Michelle Alexander nous parle d’une nouvelle société de caste, née sur les décombres d’une guerre à la drogue, menée rigoureusement et méthodiquement et contre la communauté afro-américaine. Une société ou un adulte noir de sexe masculin sur deux, a été incarcéré au moins une fois pour un délit lié aux stupéfiants. L’actualité des banlieues françaises éclaire ces propos d’un jour sinistre. Et si Michelle Alexander nous parlait de notre futur ? Et si le New Jim Crow était en train de s’appeler le nouveau Mohamed ?
Jim Crow ( Jim le Corbeau), c’est le « négro », naïf, gourmand, superstitieux, un peu lâche, bref, un topos du folklore raciste américain rangé entre l’Oncle Tom et le rapper gangsta. Ce brave Jim prête son nom à tout un ensemble de mesures législatives votées par les États du Sud après la guerre de Sécession pour organiser la ségrégation raciale, un dispositif connu sous le nom de « lois Jim Crow », bref un symbole à la fois de la suprématie blanche et de l’hypocrisie qui l’accompagne.
En intitulant son essai « The New Jim Crow », Michelle Alexander connaissait le poids des mots. ASUD a déjà évoqué ce best seller: l’instrumentalisation de la guerre à la drogue dans la lutte séculaire menée contre les noirs, démontrée, analysée, statistiques à l’appui, dans un livre-événement paru en 2012. L’ouvrage est toujours l’objet de centaines de débats menés à travers le pays. En choisissant ce titre, qui parle d’un passé qui ne passe pas, Michelle Alexander, savait qu’elle allait déclencher des réactions…disons vives. Imaginez un livre -programme sur la criminalité en banlieue intitulé « Les nouveaux bougnoules, aveuglement ethnique et incarcération de masse »1.
Jusque très récemment, Michelle Alexander partageait l’analyse de la plupart des militants des droits civiques à propos de la politique des drogues et plus spécifiquement de l’histoire de l’héroïne, puis du crack dans les getthos des grandes villes. Pour ces activistes de gauche, l’introduction des drogues dures relève au mieux d’un laissez-faire des autorités, au pire d’un complot des services secrets pour briser toutes velléités révolutionnaires des groupes protestataires, type Black Muslims ou Black Panthers. Puis, la lecture des archives judicaires américaines, où, à la différence de la France, l’origine ethnique est scrupuleusement mentionnée, lui a fait découvrir l’ampleur de la cette « nouvelle société de caste ». La guerre à la drogue serait avant tout une machine infernale montée par les Républicains de l’équipe Nixon pour capter le vote des petits blancs du sud et stopper le mouvement d’émancipation des noirs. La thèse n’est pas nouvelle, ce qui l’est, c’est le succès. Un succès grand public, assez inattendu. De plus, cette médiatisation n’ôte rien du rigaurisme d’une démonstration, basée sur l’étude des courbes d’incarcération des « colored people » depuis les années 70 jusqu’à nos jours.
Pourquoi ce livre mérite-t-il notre attention ? Parce qu’il nous parle aussi de nous et de nos fantasmes raciaux si diffiçiles à énoncer dans notre paradis républicain. Parce qu’il dénonce la guerre à la drogue et ses slogans sécuritaires comme un outil conçu pour capter le vote des pauvres de la classe ouvrière blanche. Parce-que trop souvent, il suffit de remplacer le substantif “Blanc” par « Français de souche », et celui de « Noirs » par “immigrés” ou « racaille », et soudainement cette lecture nous semble étrangement familière. Parce-que nos débats sur « la drogue et les banlieues » mérite cet éclairage nouveau. Et surtout, parce-que visiblement, le pire est à venir. Les afro-américains, tous les afro-américains ont dans leur famille, qui un oncle, un frère, un fils, ou même parfois une sœur, qui a été ou sera incarcéré pour des faits relatifs à la répression des drogues. Qui, à l’exception de notre ineffable Eric Zemmour, est en mesure de répondre à cette question : les minorités visibles sont-elles en train de subir l’incarcération de masse décrite par le New Jim Crow ?
“Pas de chemins vers l’égalité raciale sans statistiques ethniques” nous dit Michelle A. La grande stratégie anti-noire mise en point par l’administration Nixon sous la bannière war on drugs est peut-être en passe de se décliner termes à termes sur notre bonne vieille terre de France.
1 Michelle Alexander, The New Jim Crow, Mass Incarceration In Colorblindness, N.Y.