsque Respect et CR ont été créés, les usagers militants étaient déjà partie prenante des actions contre le sida dans nos communautés. Les usagers activistes étaient impliqués dans l’éducation des pairs, le travail de rue et la mise en place de programmes d’échange de sering ues, même si ceuxci ont dû commencer dans l’illégalité, comme à Édimbourg. Ces groupes de terrain avaient noué un dialog ue avec le secteur thérapeutique spécialisé et occasionnellement, certains usagers ont même obtenu des emplois au sein des ces ser vices, en dépit des deux années d’abstinence requises.
Des services efficaces ont vu le jour grâce aux financements pour le VIH et contre l’abus de drogues. Cependant, lorsque la crise s’est résorbée, l’intérêt pour une implication active et significative des personnes consommatrices de drogues s’est aussi affaibli. En Écosse, foyer de l’école de pensée puritaine, les choses sont encore pires sous l’influence du gouvernement écossais. Après avoir été un modèle de participation collaborative, l’engagement de ces patients dans les services de soins est au plus bas, sauf à vouloir jouer le rôle du drogué reconnaissant. Conséquences : une réelle méfiance et dans de nombreux cas, un désengagement vis-à-vis du système de soins.
Un rapprochement stratégique
Respect et CR voient maintenant le système de soins comme un environnement largement hostile, qui nous fait perdre notre temps dans des réunions politiques prêtant peu attention à la science, et qui résiste activement à notre engagement. Plusieurs de nos activistes choisissent ainsi de s’éloigner des services spécialisés et de s’investir dans le soutien des pairs, dans leurs problèmes juridiques, leur besoin de conseils de réduction de risques ou de coaching pour contrôler leur consommation, ou face aux pressions du gouvernement(…). Les usagers de drogues militants qui sont restés représentants actifs dans le système de soins doivent cacher leur consommation et laisser les gens croire qu’eux aussi sont, comme les autres, « en rémission ». Les pairs qui y travaillent sont devenus des « champions » de l’abstinence ou de façon moins condescendante, des assistants à l’abstinence. Le travail de rue consiste désormais à convaincre ceux qui sont encore dans le déni, et les ser vices de soins pour toxicomanes semblent rejouer une version de la réhabilitation tout droit venue de la révolution culturelle chinoise. Membres d’Inpud2, nous voyons les terribles abus commis contre les usagers de drogues au nom du traitement de la toxicomanie, ce qui nous fait apprécier le fameux système anglais malgré toutes ses limites. Nous avons le devoir de défendre ce modèle pour nos pairs britanniques et pour les activistes usagers de drogues du monde entier, qui le voient comme porteur d’espoir et de pratiques basées sur des preuves empiriques.
Au Royaume-Uni, les usagers de drogues militants de la réduction des risques et le mouvement « Rehab » ont entamé un rapprochement stratégique autour de quelques valeurs communes. La guerre livrée aux drogués est un fléau qui pèse sur tous les individus ayant fait l’expérience de l’usage. Quel que soit le niveau de leur consommation, tous les drogués du monde connaissent le poids de la stigmatisation et de l’exclusion. Que les choses soient claires, nous ne tenons pas le mouvement de « l’abstinence » pour responsable du contexte actuel.
Nous mobiliser pour résister
Le nouvel agenda puritain instauré par le New Labour a été un cauchemar pour le mouvement des usagers en Angleterre, un modèle qui ne respecte même pas les normes de participation des patients du ministère de la Santé.
Lorsque nous nous rencontrons, n’oubliez donc pas que telles sont nos expériences et notre histoire. Nous venons avec la volonté constructive de créer des partenariats, mais pas au détriment de notre réalité. Nous sommes à l’un des points les plus bas de l’histoire du traitement de la toxico manie en Angleterre, mais nous devons nous mobiliser pour résister, le défi étant de gérer le débat sur les traitements sans cautionner l’oppression des usagers de drog ues.
Ne parlez pas en notre nom si vous n’êtes pas un usager de drog ues actif. Même si nous avons des expériences communes et parfois des intérêts communs, notre perception du monde est différente de la vôtre. Si vous vous trouvez dans un forum où la voix des usagers est réprimée, réagissez pour demander que notre droit d’être entendus soit respecté, même si vous n’êtes pas de notre avis.
Ne nous enfermez pas dans le rôle de « patients ». Le modèle qui présente l’addiction comme une maladie est très problématique. La propagation de cette idéologie américaine n’est pas basée sur la science et suggère que ce serait mieux si les consommateurs de drog ues n’existaient pas…
Évoquez la sobriété comme une des approches possibles, mais pas comme un modèle universel pour tous (…). Nous apprécions les opportunités de débattre et de dialog uer. Même si la science est tout à fait claire sur la valeur de la réduction de risques, la consommation de drog ues est complexe et nécessite des réponses multiples.
Nous souhaitons mieux comprendre les réseaux de traitement de la dépendance et les nuances entre les différentes composantes de ce « mouvement ». Nous sommes heureux de soutenir nos pairs dans les changements positifs survenus dans leurs vies et de les aider par quelque moyen que ce soit à réussir dans ce qu’ils souhaitent changer, dans la mesure où les options
sont validées par la science et qu’elles respectent les droits de l’homme…