Après la défense de l’usager de drogues citoyen, Asud s’était, ces dernières années, attaquée à la défense des usagers au sein du système de soins. Un combat qui vient de connaître sa première victoire avec l’attribution par l’État du statut officiel d’association représentant les usagers de drogues du système de soins.
Retour sur les processus et les idéologies sous-jacentes qui ont mené à ce changement pour éviter tout malentendu.
Quand on regarde de plus près l’évolution d’Asud ces dernières années, 3 dynamiques sociopolitiques entre en jeu :
- La réconciliation avec le système de soin. Dans le cas des opiacés, la substitution nous met d’office à la place d’usager du système de soins : nous devons aller voir un médecin pour obtenir notre traitement. Mais l’avènement de la substitution nous permet également d’avoir tout simplement accès à tous les soins, sans avoir à être sevré d’office.
Avec le développement de la réduction des risques, tous les usagers ont, par ailleurs, un accès facilité aux soins : les intervenants en RdR, médiateurs entre soignants et usagers, permettent à ces derniers d’intégrer le système de soins dont ils étaient auparavant « exclus ». - L’addictologie et la pensée hygiéniste. Le médecin devient plus que jamais tout-puissant, et préserver son corps une obligation sacrée, qui prime sur tout, y compris parfois le bien-être. L’exemple du tabac, avec ses lois liberticides et la mise au ban de ses consommateurs, est un des avatars de cette pensée hygiéniste. Un sentiment renforcé par l’émergence d’un certain courant de l’addictologie, qui rend toute consommation suspecte, et tout consommateur (de drogues illicites ou pas) malade potentiel. L’hygiénisme rattrape les usagers de drogues pour les enfermer, non plus dans un statut de délinquants mais dans celui de malades.
- La loi de 2002. Suite aux abus constatés, notamment dans le système hospitalier, la loi du 2 janvier 2002 de rénovation sociale permet l’émergence d’associations destinées à représenter et défendre les droits des usagers du soin. C’est cette même loi qui vient de faire de nous des représentants officiels des usagers de drogue du système de soins. Un statut renforcé par le « Plan de prise en charge et de prévention des addictions 2007-2011 » qui parle, pour la première fois dans un document officiel, de « développer les associations d’autosupport : représentation, défense des droits et aide des usagers du système de soin ».
Trois dynamiques qui ont changé la relation des usagers de drogues avec le soin et naturellement rejailli sur Asud qui, à la défense des usagers de drogues citoyens-malfaiteurs ajoute désormais celle des usagers de drogue du système de soins.
Défense des usagers de drogue du système de soins : késako ?
Quand on parle des usagers de drogue du système de soin et de la défense de leurs droits, il faut d’abord définir de quoi il s’agit pour éviter les malentendus. L’usager de drogues peut entrer dans le système de soin de 2 manières : soit pour des raisons directement liées aux drogues (substitution), soit comme n’importe qui, pour se faire soigner. La défense des usagers de drogues du système de soins se fait donc à 2 niveaux : dans le premier cas, c’est non seulement défendre les droits liés au traitement de substitution, mais aussi une certaine éthique (non infantilisation, responsabilisation, traitement négocié entre l’usager et le médecin, sur la molécule, la dose…). Dans le deuxième cas, c’est s’assurer que la spécificité de consommateur ne constitue pas un obstacle aux soins (jugement, stigmatisation, médicament incompatible avec la consommation, adaptation des traitements…)
Mais attention, parler d’usager de drogues du système de soins n’est en aucun cas considérer l’usager comme un malade ! Si nous reconnaissons que l’usage de drogues – hors du contexte de leur illégalité – a un effet nocif sur la santé, cela ne veut absolument pas dire que l’usager de drogues, dépendant ou non, est un malade. Nous combattons d’ailleurs cette médicalisation à outrance de l’usage de drogue, qui fait aujourd’hui de tout usager de drogue un malade. En outre, à Asud, le débat est toujours ouvert sur la question de la dépendance et de la maladie. Peut-être, par exemple, pourrions-nous voir le traitement de substitution à la manière de la médecine chinoise : un traitement préventif pour justement ne pas tomber malade ?…
C’est pour toutes ses raisons que nous avons choisi le terme d’« usager de drogues du système de soins », plutôt que celui de « patient » ou même celui de « malade » pour les usagers dépendants. Toute personne peut en effet être usagère du soin sans être nécessairement malade (médecine préventive, grossesse, dentiste, check-up …).
Mais qu’en est-il de nos revendications premières, sur la loi de 70, la dépénalisation, le droit au choix de consommer, et quelles sont les nouvelles ?
- Le droit au choix de consommer. Si le droit au choix de pouvoir consommer de manière éclairée (issu de la relative tolérance des années sida) est toujours une de nos revendications, elle n’est tout simplement plus supportable par la société hygiéniste des années 2000. Plus que cela, elle peut nous desservir : il est tellement facile de ne voir que ça en nous, et de s’en servir pour nous diaboliser et décrédibiliser notre discours. Bien que cette revendication soit sous-jacente à notre action, c’est donc une carte que nous abattons rarement, en attendant des jours meilleurs…
- L’abrogation de la loi de 70 et la dépénalisation. Si nous réclamons toujours que cette loi inique soit supprimée pour que les usagers de drogues puissent être des citoyens à part entière, notre position de représentant des usagers du soin nous permet d’envisager également cela sous l’angle de la santé. D’une part, parce que l’illégalité des drogues les rend plus dangereuses et plus nocives pour la santé (produits de coupe, problème de dosage et d’OD, liens avec le marché noir), d’autre part, parce que les UD se cachent pour consommer, ce qui n’aide en rien à ce qu’ils prennent soin d’eux et la mesure de leurs problèmes éventuels avec les produits…
- Des revendications citoyennes. La position de défenseur des usagers du système de soins n’est en fait pas antinomique de nos revendications initiales citoyennes. Mais surtout, ces 2 positions représentent finalement les 2 facettes du traitement socio-sanitaire de l’usage de drogues : soins et réduction des risques. En endossant ces 2 casquettes, nous affirmons haut et fort que le soin et la réduction des risques sont complémentaires, et que la vie d’un usager n’est pas linéaire : il peut naviguer entre les deux, selon les moments.
Ensuite, en défendant le droit des usagers du soin, nous défendons aussi le droit et la dignité des usagers de drogues. Ce qui nous donne un autre angle d’attaque et une légitimité complémentaire, qui nous permet, par exemple, de lier des partenariats inédits avec le soin, comme avec l’Association nationale des intervenants en toxicomanie (Anit). Sans pour autant nous renier, cela rend donc notre réseau beaucoup plus fort.
Ces 2 positions relèvent pour finir du même combat : que l’usager de drogues retrouve une place d’acteur de son soin, de sa consommation, et finalement de sa vie.