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Une chance pour les banlieues

Une chance pour les banlieues

Michel Sitbon, éditeur en colère et militant prodrogues, plaide pour confier la vente de cannabis aux dealers de cités, qui sont également bien souvent les seuls entrepreneurs de ces zones socialement défavorisées. Un marché installé au cœur de l’économie solidaire, écologique et circulaire, bref, une bonne action.

Depuis plus de vingt ans, il nous semble que la seule façon d’aborder la question de la légalisation du cannabis est de dire sans plus de précautions ce qui reste quand on tout oublié. À la fin des années 1990, un débat s’est tenu à huis clos au Sénat, dans le cadre d’une conférence ad hoc sur l’éventualité d’une réforme des lois réprimant les stupéfiants, leur production, leur commerce et leur usage. Très étonnant, pour nous, à l’époque, la retranscription des propos tenus dans cette auguste assemblée : bon niveau d’information, justesse de l’essentiel des points de vue, un consensus semblait même acquis sur la possibilité d’une légalisation du cannabis, celui-ci ne posant pas de problèmes de santé publique justifiant son interdiction.

Le dealer remplit le frigo de la maman

Mais il y avait un hic. Un constat s’appuyant sur une analyse de la police : la réalité de l’économie clandestine. Sénateurs et experts alertaient sur le fait qu’une légalisation poserait un sérieux problème social avec de probables conséquences sur la sécurité de ces « zones ». Sans le secours des… trafiquants, présentés comme un facteur stabilisant, les rapporteurs expliquaient que la police aurait bien du mal à l’assurer.

Sur le versant strictement social, le constat était plus écrasant encore : ce qu’on appelle le deal contribue très fortement à l’économie de ces quartiers qui se caractérisent par l’absence quasi totale d’une économie légale offrant des revenus à leurs habitants, hormis les aides sociales bien sûr. Le dealer remplit le frigo de la maman, et achète les cartables des petits. Ce constat corroborait des études sociologiques précises qui avaient déjà permis
d’observer de près cette évidence. Pour combattre la misère, le marché noir était sans conteste plus efficace que l’État. En un mot, il était à craindre qu’en réformant, on retire cette manne aux banlieues pour la donner aux centres-ville. Nous avons eu de furieux débats dans le mouvement cannabique, où l’idée que les « cannabistrots » puissent s’avérer l’instrument de cette dépossession des plus pauvres ne passait pas du tout. Vingt ans après, on en est toujours là. Toute réforme devrait se munir de dispositifs prenant en compte cette réalité, organisant le marché de façon à ce qu’une bonne part de son produit puisse se réaliser dans ces mêmes zones défavorisées où il s’est réfugié spontanément du fait de l’interdiction.

Affirmative action

Il y a trois étapes à aménager dans le circuit d’une légalisation : la production, la transformation et la distribution. La production a priori revient aux agriculteurs. On préconise pour ceux-ci une limitation drastique des surfaces de culture, de manière à ce que cette manne puisse se répartir le plus largement sur l’ensemble des exploitations agricoles, offrant à chacune, si elle le souhaite, un bonus facile à prendre. Mais le cannabis se cultive également en intérieur. La culture d’intérieur se pratique dans des hangars et peut permettre de recycler facilement des locaux industriels ou commerciaux désaffectés. Les zones défavorisées en sont justement largement pourvues, et elles se trouvent aussi souvent en bordure de terrains agricoles. On pourrait aussi prévoir que les jeunes d’une cité aillent cultiver des champs alentour, et des dispositifs facilitant pour eux la production en intérieur et en extérieur. Dans un esprit d’« affirmative action », une dérogation permettant dans ces secteurs défavorisés un déplafonnement des limitations imposées à l’ensemble
du territoire pour les surfaces de culture serait certainement un
moyen simple pour injecter très vite beaucoup de ressources dans ces quartiers qui en manquent si cruellement d’ordinaire.

Centrales d’achat

Une fois que la plante a poussé et qu’elle a été récoltée, il reste à la
« transformer », la conditionner pour sa distribution. La loi idéale poserait,
au cœur du système, des centrales d’achat, qui seraient installées dans
ces zones ainsi « favorisées », auxquelles les producteurs apporteraient leurs récoltes. Ces centrales font les analyses, précisent la composition de chaque plante, assurant en même temps l’équivalent de ce qui se fait pour les appellations contrôlées des vins. Elles mettent en œuvre le traitement et le conditionnement des produits, et la redistribution à l’ensemble du réseau commercial. Quant aux activités de transformation en général, elles seraient prioritairement installées dans ces parties du territoire jusque-là
défavorisées. Ce qui n’exclut pas que des dérogations soient facilement accordées, sur demande, à quiconque ayant développé son projet ailleurs. Mais des industries importantes, comme l’industrie pharmaceutique ou cosmétique qui apparaîtront aussitôt, pourraient se voir contraintes d’installer leurs activités là où il y en a le plus besoin. La distribution, par contre, ne connaît pas de contrainte territoriale, puisqu’elle se fait forcément auprès de l’ensemble de la population, partout. Pour permettre la répartition la plus large des bénéfices de ces nouvelles activités, on opterait pour l’inscription de l’ensemble de la nouvelle économie cannabique sous le régime restrictif de ce qu’on appelait encore il y a peu
l’économie sociale et solidaire, qu’on dit maintenant circulaire. C’est précisément cette idée d’une large circulation d’argent qu’il s’agit de promouvoir. Ainsi, toutes les entreprises de ce nouveau secteur seraient des associations ou des coopératives. Enfin la loi prévoirait l’affectation des surplus de ces entreprises dites « à but non lucratif » à la prise en charge des besoins strictement thérapeutiques d’une partie non négligeable de la population pour laquelle, même autorisé, le remède pourrait s’avérer prohibitif. Car il est à craindre que la demande en cannabinoïdes à fins de soulagement thérapeutique soit énorme, et qu’à raison de 200 euros par mois pour un très banal mais non moins douloureux mal de dos, ceci puisse concerner des millions ou dizaines de millions de personnes, et que ce soit simplement inabordable pour la Sécurité sociale. Plutôt que d’inscrire classiquement les cannabinoïdes au tableau de la pharmacopée prise en charge normalement par l’Assurance maladie, on laisserait ce réseau associatif et coopératif prendre en charge y compris le cannabis thérapeutique. On poserait ainsi une équation qui permettrait que l’usage dit « récréatif » finance les besoins médicaux.

Start-up

À côté de ce secteur associatif vertueux, consacré au circuit de la plante elle même, une « maison des start up » pourrait être installée dans chaque poche de territoire ainsi favorisé, afin de stimuler, entre autres, l’industrie très prometteuse des produits dérivés, vaporisateurs ou autres gadgets associés à la consommation de cette plante, qu’elle soit thérapeutique ou récréative. Industrie qu’on a vu se développer vivement en Californie ou en Espagne ces dernières années. Enfin, toutes ces dispositions seraient définies comme expérimentales, un observatoire veillant à étudier soigneusement les effets de chacune d’entre elles et à proposer des correctifs ou de nouvelles dispositions qui pourraient s’avérer nécessaires.

Quant aux mesures permettant de favoriser les territoires défavorisés, elles seraient installées pour une période éventuellement reconductible d’une dizaine d’années qui devraient suffire à produire des effets durables, pour ne pas dire une modification complète du paysage de nos banlieues sinistrées depuis trop longtemps

Michel Sitbon

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