A partir du 8 novembre 2018 Asud en collaboration avec l’EHESS vous présenteront leurs nouveaux colloques sur le thème « Prohibitions des drogues et contre-cultures »
Jeudi de 17 h à 20 h (amphithéâtre François-Furet, 105 bd Raspail 75006 Paris), 8 novembre 2018, 10 janvier, 14 février, 14 mars, 11 avril, 9 mai et 13 juin 2019
Les prohibitions des drogues et les contre-cultures sont intrinsèquement liées. L’une a nourri l’autre. La prohibition de la marijuana aux Etats Unis, en 1937, visait les Latinos, accusés par-là de comportements paresseux. De même la répression des consommateurs d’héroïne dans les années 1940-1980, puis du crack, a eu dans le collimateur les Noirs américains, accusés d’être des mauvais travailleurs après avoir été des mauvais esclaves, s’adonnant à la musique, à la danse et au sexe. Ces mêmes accusations ont été à la base des lois de 1970, aux États Unis et en Europe, punissant de prison les simples consommateurs de drogues interdites : des lois qui visaient en particulier à punir les hippies, ces perturbateurs de l’ordre social et moral, porteurs d’une contre-culture. Paix et amour au lieu de guerre et inimitié, solidarité fraternelle au lieu d’égoïsme, communauté ouverte au lieu d’enfermement sur soi.
Les prohibitions des drogues et les contre-cultures ne sont pas exclusives des riches pays occidentaux, ni des temps modernes. Les ethnies amérindiennes ont été confrontées dès le début de la conquête aux prohibitionnistes européens, qui exportaient leur vin et leur alcool et voulaient interdire la consommation du peyotl, des champignons psilocybes, de la coca ou du pulque. Et les groupes amérindiens ont fait une longue résistance pour se soustraire aux injonctions des conquérants et préserver leurs « mauvaises habitudes », parfois ouvertement et le plus souvent sournoisement. Que dire aussi de l’inertie séculaire d’une partie importante des populations d’Asie, de la Turquie à la Chine, en passant par l’Iran, l’Inde et l’Asie du sud-est, qui ont tardé longtemps pour admettre que l’opium et le cannabis, drogues relaxantes, étaient préjudiciables à la productivité moderne et capitaliste ?
Car, voilà, la prohibition des drogues, comme leur autorisation, paraît intimement liée à l’esprit du capitalisme. À l’inverse, la consommation traditionnelle de substances comme le peyotl, le khat ou l’ayahuasca, semble renvoyer à des démarches communautaires, comme l’usage des psychotropes par la beat génération.
Aujourd’hui, la légalisation et la commercialisation du cannabis médicinal met de nouveau à jour ce choix de société. Depuis des années, des gens souffrants de plusieurs maladies ont eu recours au cannabis, de manière clandestine, amicale, communautaire. Maintenant « l’or vert » fais scintiller les yeux des financiers, qui investissent dans des productions intensives. Mais, est-il inéluctable que les drogues, toutes les drogues, soient avalées d’une façon ou d’une autre par le capitalisme ? Nous savons parfaitement que l’autorisation ou la prohibition du commerce d’une molécule dépend théoriquement de son utilisation (morphiniques pour la médecine, héroïne sur le marché noir), mais que ce soient les industries pharmaceutiques ou les narcotrafiquants, toutes ces entreprises font une culbute milliardaire sur les drogues. Tant les boîtes pharmaceutiques que les bandes de trafiquants, payent au vil prix les paysans cultivateurs et vendent sur le marché (légale ou illégale) faisant des marges gigantesques, et davantage avec les substances purement chimiques.
Malgré la prohibition, et parfois en réaction à celle-ci, l’utilisation de psychotropes a été et est pour des groupes humains et des individus un moyen de résister, voire de s’affirmer. Les drogues ont accompagné les arts, tous les arts, depuis longtemps. Des arts figuratifs des mangeurs de peyotl à ceux des suceurs de buvards. Du jazz à la techno et au rap, en passant par le rock, le reggae et le punk, les drogues ont secondé, voire inspiré la musique. Des paroles ont chanté l’euphorie, l’ivresse, l’apaisement, les vibrations corporelles, les hallucinations provoqués par la consommation de drogues ou, à l’inverse, l’abattement, la douleur, l’enfer du manque et de la dérive addictive. Des mélodies ont suggéré des états d’esprit, des sensations corporelles, des rêves. Des rythmes ont fait danser les gens au pas d’une drogue ou d’une autre. Mais on pourrait dire que la musique, en elle-même, est déjà une drogue en puissance. De la tarentelle effrénée au rock endiablé à la techno déchainée, musiques et rythmes traditionnels et modernes peuvent conduire à la transe, à l’extase, à l’exaltation du corps frémissant. Comme la danse, la musique et les arts du vivant possèdent cette capacité de transcendance qu’on attribue aux drogues.
Que dire aussi des arts graphiques, de la BD, de la science-fiction depuis les années 1960-1970 ? La profusion de rêves, d’imagination, incarnée dans des desseins, des planches, des illustrations, des livres, aurait-elle vu le jour sans l’utilisation des drogues par leurs auteurs ? L’écriture sous influence, expérimentée pour en connaître les effets, ou simplement pratiquée sans en faire étalage, représente aussi un long courant littéraire en Occident depuis deux siècles, avec comme point fort les années de « la belle époque ».
Plus récemment, le cinéma, le documentaire, les séries télévisées ont investi l’imaginaire de millions de personnes dans le monde, mettant en scène les « drogués », les « narcos », les « dealers des banlieues » et autres « malades » et « délinquants », sans oublier la mise en scène des performances de la police. Mais ce filon moderne du visuel a ouvert le champ à des approches non conventionnelles, non conformistes et bien pensantes, dont des films et des séries américaines témoignent depuis vingt ans. Du docu réaliste d’un quartier populaire à la fiction et au film d’animation, les drogues font de plus en plus l’objet d‘observation et de mise en scène, souvent par des scénaristes et des réalisateurs « drogués ». Et petit à petit, la vision des « drogues » et des « drogués » commence à changer …