Les offensives liberticides de ces dernières années ont favorisé la convergence de luttes menées par des populations réprimées. Le fait que la lutte des putes soit relayée dans ces pages en est une preuve : attaquées, ce n’est que par la solidarité que les minorités sexuelles morales ou sociales pourront accéder au droit.
Le Strass, Syndicat du travail sexuel (ne cherchez pas le deuxième « s », on l’a juste ajouté parce que c’est plus beau comme ça !) a été créé en 2009, lors des Assises de la prostitution, dans la lignée du collectif Les Putes qui militait déjà pour « visibiliser » la question.
Mieux placéEs que quiconque
Le Strass se veut ainsi un outil d’auto-organisation, par et pour les travailleurSEs du sexe, c’est-à-dire les putes (de rue, sur Internet, etc.) et plus largement les acteurs/trices porno, masseurSEs érotiques, hôtesses, dominatrices, opérateurs/trices de téléphone ou webcam rose, etc.
La notion d’autogestion est essentielle à nos yeux : depuis toujours, les réflexions sur la prostitution n’ont été portées dans l’espace public et politique que par des expertEs de toutes sortes (psychologues, sociologues, professionnelLEs de la « réinsertion »…) prétendant toujours savoir mieux que nous ce qui est bon pour nous.
Un des axes essentiels de notre lutte est ainsi de récupérer ce droit à la parole qui nous a été volé afin que nos avis soient pris en compte dans l’élaboration des lois nous concernant : nous sommes mieux placéEs que quiconque pour savoir ce qui nous est favorable.
TravailleurSEs indépendantEs
Consistant à mettre en avant des discours à la première personne, cet axe de notre lutte est commun aux revendications des usagerEs de drogues d’Asud : parce que notre choix de nous prostituer, comme celui de nous droguer, n’est pas reconnu car contraire à certains intérêts moraux, seuls deux statuts nous sont reconnus : délinquant ou victime. Selon les discours dominants (et moralistes) de notre société, la prostitution ne peut en effet constituer un choix valable. C’est pourtant celui que font des milliers de personnes, n’en déplaise à touTEs celles et ceux pour qui rien ne saurait justifier d’en « arriver là », de « tomber si bas ». Oui, la prostitution peut être un choix : un choix plutôt qu’un autre, certes, dans la mesure où c’est évidemment le besoin de gagner de l’argent qui nous y conduit. Ce même besoin qui amène quiconque à vendre ses services en échange d’un salaire lui permettant de se loger, se nourrir, se vêtir, voire de se divertir pour les plus chanceux.
Pourquoi ce choix plutôt qu’un autre ? Pour des raisons variées, mais si on devait les résumer en un mot, ce serait probablement l’indépendance parce que nous sommes une profession que l’on peut considérer comme « indépendante » : nous n’avons pas de patron ni personne pour nous imposer des horaires, tarifs, pratiques, etc. Mettant en jeu la sexualité, l’intimité, ces pratiques sont évidemment telles qu’il est primordial que le fait de se prostituer reste un choix parmi d’autres. Mais il est tout aussi primordial de reconnaître que cela PEUT être un choix, et que la prostitution n’est ni une violence ni une atteinte à la dignité « en soi », simplement parce que le sexe est en jeu. D’autant que, contrairement aux idées reçues, le rapport pute-client est loin de se résumer à un simple rapport sexuel : notre rôle s’apparente souvent à celui de confidentEs, conseillerEs, une relation entre deux êtres humains, deux adultes, qui passent un accord pour un moment donné. À vous de juger ensuite s’il est forcément plus dégradant d’être payé pour offrir un peu de plaisir à nos clients que de l’être pour mettre des familles à la rue ou dans des charters…
Un choix inacceptable
Mais peu importe les préférences de chacunE puisqu’il a été décidé que vendre des services sexuels ne pouvait constituer un choix acceptable. Tout un arsenal législatif a été mis en place pour bien nous le rappeler. Si la fermeture des maisons closes par la loi Marthe Richard en 1946 a été une bonne chose (vu les conditions de travail que l’on imposait aux prostituées dans la plupart de ces « maisons d’abattage » qui n’avaient d’autre but que de cacher ce qu’on ne saurait accepter et d’instaurer un véritable contrôle social et sanitaire sur les prostituées), l’inscription des prostituées dans les ordonnances de 1960 définissant les catégories de personnes « inadaptées sociales » (la prostitution étant considérée comme un fléau au même titre que l’alcoolisme, l’homosexualité et la tuberculose) et surtout le fait que nous soyons aujourd’hui les seules à ne pas en avoir été désinscrites soulèvent plus de questions.
Comme les lois sur le proxénétisme, défini comme « le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit, d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ; de tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ». La loi ne faisant pas la différence entre le proxénétisme « de soutien » et « de contrainte » (l’exploitation), des prostituées elles-mêmes sont souvent condamnées pour proxénétisme uniquement parce qu’elles partagent un lieu de travail, comme une camionnette ou un appartement. Des proches, conjoints sans revenus, voire des enfants majeurs qui partagent les produits de la prostitution d’autrui et plus généralement, toute personne qui rend service à une prostituée sont donc susceptibles d’être inquiétés. On assiste ainsi depuis quelque temps à des fermetures successives de sites Internet où les escortEs peuvent déposer leurs annonces. Instaurant un véritable délit de solidarité entre les prostituées et quiconque leur apporterait une aide matérielle, la loi sur le proxénétisme acte ainsi le fait que nous ne saurions être que des victimes.
Des effets désastreux
Depuis 2003 et la loi sur la Sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy, la pénalisation du racolage superpose donc au statut de victime celui de délinquante. Avec des conséquences désastreuses : éloignées des centres-ville pour échapper à la police,
les prostituées s’en sont trouvées éloignées des structures de prévention. Plus isolées et donc plus susceptibles d’être victimes d’agressions, de racket, etc., beaucoup ont alors commencé à faire appel à des « intermédiaires », plus ou moins mal intentionnés comme on peut s’en douter, afin d’assurer leur sécurité. D’un autre point de vue, on peut y trouver des conséquences positives : pour les réseaux dont l’influence a augmenté, pour les investisseurs immobiliers qui ont intérêt à ce que les villes soient « aseptisées », pour la police qui a pu « faire du chiffre » (selon le principe on ne peut plus simple d’une infraction constatée, une prostituée arrêtée = un crime résolu) et enfin, pour les statistiques sur l’immigration (une pute sans papiers arrêtée pour racolage = une pute expulsée).
Aujourd’hui, presque dix ans après la mise en place du délit de racolage et en dépit des preuves des effets désastreux de toute politique répressive à l’égard du travail sexuel, des éluEs de tous bords surenchérissent et veulent pénaliser les clients pour les « responsabiliser » et qu’ils ne viennent plus nous voir. Mais même si la pénalisation entraînait effectivement une baisse du nombre de clients, cette baisse ne signifie rien d’autre que notre précarisation. Et pour la compenser, nous n’aurions d’autre choix que d’accepter des pratiques (non protégées par exemple) ou clients que nous aurions refusés avant. Nous serions également toujours plus obligées d’exercer notre activité dans la marginalité, l’isolement, l’insécurité qui nous poussent à recourir à des intermédiaires et autres maquereaux qui sont les premiers bénéficiaires de la répression.
Les situations de violence, d’exploitation, d’atteinte à la dignité, de prises de risques en termes de santé, d’exclusion sociale, ne découlent pas de l’acte de se droguer ou de se prostituer en soi mais des conditions dans lesquelles on le fait, à cause des politiques prohibitionnistes. Un cercle vicieux puisque parallèlement aux simples arguments moraux, la prohibition qui en découle crée les conditions déplorables dont l’existence sert ensuite à justifier cette prohibition. Putes, droguéEs, nous ne sommes pas le problème : nous faisons partie de la solution.